• Aucun résultat trouvé

Section 2 : Les diverses modalités de l’ordonnance de garde 61

C) Les décisions relatives à l’enfant en garde exclusive 67

1) Les principes de droit privé de la common law canadienne 68

Dans les provinces canadiennes de common law, la notion de garde reçoit une interprétation large, épuisant à elle seule tout le contenu de l’autorité parentale (garde, entretien et éducation). Cette conception de la garde, que le professeur Mayrand qualifiait d’« osmose juridique »213, confère au parent gardien l’exercice exclusif de l’autorité parentale, lui permettant ainsi de prendre seul non seulement les décisions quotidiennes à l’endroit de l’enfant (heures du repas et du coucher, habitudes alimentaires et vestimentaires, heures des devoirs, etc.)214, mais aussi les décisions importantes concernant son bien-être et son éducation (soins médicaux, choix de la religion, choix de l’institution et de la langue d’enseignement, etc.).

L’approche traditionnelle de la common law canadienne est éloquemment exprimée dans le passage suivant d’un arrêt rendu en 1979 par la Cour d’appel de l’Ontario :

« In my view, to award one parent the exclusive custody of a child is to clothe that parent, for whatever period he or she is awarded the custody, with full parental control over, and ultimate parental responsibility for, the care, upbringing and education of the child, generally to the exclusion of the right of the other parent to interfere in the decisions that are made in exercising that control or in carrying out that responsibility. »215

213 Albert MAYRAND, « La garde conjointe, rééquilibrage de l’autorité parentale », (1988) 67 R. du B. can. 193,

198.

214 Précisons toutefois que le parent non gardien possède, lors de l’exercice de ses droits d’accès, la même

autonomie décisionnelle que le parent gardien quant aux décisions quotidiennes.

215 Kruger c. Kruger, (1979) 104 D.L.R. (3d) 481, par. 15 (Ont. C.A.). Voir également Pierce c. Pierce, [1977] 5

W.W.R. 572 (B.C.S.C.), où le juge Spencer énonce, au paragraphe 7 de la décision, que : « the mother's custody gives her the right to direct Katie's education and upbringing, physical, intellectual, spiritual and moral. His [le père] own role through a right of access is that of a very interested observer, giving love and

Ces propos trouvent écho dans le discours doctrinal au Canada anglais. Voici comment les juristes Julien D. Payne et Patrick J. Boyle s’expriment à ce sujet :

« The parent to whom custody is denied is thus deprived of the rights and responsibilities that previously vested in that parent as a joint guardian of the child. […] It is generally conceded that the granting of access rights to a parent or third party in divorce or matrimonial proceedings confers no decision-making powers respecting the child’s upbringing. Even awards of “liberal” or “generous” access do not give the non-custodial parent these rights. »216

Plus particulièrement, selon Julien D. Payne, la théorie du pouvoir décisionnel exclusif du parent gardien est consacrée à l’article 2(1) de la Loi sur le divorce217, dans sa version anglaise, qui est libellé comme suit : «“custody” Includes care, upbringing and any other incident of custody ». Le terme « includes » évoquerait ainsi, selon Payne, la notion traditionnelle de la garde en common law218. Or, selon le professeur Mayrand, si, en vertu de la Loi sur le divorce, la notion de garde inclut les soins, l’éducation et tout autre élément qui s’y rattache, on ne retrouve nulle part dans cette loi une indication à l’effet que ces éléments constitutifs de la garde reposent en exclusivité sur la tête du parent gardien219.

support to Katie in the background and standing by in case the chances of life should ever leave Katie motherless. »

216 Julien D. PAYNE et Patrick J. BOYLE, « Divided Opinions on Joint Custody », (1979) 2 Fam. L. Rev. 163,

164 et 165. Notons, par ailleurs, que la juge L’Heureux-Dubé, dans l’arrêt Young, décrit le rôle du parent ayant un droit d’accès comme « un observateur très intéressé, donnant amour et appui à l’enfant dans l’ombre » : Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, 7.

217 L.R.C., 1985, c. 3 (2e supp.).

218 Julien D. PAYNE, Payne's Commentaries on the Divorce Act, 1985, Ontario, Don Mills (R. DeBoo), 1986,

p. 79.

219 Albert MAYRAND, « La garde conjointe (autorité parentale conjointe) envisagée dans le contexte social et

juridique actuel », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Droit et enfant, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1990, p. 31. Sur la rédaction et l’interprétation des lois fédérales en conformité avec les deux systèmes juridiques canadiens, voir : Pierre-André CÔTÉ, «La loi de 1985 sur le divorce et le droit civil », (1987) 47 R. du B. 1183.

Cette conception de la garde, qui a pour effet de dépouiller le parent non gardien de tout pouvoir décisionnel à l’égard de son enfant, est empruntée à la jurisprudence d’Angleterre220. Elle est toutefois remise en question – ou à tout le moins atténuée – depuis quelques années, en Angleterre221 comme dans les provinces canadiennes de common law222. Afin de faire échec à la concentration de l’autorité parentale sur la tête du seul parent gardien et ainsi rétablir un certain équilibre entre les rôles parentaux, les tribunaux et les juristes canadiens ont scindé la notion de garde en deux – garde physique et garde juridique – et ont créé la notion de « garde juridique conjointe ».

La garde physique, qui accorde à son titulaire le droit de prendre les décisions quotidiennes à l’égard de l’enfant, est la garde au sens strict du terme, c’est-à-dire l’élément physique de l’autorité parentale (présence de l’enfant au domicile du parent gardien)223. C’est, comme le dit le professeur Mayrand, « le droit de garde ramené à ses dimensions normales, donc dégagé

220 Albert MAYRAND, « La garde conjointe, rééquilibrage de l’autorité parentale », (1988) 67 R. du B. can. 193,

201 ; Marie PRATTE, « La garde conjointe des enfants de familles désunies », (1988) 19 R.G.D. 525, 534- 539.

221 Dipper v. Dipper, [1981] Fam. 31, 45 (j. Ormrod) : « It used to be considered that the parent having custody

had the right to control the children's education – and in the past their religion. This is a misunderstanding. Neither parent has any pre-emptive right over the other. If there is no agreement as to the education of the children, or their religious upbringing or any other major matter in their lives, that disagreement has to be decided by the court. In day-to-day matters, the parent with custody is naturally in control. To suggest that a parent with custody dominates the situation so far as education or any other serious matter is concerned is quite wrong. »

222 Voir notamment : Abbott c. Taylor, (1986) 2 R.F.L. (3d) 163 (Man.C.A.) ; Roberts c. Roberts, (1992)

W.D.F.L. 381 (B.C.S.C.) ; Wingrove c. Wingrove, (1984) 40 R.F.L. (2d) 428 (Ont. Co. Ct.) ; Berend HOVIUS, « The Changing Role of the Access Parent », (1993-1994) 10 Can. Fam. Law Q. 123. En dépit de cette remise en question ou de cette atténuation de l’approche de la common law, la juge L’Heureux-Dubé en fait tout de même application dans les arrêts Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3 et Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27.

223 Marlène CANO, « Reflections on Recent Trends in the Analysis of Custody and Parental Authority in

des attributs de l’autorité parentale qu’il avait absorbé »224. Quant à la garde juridique, elle confère à son titulaire le droit de prendre les décisions importantes relatives à l’éducation et à l’orientation intellectuelle et morale de l’enfant. En accordant la garde juridique conjointement aux deux parents, tout en précisant celui qui en aurait la garde physique, les tribunaux investissaient ces derniers du devoir de prendre, ensemble, les décisions importantes que le soin et l’éducation de leur enfant requièrent225.

Le juge Thorson définit comme suit cette modalité de garde dans l’arrêt Kruger :

« […] to award to both parents the joint custody of a child […] is to clothe both parents with equal parental control over, and equal ultimate parental responsibility for, the care, upbringing and education of the child, but to name one of the parents as the parent with whom the child shall ordinarily reside under that parent's immediate direction and guidance (whether indefinitely or as otherwise stipulated), with the other parent to enjoy such access to the child as does not unreasonably impede the ability of the first to assume his or her immediate direction and guidance of the child, nor unreasonably interfere with the right of the first parent to live his or her own life separate from the other. »226

L’ordonnance de garde juridique conjointe (joint custody) permet donc, dans les provinces canadiennes de common law, de déroger à la règle générale qui consiste à attribuer au parent désigné comme gardien un pouvoir décisionnel exclusif pour tout ce qui a trait au bien-être et à l’éducation de l’enfant. En droit civil, c’est le phénomène inverse qui s’applique, la règle étant que le parent non gardien conserve de plein droit son autorité parentale, sauf circonstances exceptionnelles, comme nous le verrons plus amplement au point suivant.

224 Albert MAYRAND, « La garde conjointe, rééquilibrage de l’autorité parentale », (1988) 67 R. du B. can. 193,

210.

225 Jean PINEAU et Marie PRATTE, La famille, Montréal, Éditions Thémis, 2006, p. 858. 226 Kruger c. Kruger, (1979) 104 D.L.R. (3d) 481, par. 16 (Ont. C.A.).