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décentralisation à l'oeuvre

4.2 L’Etat providence tiraillé entre déterminisme national et détermination régionale et détermination régionale

Les travaux d’Esping-Andersen (1999) ont mis en évidence une classification internationale des Etats-nations, en fonction de l'importance accordée au bien-être collectif, afin de qualifier ce que de nombreux auteurs nomment classiquement le welfare state (Merrien, 2007). La notion de régime fait ici référence à l'existence d'interrelations légales et organisationnelles entre l'Etat et l'économie. S'il s'agit in fine de décrire les politiques sociales et les politiques d'amélioration sociale, l'Etat providence désigne une institution essentielle dans l'édification des différents modèles du capitalisme d'après-guerre.

En partant du point de vue que le niveau des dépenses est moins important que la manière dont sont utilisés les budgets, Esping-Andersen présente trois régimes d'Etat providence, dont la nature est définie par des notions clés : la dé-marchandisation, la stratification sociale et l'emploi. Chacun des trois régimes désigne des arrangements différents entre l'Etat, le marché et la famille.

Il désigne ainsi un premier groupe de type « libéral », pour lequel les progrès sociaux sont rigoureusement bornés par les normes libérales de l'éthique du travail, avec un Etat qui encourage le marché, les indemnités très modestes étant attribuées aux très faibles revenus, les règles du droit aux prescriptions strictes associées à une forme de stigmatisation des bénéficiaires. Les Etats-Unis peuvent correspondre à l'archétype de ce modèle.

Il désigne ensuite un deuxième groupe de type « conservateur », à fort héritage corporatiste, avec un maintien de différence de statuts dans l'accès au droit. L'octroi de droits sociaux n'est pas contesté, malgré les différences de statut et le caractère négligeable de l'impact redistributif des politiques. On peut y trouver des pays tels l'Allemagne.

Il présente enfin un troisième groupe qualifié de « social-démocrate », pour lequel les principes d'universalisme et de dé-marchandisation des droits sociaux sont étendus aux classes moyennes, avec un encouragement à l'égalité au niveau des plus hauts standards et non pas des besoins minimaux. On peut y trouver des pays nordiques, tels la Suède par exemple.

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A partir de ces trois groupes, Esping-Andersen précise qu'aucun régime n'existe à l'état pur, ce qu'illustre la situation spécifique des Etats et régions auxquels sont rattachés les deux territoires comparés.

4.2.1 En Communauté autonome basque : un régime

conservateur de type méditerranéen

Certains auteurs tels Salamon et Anheir (1998) ou Pestoff (1999) considèrent que la Communauté autonome basque relève d'un régime conservateur corporatiste méditerranéen propre à l'Espagne, avec une spécificité régionale marquée.

Le caractère méditerranéen est modelé par la place de l'Eglise et la préservation de valeurs familiales traditionnelles. Le modèle est subsidiaire, en ce sens qu'il attend que la famille ou d'autres formes de substitut (comme l'Eglise par exemple) aient épuisé leurs capacités d'aide pour permettre à l'Etat d'intervenir. Dans ce modèle, la prévalence de schémas familiaux traditionnels n'encourage pas l'emploi féminin, puisque les épouses et mères sont supposées réaliser des aménités sociales, non prises en charge par l'Etat et non relayées par le marché. Dans cet ensemble national, différents travaux (Rodriguez Cabrero, 2008, Gallego, Goma et Subirats, 2002, 2013) ont souligné des spécificités régionales en Espagne, en raison de la latitude d'action conférée aux régions en fonction du statut d'autonomie dont elles jouissent. La Communauté autonome basque se distingue parmi les autonomies de l'Etat espagnol par l'une des plus fortes contributions publiques aux dépenses sociales.

Gallego, Goma et Subirats (2013), ont élaboré une classification entre régions (pour sept d'entre elles48 disposant des compétences les plus complètes et les plus étendues) sur la base d'une modélisation intégrant six types de politiques sociales : la santé, l'éducation, le logement, l'emploi49, les services d'assistance sociale, le revenu minimum.

Il en ressort que la Communauté autonome basque se distingue par une différenciation forte au regard de la ligne proposée par le gouvernement central, en accordant un poids important au rôle de l'action publique plutôt qu'au marché.

La différenciation entre modèles régionaux et ligne étatique au regard des six types de politiques fait apparaître le caractère le plus marqué pour la Communauté autonome basque en matière de fourniture de services d'assistance sociale, d'emploi et de revenu minimum.

48 Andalousie, Canaries, Catalogne, Communauté autonome basque, Communauté de Valence, Galice, Navarre.

49 Lors de l'élaboration de la modélisation, la compétence de la politique de l'emploi n'avait pas été encore transférée en totalité du gouvernement central au gouvernement régional de la Communauté autonome basque.

Du point de vue de la dimension opérationnelle des politiques publiques, il apparaît que la Communauté autonome basque se dégage avec des instruments de gestion plutôt publics et des réseaux d'acteurs complexes. Ici, les instruments de gestion du secteur privé dominent pour l'éducation, la fourniture de services sociaux et l'emploi. La santé, le logement et le revenu minimal sont gouvernés par des instruments de gestion publics. Hormis la santé, un système complexe de réseau d'acteurs prévaut, associant action publique, action privée, avec pour cette dernière des ONG à caractère assistanciel et philanthropique pouvant être rattachées au champ de l'ESS.

En s'appuyant sur les catégories d'Esping-Andersen revisitées par Salamon et Anheir, Gallego, Goma et Subirats distinguent le poids relatif de quatre sphères pour chacune des politiques et des régions comparées : l'action publique, le marché, la famille, les réseaux sociaux. Il en résulte que pour les domaines des services sociaux, du logement et du revenu minimum, la couverture des besoins relève davantage de l'influence du marché et de la sphère familiale. Mais il est intéressant de noter que la Communauté autonome basque et la Navarre se distinguent pour la forte activation de l'intervention publique, adossée aux réseaux sociaux, reléguant les sphères du marché et de la famille dans une position moins favorable.

L’importance relative des réseaux sociaux est appuyée par les travaux d'Arrieta et d’Etxezarreta (2012), dans les domaines du care et de la dépendance, qui distinguent au sein de la Communauté autonome basque trois ensembles territoriaux aux comportements différenciés : la province de l'Alava dans laquelle l'empreinte publique est dominante, la province de Biscaye avec un poids important du secteur privé ainsi que du tiers secteur, et enfin la province du Guipuzcoa reposant sur une organisation dite concertée pour laquelle l'intervention publique s'exerce soit directement, soit en s'appuyant sur des structures issues du secteur marchand ou du tiers secteur.

4.2.2 En Pays basque français : un régime conservateur à

visée universaliste

Si la France est plutôt rangée dans le modèle conservateur et corporatiste, elle rejoint cependant sous certains aspects d’autres influences, et de ce fait, comme le souligne Merrien (1997, 2007), il est difficile de la faire rentrer dans l’une des trois catégories originelles développées par Esping-Andersen. Les droits sociaux appliqués en matière de couverture des principaux risques (santé, emploi, vieillesse) sont issus du pacte républicain fondé aux lendemains de la seconde guerre mondiale dans un processus de reconstruction nationale. Ils

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portent l'empreinte d'une forme d'universalité même si leur activation est très dépendante du statut accordé par l'emploi. La visée universaliste est également présente à travers la politique familiale et l'octroi d'allocations non indexées sur les revenus mais sur le nombre d'enfants. En ce sens, le modèle en vigueur est porteur d'idéaux le rapprochant du modèle socio-démocrate. Mais le droit au travail n'a pas le même statut que le droit à la garantie de revenu malgré l'instauration du revenu de solidarité active.

Les coups de boutoir portés à certains de ces principes, comme la marchandisation croissante des soins de santé, ou l’indexation partielle des allocations familiales sur les revenus, pourraient la conduire vers le modèle du régime libéral consacrant le marché comme lieu dominant de la solidarité. Mais le pacte social conclu entre l’Etat et les citoyens, posant les principes d’une contribution à différentes formes de protection (santé, famille, chômage, vieillesse) selon des logiques redistributives, bien qu’affaibli, reste toujours en vigueur.

Dans la pratique donc, la France révèle un régime de type conservateur, nourri par une visée universaliste et un discours égalitariste, souvent démenti dans la mise en oeuvre des politiques sociales. Elle ne rejoint pas les modèles conservateurs de type méditerranéen qui accordent une large place à la famille, en tant que pourvoyeuse d'aménités sociales. Il s'agit au contraire en France de socialiser d'avance les coûts familiaux et de favoriser l'emploi féminin, à travers de multiples services au bénéfice de la garde d'enfants par exemple.

L'Etat, pilote historique des politiques sociales, s'est appuyé dans certains domaines sur le secteur privé associatif pour la réalisation des prestations.

Le long processus de décentralisation a fait advenir un nouvel interlocuteur, le Conseil général50, dans le pilotage, le financement et la mise en œuvre de certaines politiques sociales. Si les politiques de l'emploi, de la santé, de l'éducation, et dans une certaine mesure du logement, sont maîtrisées par l'Etat, il n'en est pas de même pour celles relatives à la fourniture de services sociaux ou du revenu minimum.

Face à un cadre national commun, les Conseils généraux disposent cependant d'une amplitude de choix pour la mise en œuvre opérationnelle de leur politique sociale.

50 Nous le désignerons Conseil général tout au long de notre écrit, et non pas Conseil départemental, car le changement de dénomination intervient en mars 2015, soit après la réalisation de notre travail de terrain.

4.3 Des régimes territoriaux de l’ESS aux héritages qui

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