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Nous posons d’abord l’hypothèse que les secteurs de l’IAE et de l’AD s’insèrent aujourd’hui dans un marché, selon des conditions d’accès et des modalités opératoires définies au sein d’une arène (Cobb et Elder, 1971, Jobert, 1987) composée de multiples intervenants, dont des acteurs locaux susceptibles d’en réinterpréter les enjeux, pour leur conférer des objectifs propres ou des conditions d’exécution spécifiques. Pour chacun des modèles territoriaux, l’équilibre dynamique au sein des quatre rapports institués (achat, salarial, financement, commercial) et les interdépendances entre acteurs (équipes de fidèles, communautés sectorielles, réseaux extra-sectoriels) qui décrivent l’ordre institutionnel, relèvent surtout de la capacité d’entente de ces acteurs, au nom de normes et de valeurs partagées, révélées par les types de compromis et les formes de gouvernance territoriale qui en résultent. Celles-ci sont plus ou moins fortement influencées par des variables exogènes comme le processus d’européanisation, l’évolution des régimes d’Etat providence, la poursuite de la régionalisation et de la décentralisation.

Sous-hypothèse 1

Les modèles de protection sociale en vigueur en Communauté autonome basque et au Pays basque français résultent de l'évolution des régimes d’État providence, et de l’organisation des compétences exercées par les institutions politiques régionales et infrarégionales, dans le cadre des processus de régionalisation et de décentralisation.

Mais les accords politiques et institutionnels conclus localement sont influencés par la capacité des communautés sectorielles de l'IAE et de l'AD à défendre des intérêts partagés.

Sous-hypothèse 2

Au sein de ces communautés sectorielles de l’IAE et de l’AD, les acteurs qui se reconnaissent dans le champ de l'ESS sont aujourd’hui rejoints par d’autres acteurs, dans leur capacité à faire advenir des normes et des valeurs qui ne sont pas prioritairement marchandes, et qui placent les besoins des populations vulnérables au centre de leurs préoccupations.

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Deuxième hypothèse

Nous prolongeons cette première hypothèse par une seconde, qui consiste à considérer que les territoires de la Communauté autonome basque (en particulier le Guipuzcoa) et du Pays basque français cherchent à intégrer leurs populations vulnérables, tout en poursuivant des objectifs de performance économique. Ceci au nom de valeurs de solidarité, de réciprocité, ayant inspiré l’une des expériences coopératives les plus emblématiques au monde dans le cas du Guipuzcoa, ou ayant fait émerger des initiatives de finance solidaire entre autres expériences d’ESS, dans le cas du Pays basque français.

Sous-hypothèse 1

Chacun des territoires s’est doté d’outils de développement (Conseil de développement, agences de développement), d’organisations économiques spécifiques (clusters), afin de faire prévaloir des logiques de coopération, avec la double ambition de répondre à des objectifs de compétitivité économique et à des enjeux sociaux, au nom d’un lien au territoire qui ferait prévaloir l’intérêt général de tous ses habitants.

Sous-hypothèse 2

La capacité à faire émerger l’intérêt général, en considérant les populations vulnérables dans une perspective qui ne soit pas uniquement marchande, résulte du dépassement d’objectifs parfois contradictoires, grâce aux compromis construits par les acteurs faisant vivre les dynamiques territoriales.

La nature de ces compromis révèle la place qu’y prennent les préoccupations sociales, dans un encastrement d’intérêts décrivant un système territorial d’innovation sociale en construction.

5. Méthodologie

Pour des raisons de disparité de taille entre territoires (Pays basque français : 286 779 habitants en 2010 ; Communauté autonome basque : 2 179 815 habitants en 2011), nous avons privilégié l’une des provinces historiques correspondant à l’échelon administratif du Guipuzcoa (705 210 habitants en 2011) en Communauté autonome basque. La comparaison est donc fondée sur les territoires du Guipuzcoa et du Pays basque français. Néanmoins, en raison des logiques politiques, administratives et résiliaires qui couvrent des territoires plus étendus, nous avons inscrit chacun de ces deux territoires dans des périmètres plus vastes, soit l’ensemble de la Communauté autonome basque pour le Guipuzcoa, ainsi que le département des Pyrénées-Atlantiques, voire la région Aquitaine, pour le Pays basque français.

En raison de l’orientation de notre recherche en sociologie politique, notre matériau repose essentiellement sur des entretiens qualitatifs réalisés de manière semi-directive auprès de différents acteurs représentatifs des deux secteurs d’activité retenus, et des dynamiques territoriales plus larges. Nous avons complété cette approche par une exploration bibliographique, venant prolonger la revue de littérature présentée dans cette introduction, et un examen de la littérature grise (textes de loi, études, rapports d’activité, bilans, notes et avis...) relative aux secteurs d’activité comparés et aux dynamiques de développement des deux territoires. Nous nous sommes également intéressés à des sources organisationnelles, complétées par une observation participante à quelques évènementiels et activités.

Nous avons réalisé trois séries d’entretiens qualitatifs entre 2012 et 2015.

En ce qui concerne l’IAE, trente entretiens ont été conduits, en nombres équivalents entre le Guipuzcoa et le Pays basque français. Dans chacun des territoires, trois catégories d’acteurs ont été rencontrées : les institutions et acteurs publics compétents en matière d’IAE, les opérateurs (qualifiés de Structures d’insertion par l’activité économique ou SIAE), ainsi que les réseaux et groupements fédérant ces derniers.

En ce qui concerne l’AD, trente entretiens ont été réalisés également à parts égales entre le Guipuzcoa et le Pays basque français, en tenant compte de l’asymétrie organisationnelle entre les deux territoires. Ainsi, en Pays basque français, les entretiens ont été menés auprès des institutions publiques en charge du secteur, de trois catégories d’opérateurs (association, entreprise privée, CCAS/CIAS4) et d’un réseau regroupant les opérateurs publics. En Guipuzcoa, la compétence correspondante étant répartie entre les municipalités et la

diputación, nous avons donc rencontré en plus de la diputación un panel de municipalités, et

quelques opérateurs relevant de différentes catégories (entreprise privée, société de travailleurs, fondation, coopérative, association).

Pour les dynamiques territoriales, nous avons réalisé 30 entretiens. Nous avons commencé par approcher les lieux à partir desquels se conçoivent et/ou se mettent en œuvre les stratégies de développement territorialisées.

Pour le Guipuzcoa, nous nous sommes ainsi intéressés aux services de la diputación, à six agences de développement adossées à différents bassins de vie (comarcas), ainsi qu’à

Gipuzkoa Berritzen, chargé de la déclinaison opérationnelle du principe d’innovation en tant

que levier de développement du Guipuzcoa (grâce au rapprochement d’acteurs politiques,

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économiques et sociaux du territoire). Pour le Pays basque français, nous avons approché le Conseil de développement du Pays basque.

Pour chacun de ces territoires, nous avons cherché à comprendre d’une part les stratégies de développement territorial à travers leurs marqueurs spécifiques, et d’autre part la place des problématiques sociales dans ces stratégies, et notamment celles de l’insertion socioprofessionnelle et du vieillissement.

Dans le cas du Pays basque français, nous avons également rencontré le président d’une structure pionnière en matière de développement économique (société de capital-risque Herrikoa), pour sa forte implication dans les stratégies de développement économique du territoire. Afin de comprendre les logiques institutionnelles venant soutenir les choix de développement en Pays basque français, nous avons complété notre approche par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bayonne Pays basque, et la Maison de l’Emploi de Bayonne Pays basque.

Nous nous sommes également intéressés aux organisations ad hoc privilégiant des logiques de coopération économique, et venant qualifier des ressources spécifiques dans chacun des territoires, les clusters.

Nous avons choisi des clusters représentatifs de l’économie de chacun des territoires, en termes d’emploi et de PIB, soit les clusters agro-alimentaire, tourisme et BTP en Pays basque français, et les clusters machine-outil, environnement, ainsi que le pré-cluster mobilité et logistique en Guipuzcoa.

En plus de ces clusters illustrant l’économie socle (et traditionnelle) des deux territoires, nous en avons choisi deux autres qui se situent dans des enjeux de mutation d’image, soit le cluster de la glisse en Pays basque français, et celui des technologies de l’information en Guipuzcoa. Nous avons approché ces clusters en tant que marqueurs d’une ressource territoriale déjà qualifiée, mais aussi comme des leviers mobilisant l’action publique et facilitant la mise en synergie des acteurs et des moyens. Les enjeux territoriaux perçus à l’origine pour justifier leur création, les formes de gouvernance sur lesquelles ils s’appuient (avec la mise en évidence du rôle des agences - ou Conseil - de développement), une analyse de leurs répertoires d’action (coordination, communication, innovation technologique/organisationnelle/marketing/sociale, formation, ressources humaines…), la nature des indicateurs de mesure chargés d’en restituer les effets, nous ont aidé à définir les socles de valeurs et les compromis qui en résultent. Nous avons été particulièrement attentifs aux formes d’innovation promues à travers l’aptitude à coopérer des clusters, à la dimension

sociale de cette innovation, et à la présence/absence de préoccupations sociétales dans cette dimension sociale.

C’est à ce titre que nous nous avons approché un institut de formation professionnelle, organiquement lié au cluster machine-outil, intervenant dans la formation de publics en difficulté, et engagé dans une démarche de responsabilité sociale. Nous nous sommes aussi intéressés à une fondation et à une association en Pays basque français car elles interviennent au titre de la responsabilité sociale des entreprises et/ou posent la question du déplacement du travail social au sein des entreprises.

Enfin, nous avons rencontré le cluster santé en Pays basque français, ainsi qu’un dispositif public, le Contrat Local de Santé, pour leur articulation possible avec le secteur de l’AD, et leur contribution éventuelle à l’émergence d’un secteur sociosanitaire en construction.

6. Plan

Notre travail est présenté en trois parties.

La première partie, composée de quatre chapitres permet de poser le cadre d’analyse, à travers les ancrages théoriques et empiriques sur lesquels il s’appuie.

Les aspects théoriques s’attachent à cerner les définitions de l’Economie Sociale et Solidaire, à appréhender les articulations de cette dernière avec les dynamiques territoriales, en détachant le concept de gouvernance territoriale (chapitre 1). Ils présentent aussi les travaux néo-institutionnalistes qui facilitent la démonstration de l’existence d’un travail politique par la mise en évidence d’un ordre institutionnel spécifique à chaque industrie, ou secteur d’activité (chapitre 2). Nous y avons introduit les adaptations nécessaires, afin d’utiliser ce cadre pour l’analyse de deux secteurs relatifs à la fourniture de services sociaux, qui ne sont donc pas des industries. Ensuite il est fait état de l’approche conventionnaliste sur laquelle nous nous sommes appuyés afin de dégager les éventuels compromis qui se construisent entre acteurs, au nom de valeurs plus ou moins convergentes. Après avoir souligné les choix comparatistes effectués (chapitre 3), les matrices territoriales de la Communauté autonome basque (dont le Guipuzcoa) et du Pays basque français sont présentées (chapitre 4), à travers les histoires institutionnelles qui les traversent, les évolutions de l’Etat providence dans un contexte de poursuite de la régionalisation et de la décentralisation, les régimes territoriaux de l’ESS dont elles relèvent, ainsi que les dynamiques démographiques et socioéconomiques qui les sous-tendent.

La deuxième partie de ce travail est consacrée à la comparaison à proprement parler, tant pour l’insertion par l’activité économique (chapitre 5) que pour l’aide à domicile (chapitre 6).

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Pour chacun des deux secteurs, l’ordre institutionnel est analysé dans une perspective comparatiste, au travers de l’équilibre dynamique entre les quatre rapports institués qui le composent. Les orientations prises par la gouvernance territoriale qui en résulte sont analysées au filtre de l’approche conventionnaliste, tant en termes de registre de justification que de recherche éventuelle de compromis.

L’attention particulière portée aux communautés sectorielles et aux réseaux extra-sectoriels des deux secteurs d’activité, facilite une lecture de leurs contributions respectives aux dynamiques territoriales plus larges dans lesquelles ils sont plus ou moins insérés.

Le dernier chapitre de cette seconde partie (chapitre 7) permet de détacher deux notions communes à l’ordre institutionnel de l’IAE et de l’AD : l’empowerment, pouvant être appréhendé à l’échelle individuelle mais aussi collective et territoriale, et la fabrique d’une

nouvelle économie, liant objectifs économiques et sociaux, à travers l’action publique et

l’ensemble des acteurs qui concourent à l’estompement de frontières, entre sphères et secteurs : économique / social ou santé / social.

La troisième partie de ce travail, organisée autour de trois chapitres, traite des articulations entre les dynamiques territoriales repérées dans le Guipuzcoa et en Pays basque français, et l’économie sociale (in fine les deux secteurs d’activité comparés et les problématiques sociales auxquelles ils renvoient).

Le chapitre 8 met en évidence les orientations stratégiques de ces dynamiques sur des temporalités pouvant remonter aux années 1980-1990, à partir des lieux dans lesquels elles se dessinent (diputación, agences, Conseil de développement). Les marqueurs qui les caractérisent sont identifiés, à travers notamment le lien au territoire que ces derniers révèlent. Les clusters, compris comme des formes de coopération économique au service d’une ressource territoriale déjà qualifiée, font l’objet d’une attention particulière dans le but de caractériser les conflits et convergences de valeurs qui les traversent. Ceci dans le but de vérifier s’ils sont orientés tout entiers selon des principes de compétitivité qui répondent à des standards internationaux (PIB, innovation technologique, excellence), entraînant de ce fait leurs territoires d’ancrage sur des pentes identiques, ou s’ils se saisissent également d’enjeux spécifiques et circonstanciés territorialement. Ceci nous conduit à mettre en évidence deux figures de clusters.

Le chapitre 9 traite de la « question sociale » dans ces dynamiques territoriales. Il cherche d’abord à repérer la nature des problématiques sociales identifiées dans chacun des territoires, et les formes de réponse apportées par une diversité d’acteurs, parmi lesquels les professionnels du travail social, mais aussi des acteurs économiques. Il s’intéresse en

particulier aux deux problématiques sociales en prise directe avec les secteurs comparés : l’insertion socioprofessionnelle et le vieillissement. En essayant de mettre en évidence les processus sélectifs assignant à ces problématiques des objectifs multiples au nom de valeurs concurrentes, il tente de décrire de quelle manière les enjeux marchands au nom d’une compétitivité territoriale peuvent être tempérés par d’autres enjeux de nature qualitative au service de l’empowerment individuel et collectif. C’est en ce sens qu’il aborde des concepts susceptibles d’intégrer des enjeux économiques et sociaux, voire sociétaux (comme l’environnement), tels le développement durable, la responsabilité sociale des entreprises, ou l’innovation sociale. Divers exemples empruntés dans les deux territoires illustrent le même souci, émergent et inabouti, d’un ré-encastrement de l’économique et du social.

Ceci nous conduit au dernier chapitre (chapitre 10) où nous élaborons, à partir d’une synthèse récapitulative, l’esquisse d’un système territorial d’innovation sociale.

En portant l’attention sur les figures de compromis tissées par les différents acteurs au service d’un bien supérieur commun susceptible de les rapprocher, nous avons essayé de repérer si une nouvelle forme de lien social était possible.

Cette esquisse aide à identifier non seulement le niveau actuel d’intégration de l’économie sociale (et des problématiques y afférentes), mais aussi les leviers et les freins qui pourraient influencer son processus d’encastrement-désencastrement-réencastrement dans les dynamiques territoriales à venir de la Communauté autonome basque et du Pays basque français. Les cas territoriaux peuvent ainsi servir de support à la conceptualisation de systèmes territoriaux d’innovation sociale. Ces systèmes reposent sur des caractéristiques institutionnelles et organisationnelles, des valeurs, des principes d’action, des moyens et des objectifs. Ils produisent des effets qui permettent d’inscrire ou de réinscrire les populations vulnérables en tant qu’objets et sujets des dynamiques territoriales. Ce sont des systèmes ouverts en interaction avec l’extérieur, suscitant de nouveaux modèles et suscités par d’autres modèles, révélateurs des singularités des matrices territoriales.

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Première partie - L’ESS dans les dynamiques

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