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Les dynamiques territoriales approchées au filtre de différents marqueurs : compétitivité, attractivité territoriale, et innovation

3. Une contribution à cinq dimensions

3.5 Les dynamiques territoriales approchées au filtre de différents marqueurs : compétitivité, attractivité territoriale, et innovation

sociale

La double acception polanyienne de l’économie questionne la notion de compétitivité, qui, à l’échelle des entreprises comme des territoires, repose sur des figures dichotomiques mettant en tension des gagnants et des perdants. En privilégiant des critères uniquement quantitatifs pour signifier des parts de marchés conquises, une balance commerciale excédentaire, elle situe la performance territoriale dans le champ concurrentiel pur. La définition que l’OCDE (2006) donne de la compétitivité : «la capacité à produire des biens et des services qui

passent le test des marchés internationaux tout en maintenant des niveaux de revenus élevés et durables »3 invite à ne retenir comme ressource que ce qui contribue à cette performance. Le concept polymorphe de compétitivité des territoires est aujourd’hui rattrapé par celui d’attractivité, car dans la communauté des économistes, la notion d’attractivité paraît pouvoir faire plus facilement l’objet de mesure, et en cela pouvoir être utile à l’action publique (Friboulet, 2010). Les déterminants classiquement retenus de l’attractivité sont la taille du marché du territoire considéré, le coût du capital et du travail et l’existence d’entreprises complémentaires ou concurrentes dans le processus de production (Friboulet, 2010 ; Coeuré, Rabaud, 2003). La géographie économique, avec notamment les travaux de Krugman (1991) montre que les territoires ne sont pas homogènes et qu’appréhender l’attractivité ne se réduit pas à une analyse des différentiels de coût d’installation pour les entreprises. Cela amène à introduire dans l’analyse une dimension hors-prix prenant en compte des variables telles que les stratégies d’insertion dans les échanges, la qualité des infrastructures et des institutions, le niveau du capital humain, l’environnement des affaires, … (Coeuré, Rabaud, 2003 ; Friboulet, 2010 ; Mussont, 2010), la qualité de vie. Concept multidimensionnel (Le Roy, Ottaviani, 2011), l’attractivité mobilise les ressources d’un territoire, et notamment ses ressources intrinsèques, ni reproductibles, ni transférables.

C’est en ce sens que certains auteurs (Friboulet, 2010) ont pu proposer une approche plus ouverte de l’attractivité, non plus appréhendée comme un état de fait, mais une mise en

3 Cité dans « La compétitivité territoriale – rapport de synthèse de la Direction générale de l’aménagement du territoire du Maroc (2010) : 11 ».

capacité, rejoignant l’approche des capabilités de Sen (1980, 1992). L’enjeu d’un croisement entre des approches quantitatives et qualitatives de l’attractivité apparaît, et en corollaire, la nécessité de disposer d’instruments de mesure adaptés qui en restituent toute la complexité. A partir des capabilités et non pas de l’utilité, Sen étaye le concept d’empowerment, dans un contexte où la pauvreté serait la privation d’un ensemble de capabilités de base, et la réduction des inégalités de capabilités à comprendre à la fois comme une fin en soi, et un moyen d’assurer le développement (d’un pays, d’un territoire), défini lui-même comme processus d’expansion des libertés réelles. Cette notion nous semble intéressante, y compris dans notre approche (où nous touchons deux territoires occidentaux aux indicateurs de richesse élevés) pour laquelle il s’agit d’interroger les modèles de développement existants au regard de leur capacité à traiter des problématiques touchant des populations vulnérables. L’IAE pose la question de l’empowerment, pour des personnes cumulant des difficultés en termes de capabilités reconnues et valorisables : faible qualification professionnelle, éloignement des conditions d’accès à un emploi ordinaire, difficultés personnelles et/ou sociales… L’AD la pose différemment, pour deux catégories de personnes. D’une part, les professionnels intervenant à domicile, majoritairement des femmes, faiblement ou pas qualifiées, relevant parfois de collectifs en difficulté, notamment lorsqu’il s’agit de populations migrantes. D’autre part, les personnes dépendantes elles-mêmes (et leurs familles), pour lesquelles le service proposé se situe au cœur d’une tension permanente entre accompagnement au maintien de l’autonomie et prise en compte d’une situation de dépendance avérée.

La dimension de l’empowerment territorial pourrait d’ailleurs constituer l’un des axes de l’innovation sociale (Richez-Battesti, 2007) produite ou recherchée par l’économie sociale, et qu’en raison d’une « normativité produite en dehors d’elle et susceptible de l’enrôler » (Higelé, Lhuillier, 2014 : 7), nous pourrions assigner, dans un renversement de perspective, en tant qu’objectif aux dynamiques économiques territoriales.

Les instruments de la compétitivité et de l’attractivité territoriale, privilégiant des logiques de coopération, tels qu’agences de développement et clusters, pourraient générer des formes d’innovation sociale, accréditant ainsi l’acception selon laquelle « toute l’innovation sociale

n’est pas le seul fait de l’ESS » (Richez-Battesti et al., 2012 : 6). Il s’agirait alors de

comprendre si ces formes d’innovation poursuivent une visée utilitariste par recherche d’adaptation à la société capitaliste et à l’ordre marchand (Schumpeter, 1998, 1942), ou si elles esquissent l’ébauche d’un projet transformateur de la société, rejoignant ainsi l’ambition des perspectives polanyiennes assignées à tort ou à raison au champ de l’ESS.

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A cet effet, la mesure de la compétitivité ou de l’attractivité pose la question du choix des indicateurs pertinents chargés d’en rendre compte. Si le PIB a fait office d’étalon universel pour apprécier la compétitivité d’une nation et partant d’un territoire, la capacité de cet indicateur à traduire la réalité de la production de richesse d’un territoire est à présent questionnée, tant chez certains économistes (Stiglitz, 2009) que dans les organisations internationales (OCDE). Le débat qui en résulte renvoie in fine à qualifier ce qu’est la richesse d’une nation, et donc d’un territoire (Viveret, 2002). Il ouvre dans cette perspective des dimensions autres que monétaires, autres que marchandes, à la marge des registres de quantification, en plaçant au cœur de la richesse des notions éminemment subjectives, relatives à la gratuité, aux échanges humains, à la perception de bien-être par les populations. La question de la mesure est déterminante tant pour révéler la richesse, et donc les dynamiques territoriales qui la produisent, que pour orienter l’action publique (Le Roy, Ottaviani, 2012). Finalement, ces travaux montrent que la nature des informations à sélectionner pour qualifier la richesse d’un territoire, les processus et procédures qui aident à opérer ces choix, présentent autant d’importance que l’instrument de mesure (indicateur agrégé, tableau de bord) lui-même (Le Roy, Ottaviani, 2011).

Les clusters ont été approchés en tant qu’instruments de la compétitivité territoriale, en Communauté autonome basque notamment (Azua, 2003 ; Mitxeo Grajirena et al., 2003). L’importance économique et politique de la Communauté autonome basque, la multiplicité des expériences d’Economie Sociale, dans le domaine coopératif, l’émergence de modèles économiques territoriaux très fortement inspirés des approches de Porter (1998), ont suscité de nombreux travaux de recherche sur les liens entre clusters, développement local et dynamiques territoriales de cette région.

Certains travaux (Larrea Aranguren, 2003) considèrent que la relation entre clusters et territoire décrit un vrai défi pour le développement local de la Communauté autonome basque. En analysant les appuis institutionnels dont ces clusters bénéficient, ils mettent en opposition le modèle générique inspiré de Porter, relevant d’une démarche plutôt descendante en provenance du gouvernement régional, à celui porté par les travaux de Beccatini (1992), plus ascendant, adossé aux agences de développement et spécifique de la province du Guipuzcoa. En favorisant des logiques de coopération, les clusters territoriaux décriraient des formes d’innovation sociale, au sens organisationnel de la notion de « social », tout comme les agences de développement. Ils viendraient caractériser une conception institutionnaliste de l’innovation par la dimension collective de l’organisation, renvoyant à une gouvernance partenariale. La forme entrepreneuriale ne serait ainsi plus réifiée, car elle deviendrait le

support d’une association large de parties prenantes, avec une conception originale de la valeur s’inscrivant dans le long terme, l’intérêt du groupe (Richez-Battesti et al., 2012), voire du territoire.

4. Hypothèses de recherche

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