• Aucun résultat trouvé

Section 2 : Les diverses modalités de l’ordonnance de garde 61

B) Les critères de réussite 88

3) Une proximité géographique et la stabilité de l’enfant 96

Le critère de proximité des résidences respectives des parents vise essentiellement à éviter que l’enfant subisse des déplacements prolongés et doive s’adapter à des milieux de vie différents306. Aucun paramètre n’est fixé à cet égard, le tout étant, à l’instar des autres critères de réussite de la garde partagée, à l’entière discrétion du tribunal.

C’est ainsi que la juge Kear-Jodoin considéra contraire à l’intérêt des enfants, âgés de dix et sept ans, le fait, pour ces derniers, de devoir voyager environ deux heures par jour – soit le temps requis pour effectuer les allers-retours entre la résidence du père et l’école fréquentée par les enfants – cinq jours par semaine, à raison d’une semaine sur deux307. De même, un trajet d’environ quarante-cinq minutes entre l’école de l’enfant de sept ans et le nouveau domicile de son père fut jugé excessif et contraire au bon fonctionnement d’une garde partagée dans l’affaire Droit de la famille – 132555308.

À l’inverse, dans l'affaire S.L. c. M.G., la juge Catherine La Rosa en vint aux conclusions suivantes :

306 Droit de la famille – 3237, B.E. 99BE-210 (C.S.) ; Michel TÉTRAULT, La garde partagée. L’exercice

conjoint de l’autorité parentale. Le recours autonome de l’enfant, Scarborough (Ont.), Carswell, 2000, p. 87.

307 Droit de la famille – 141882, J.E. 2014-1818 (C.S.).

308 2013 QCCS 4553, conf. en partie par Droit de la famille – 141420, 2014 QCCA 1181, afin d’élargir les droits

« La distance qui sépare le domicile du père de celui de l'école n'est pas une raison suffisante pour mettre de côté la garde partagée. La preuve est contradictoire à ce sujet. Le père affirme qu'il lui en prend 25 minutes pour faire le trajet alors que la mère affirme que c'est plutôt 40 minutes. La réalité se situe probablement entre les deux.

La question à laquelle le Tribunal doit répondre est la suivante: le fait pour les enfants de voyager avec leur père 30 minutes le matin et 30 minutes le soir pour aller à l'école une semaine sur deux est-il contre leur meilleur intérêt? La réponse est négative. La situation de vie des enfants doit s'analyser dans son ensemble en prenant en considération la réalité de vie de l'ensemble de l'unité familiale. Le temps de transport peut devenir un moment de communication privilégié.

Au surplus, l'importance du maintien de la relation significative prime les légers inconvénients que peut représenter la durée du trajet. »309

Malgré l’importance du pouvoir discrétionnaire des juges en cette matière et les décisions parfois contradictoires qui peuvent en résulter, il importe de ne pas perdre de vue, comme l’indique la Cour d’appel, que le va-et-vient est inhérent à la plupart des ordonnances de garde partagée, qui implique, par sa nature même, un double domicile et des allers-retours entre les deux310.

En ce qui concerne le critère de stabilité, il consiste à s’assurer, pour le tribunal, que l’enfant trouve une certaine continuité au sein de chacune des cellules familiales proposées par ses parents. Il en sera notamment ainsi lorsqu’il y a compatibilité entre leur projet de vie en ce qui le concerne et lorsque chacun d’eux est en mesure d’instaurer une routine et un milieu de vie structuré pour l’enfant. La garde partagée sera ainsi contraire à l’intérêt de l’enfant si l’un des

309 2011 QCCS 459, par. 48-50. 310 V.P. c. C.F., 2009 QCCA 1268.

parents connaît des déménagements fréquents et vit de l’instabilité au niveau relationnel (nombreux conjoints)311.

Il en sera de même si l’enfant doit composer avec des environnements familiaux forts distincts. Par exemple, dans l’affaire Droit de la famille – 081635312, l’enfant avait chez sa mère (qui vivait seule) sa propre chambre et ses habitudes, alors qu’il devait composer, chez son père, avec une famille reconstituée et des enfants beaucoup plus vieux que lui. Considérant que le fait de composer avec deux environnements différents n’était pas un avantage pour l’enfant, le juge estime que l’intérêt de l’enfant et sa stabilité requièrent le maintien de la garde exclusive à la mère.

Le concept de stabilité est donc intimement relié à la constance des habitudes et à la continuité des milieux de vie de l’enfant. Il ne s’agit toutefois pas de rechercher des modes d’intervention et des valeurs éducatives, morales et spirituelles identiques d’un milieu à l’autre, mais bien une certaine forme de complémentarité313. Ainsi, pour que la garde partagée soit contre- indiquée, il faut que la différence des projets de vie pour l’enfant soit « d'une nature et d'une importance telles que la façon de l'un devrait être privilégiée par rapport à la façon de l'autre […] »314.

311 Droit de la famille – 081953, EYB 2008-145742 (C.S.).

312 EYB 2008-137433 (C.S.), conf. en partie par Droit de la famille – 091113, EYB 2009-158721 (C.A.) afin

d’élargir les droits d’accès du père pendant la période estivale. Sur l’importance de la similarité des environnements familiaux pour la stabilité de l’enfant, voir : Alice ABARBANEL, « Shared Parenting after Separation and Divorce: A Study of Joint Custody », (1979) 49:2 American Journal of Orthopsychiatry 320.

313 Droit de la famille – 071284, EYB 2007-120341 (C.S.). 314 V.P. c. C.F., 2009 QCCA 1268, par. 72.

Bien que la garde partagée soit aujourd’hui une modalité de garde qui n’a rien d’exceptionnel315 et qu’elle soit de plus en plus populaire parce qu’elle « correspond à la nouvelle symbolique familiale du couple à double investissement professionnel et parental » et à une « vision de complémentarité symétrique des sexes de plus en plus répandue en Amérique du Nord »316, certaines oppositions quant à cette modalité de garde persistent au sein de la communauté scientifique. En effet, si la garde partagée représente pour certains une panacée, d’autres s’interrogent sérieusement sur ses bienfaits pour l’enfant ou, même, s’y opposent farouchement.

Nous nous proposons d’effectuer, dans les pages qui suivent, un tour d’horizon des principaux risques et bénéfices de la garde partagée soulevés par la littérature scientifique317. Considérant que les écrits scientifiques jouent un rôle de premier plan dans la sphère du droit familial318, cet exercice est, nous semble-t-il, essentiel pour une meilleure compréhension de la teneur des décisions rendues en matière de garde d’enfant et – surtout – de leur contradiction.

315 G. (G.) c. P. (J.), EYB 2005-86089 (C.A.), par. 4 ; T.L. c. L.A.P. [2002] R.J.Q. 2627, par. 39 (C.A.).

316 Denyse CÔTÉ, « D’une pratique contre-culturelle à l’idéal-type : la garde partagée comme phénomène

social », (2006) 27:1 Revue québécoise de psychologie 13, 19.

317 Pour une synthèse détaillée de la littérature scientifique, voir : Robert BAUSERMAN, « Child Adjustment in

Joint-Custody Versus Sole-Custody Arrangements: A Meta-Analytic Review », (2002) 16:1 Journal of Family Psychology 91 ; Alan REIFMAN, Laura C. VILLA, Julie A. AMANS, Vasuki RETHINAM et Tiffany Y. TELESCA, « Children of Divorce in the 1990s: A Meta-Analysis », (2001) 36:1-2 Journal of Divorce & Remarriage 27 ; Rodrigue OTIS, avec la collab. de Nathalie BÉRARD, La prise de décision concernant la garde d’enfants dans un contexte de séparation. Synthèse des écrits scientifiques, Québec, Behaviora, 2000.

318 Claire L’HEUREUX-DUBÉ, « Droit de la famille à l’aube du 20e siècle : la marche vers l’égalité », (1997-

98) 28 R.D.U.S. 3. Mentionnons également que la formation offerte aux juges pour enfants dans les domaines de la pédopsychologie et de la sociologie de la famille semblent également être d’une grande importance et utilité, les juges affirmant avoir besoin « de se tenir au courant de l’évolution des théories sur le développement de l’enfant, ou sur l’évolution de la famille moderne » : Renée JOYAL et Anne QUÉNIART, « La parole de l’enfant et les litiges de garde : points de vue de juges sur divers aspects de la question », (2001) 61 R. du B 281, 295.