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Une communication fonctionnelle entre les parents et une absence de conflits

Section 2 : Les diverses modalités de l’ordonnance de garde 61

B) Les critères de réussite 88

2) Une communication fonctionnelle entre les parents et une absence de conflits

La fin d’une relation s’accompagne souvent d’un climat de tension et de difficultés de communication entre les anciens conjoints, ce qui peut avoir des retombées négatives sur les enfants. Une situation hautement conflictuelle entre les parents fera ainsi généralement obstacle à l’imposition judiciaire d’une garde partagée, ce qui est particulièrement vrai dans les cas impliquant de très jeunes enfants, leur éducation nécessitant la prise de nombreuses décisions294.

293 EYB 2010-181538, par. 4 (C.A.).

294 R.B. c. N.C., 2005 QCCA 844 ; J.S. c. D.D., [2001] R.J.Q. 329 (C.A.) ; Droit de la famille – 081670, EYB

2008-137347 (C.S.) ; M.D. c. É.G., [2005] no AZ-50343333 (C.S.) ; Droit de la famille – 3213, [1999] R.D.F. 87 (C.S.).

C’est ainsi que la Cour d’appel confirma la décision de première instance rendue par le juge Gratien Duchesne qui, tout en reconnaissant les capacités parentales de chacun des parents, avait confié la garde de l’enfant à la mère en raison de la relation hautement conflictuelle existant entre les parties295. Il en fut de même dans l’affaire Droit de la famille – 08895296, où les parties, qui ne s’entendaient pas sur la modalité de garde de leur enfant, n’arrivaient pas à communiquer et se dénigraient mutuellement. Dans l’affaire Droit de la famille – 07426297, le juge Louis Crête, de la Cour supérieure, devait décider de la garde des enfants, âgées respectivement de huit et cinq ans. Après avoir brièvement énoncé les faits et reconnu les capacités parentales de chacun des parents, le juge Crête reprend les propos du juge Jacques Roy qui, dans le même dossier, avait statué sur la garde des enfants au stade des mesures provisoires. Se fondant sur l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Droit de la famille –

3123298, ce dernier énonçait les critères à considérer en matière de garde partagée, à savoir : a) l’intérêt de l’enfant ; b) la stabilité ; c) la capacité des parents de communiquer ; d) la proximité des résidence et, enfin, e) l’absence de conflit. Passant ces critères en revue, le juge Crête estima que les critères afférents à la stabilité et à l’intérêt de l’enfant étaient en l’espèce rencontrés. Il s’exprima toutefois ainsi sur la capacité des parents à communiquer :

« Sur cet aspect de la relation, force est de constater qu'il existe encore entre Mme B et M. A de sérieuses lacunes dans leurs communications. Chacun se méfie de l'autre et, malheureusement, M. A [père] traite Mme B [mère] avec agressivité et même parfois avec mépris. Il suffit pour s'en convaincre de lire les lettres et courriels que M. A a envoyés à Mme B et son avocat, Me Maiorino. Si la

295 Droit de la famille – 2955, J.E. 98-746 (C.A.). 296 EYB 2008-132603 (C.S.).

297 EYB 2007-116207 (C.S.), conf. par Droit de la famille – 072209, EYB 2007-123916 (C.A.), sauf en ce qui a

trait à la détermination des droits d’accès de monsieur pendant la période estivale.

communication existe de façon minime par la voie des courriels, il n'en demeure pas moins que leur ton est loin de promouvoir la cordialité ou même la civilité des rapports entre les deux. »299

De surcroît, le juge Crête souligna que les relations entre les ex-conjoints étaient empreintes de conflits importants. L’éducation religieuse des enfants, les activités parascolaires, le choix de l’institution scolaire et la prise de médicaments par les enfants étaient tout autant des sources de disputes. Dans un tel contexte, l’octroi d’une garde partagée aurait été une invitation à la discorde permanente et rendrait une telle garde invivable pour les enfants. La garde exclusive des enfants fut par conséquent octroyée à la mère, le père bénéficiant, pour sa part, des droits d’accès prévus au jugement300.

L’objectif d’un tel positionnement jurisprudentiel est double. Il vise, d’une part, à éviter que l’enfant subisse des tensions importantes et, d’autre part, à atténuer le conflit parental existant. En effet, selon certains auteurs, les contacts fréquents et réguliers qu’occasionne la garde partagée ont pour effet d’exacerber le conflit parental déjà bien présent301.

299 Droit de la famille – 07426, EYB 2007-116207, par. 29 (C.S.).

300 Pour d’autres illustrations où l’absence de communication ou la présence de conflits importants a fait obstacle

à la garde partagée, voir : Droit de la famille – 07426, EYB 2007-123916 (C.A.) ; S. (M.) c. H. (D.), EYB 2005-92931 (C.S.) ; M.T. c. H.M., EYB 2004-53738 (C.S.).

301 Michel GAGNON, « Les mythes de la garde partagée », (2006) 27:1 Revue québécoise de psychologie 47 ;

Elizabeth J. HUGHES, « The Language and Ideology of Shared Parenting in Family Law Reform: A Critical Analysis », (2003-2004) 21 Can. Fam. Law Q. 1 ; Janet R. JOHNSTON, « Research Update: Children’s Adjustment in Sole Custody Compared to Joint Custody Families and Principles for Custody Decision Making », (1995) 33:4 Family Court Review 415 ; Frank F. FURSTENBERG et Andrew J. CHERLIN, Divided Families: What Happens to Children When Parents Part, Cambridge, Harvard University Press, 1991. D’autres, au contraire, sont d’avis qu’une garde partagée obligerait les parents aux prises avec des problèmes de communication à prendre un certain recul face à leurs conflits : Janet R. JOHNSTON, Roberto GONZALES et Linda E.G. CAMPBELL, « Ongoing postdivorce conflict and child disturbance », (1987) 15:4 Journal of Abnormal Child Psychology 493.

Ceci étant dit, la garde partagée ne requiert pas une communication parfaite et une absence totale de différends entre les ex-conjoints, comme l’exigeait une ancienne tendance jurisprudentielle. Les exigences quant à la qualité de la communication entre les parents ayant été assouplies, la garde partagée de l’enfant peut dorénavant être envisagée dès lors que la preuve démontre qu’il existe une capacité minimale de communication entre les parents en dépit de leur relation conflictuelle302. Autrement, « il serait trop facile pour un parent qui s’objecte à une garde partagée de ne pas faciliter la communication avec l’autre parent pour éviter ou rendre plus difficile l’octroi d’une telle garde »303.

Bien que la notion de « situation hautement conflictuelle » reste floue304 et qu’il n’existe pas de liste exhaustive d’éléments permettant aux tribunaux de déterminer avec certitude l’existence d’un conflit qui aura une influence certaine sur la qualité de la communication entre les parties, certains indices sont néanmoins révélateurs, tels le fonctionnement du couple avant la rupture, la violence physique ou verbale, la difficulté à accepter la rupture, l’hostilité des relations, la différence de vision quant à la façon d’éduquer les enfants, l’importance des procédures au dossier et les allégations qu’elles contiennent305.

302 G. (G.) c. P. (J.), EYB 2005-86089 (C.A.). Une garde partagée a ainsi été octroyée, en dépit des difficultés de

communication, notamment dans : Droit de la famille – 092467, 2009 QCCA 1927 ; Droit de la famille – 072034, REJB 2007-123263 (C.A.) ; G. (G.) c. P. (J.), EYB 2005-86089 (C.A.) ; Droit de la famille - 081568, EYB 2008-136401 (C.S.) ; Droit de la famille – 081729, EYB 2008-137690 (C.S.) ; Droit de la famille – 083669, EYB 2008-149568 (C.S.) ; B. (A.) c. P. (F.), REJB 2000-19134 (C.S.).

303 Droit de la famille – 3698, B.E. 2000BE-1063 (C.S.).

304 Élisabeth GODBOUT, Claudine PARENT et Marie-Christine SAINT-JACQUES, « Le meilleur intérêt de

l’enfant dont la garde est contestée : enjeux, contexte et pratiques », (2014) 20 Enfances, Familles, Générations 168, 175.

305 Michel TÉTRAULT, « La garde partagée : la charrue avant les bœufs ? », (2007) 1:1 Revue scientifique de

Après avoir analysé les capacités parentales des parents, leur faculté de communiquer ainsi que la qualité de leurs relations, le tribunal devra également s’assurer, d’une part, que la distance qui sépare leurs résidences respectives ne fait pas obstacle à la garde partagée et, d’autre part, que cette modalité de garde préserve la stabilité de l’enfant.