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LA PROTECTION DES DROITS DE L'ENFANT DU JEUNE MIGRANT Les droits de l’enfant, en tant qu’éléments d’un ensemble organisé, doivent

LES ENFANTS MIGRANTS VUS AU TRAVERS DE LA CONVENTION RELATIVE AUX DROITS DE L’ENFANT

B. LA PROTECTION DES DROITS DE L'ENFANT DU JEUNE MIGRANT Les droits de l’enfant, en tant qu’éléments d’un ensemble organisé, doivent

intégralement profiter à tous les enfants étrangers quel que soit leur statut juridique dans le pays d’accueil. Cette affirmation, volontairement catégorique, va être

atténuée car, loin d’être uniforme, le monde des enfants migrants révèle des statuts divers qui influencent fortement la jouissance des droits de l’enfant. Dans un cas comme dans l’autre, la Convention relative aux droits de l’enfant est un instrument

qui va permettre de resserrer les mailles du filet des droits individuels pour assurer à chacun le niveau de protection le plus décent possible.

1.La protection des liens familiaux et de la vie privée

Le privilège accordé aux liens familiaux d'origine est une constante dans la

Convention relative aux droits de l'enfant (art. 5, 7, 9, 16, etc.). Les garanties offertes valent bien entendu pour toutes les catégories de mineurs, de manière adaptée aux circonstances particulières de chaque groupe: enfants placés, enfants adoptés, enfants en institution ou privés de liberté, etc. La Convention aborde deux aspects spécifiques qui concernent les liens familiaux des enfants étrangers: les enfants réfugiés ont droit à ce que des recherches de famille soient entreprises et qu'il soit travaillé à la réunion des groupes familiaux (art. 22.2). De manière plus générale, le regroupement familial est une institution qui doit être renforcée (art. 10.1). Il est à noter que, selon le Comité des droits de l'enfant, ces garanties doivent profiter au plus grand nombre, donc également – selon les cas – aux réfugiés et aux personnes déplacées à l'intérieur d'un pays. La réglementation retenue est particulièrement marquante de la marge de manœuvre que les gouvernements se sont réservée: le regroupement familial reste livré à l’appréciation de l’Etat d’accueil. La Convention relative aux droits de l’enfant n’énonce pas de "droit au regroupement familial", mais seulement une obligation de considérer toute demande allant dans ce sens "dans un esprit positif, avec humanité et diligence" (art. 10.1). La Convention sur les droits des travailleurs migrants se situe dans la même ligne en incitant les Etats à prendre les "mesures qu’ils jugent appropriées […] pour faciliter la réunion des travailleurs migrants avec leur conjoint […] ainsi qu’avec leurs enfants à charge mineurs et célibataires" (art. 44.2). En dépit de la modestie des exigences, plusieurs Etats ont manifesté leur souci de rester encore en deçà de cette pétition de principe. Au moment de la discussion de ces réserves, il est fort probable que le Comité des droits de l'enfant se montre critique: plutôt que de se contenter d'examiner la réserve et de la condamner, il analyse la situation sous l'angle de ses effets pervers sur les enfants et en particulier sur la garantie des principes de base sont la non-

discrimination et l'intérêt supérieur de l'enfant.

Les traités internationaux relatifs aux droits de la personne reconnaissent le droit à la protection de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH, art. 16 CDE). En Europe, il en a découlé une importante jurisprudence que les Etats d'accueil se doivent de

respecter. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'installation de longue date d'une famille étrangère dans le pays d'accueil, voire la naissance des enfants dans ce pays sont des éléments déterminants dans l'application de l'article 8 CEDH. Les juges ont estimé que la protection due à la vie privée et familiale pouvait faire obstacle à l'expulsion d'un jeune étranger, même délinquant, du moment que toute sa famille réside dans le pays d’accueil. L'article 16 CDE protège les mêmes biens que l'article 8 CEDH et doit servir les intérêts des enfants migrants, y compris ceux des requérants d'asile mineurs qui sont parfois, eux aussi, nés dans le pays

d'accueil.

Le droit au respect de leur vie privée est, à notre point de vue, sollicité par le fait que l'enfant a déployé sa vie dans le pays d'accueil et s'y est constitué une personnalité. Celle-ci pourrait être détruite ou extrêmement mise à mal par une "rupture brutale", qui serait réalisée dans des conditions difficiles et vers un pays inconnu. La

perturbation grave de la scolarisation et des perspectives d’avenir, la perte de repères physiques, affectifs et linguistiques importants et difficiles à reconstituer, les

capacités insuffisantes de prise en charge par des personnes et des structures du pays de destination sont des éléments à prendre en considération. A ce stade de décision, l'intérêt supérieur de l'enfant et les exigences posées par l'article 16 de la Convention appellent peut-être à un changement des pratiques d'expulsion. Ils fondent un droit de l'enfant à un examen particulier de sa situation, même si ce mineur est inscrit dans un milieu familial. La protection de la sphère privée de la personne mineure requiert que l’exigibilité du départ soit discutée et que des

considérations de protection de l'enfance soient incluses dans le dossier, pour ce qui est de sa vie ici comme dans le pays où il doit retourner. Il faut relever à cet égard qu'à la différence de l'article 8 CEDH, l'article 16 CDE ne contient aucune clause limitative de la garantie du droit à la vie privée et familiale basée sur les arguments de sécurité publique ou économique.

Nous ne saurions conclure sur ce point sans évoquer les situations dans lesquelles les parents décident de leur propre chef de renvoyer leurs enfants et plus

particulièrement leur(s) fille(s) dans le pays d'origine aux fins de parfaire leur

éducation. Sans entrer ici dans la problématique complexe de l'"effet horizontal" des droits de la personne, il nous paraît que les autorités des pays d'accueil sont

habilitées à intervenir pour empêcher la réalisation de tels projets au nom du droit de l'enfant à la parole et de la prise en compte de son intérêt supérieur.

2. Les enfants migrants clandestins ou refoulés

Que ce soit suite au refus de quitter le pays ou à une entrée sans autorisation de séjour, des enfants se retrouvent en tant que clandestins dans le pays d'accueil. D'autres se situent dans une zone grise, celle du refoulement qui ne peut être exécuté vers leur pays d'origine ou un pays tiers. L'exigence de non-discrimination, nous l'avons vu, met l'enfant étranger au même niveau que l'enfant indigène et ne pose, théoriquement du moins, pas de problème de jouissance des droits de l'enfant. Bien différente est la situation de l'enfant étranger clandestin ou refoulé qui vit dans un pays en y ayant peu sinon aucune légitimité; en d'autres termes, c'est un enfant qui fait face à un fort risque de "ne pas exister". A la précarité de son statut juridique s'ajoute la négation de sa personne et de ses droits.

L'immigration illégale, parce qu'elle doit et veut échapper au droit, exclut-elle pour autant la jouissance des droits de l'enfant ? L'attitude du gouvernement suisse face à cette question est révélatrice: à l'instar du Japon et du Liechtenstein, la Suisse a ouvertement émis une réserve à l'article 10 de la Convention. Sa législation actuelle ne permet pas encore le regroupement familial pour toutes les catégories

d'étrangers; de l'avis du gouvernement, "les personnes qui entrent en Suisse sans l'autorisation nécessaire ne peuvent tirer aucun droit de leur séjour illégal".

2.1. L'applicabilité des droits de l'enfant

L'enfant clandestin, au premier regard, échapperait à la juridiction de l'Etat d'accueil donc au champ d'application de la Convention, parce que cet Etat rejette la légalité de sa présence. Cette vision contraste avec le but même de la Convention qui est de garantir la dignité et d'offrir le bénéfice de certains droits à "tout être humain âgé de moins de dix-huit ans" (art. 1), d'imposer aux Etats un engagement envers tous ceux qui relèvent de leur juridiction (art. 2) et de prendre en compte l'intérêt supérieur de chaque enfant (art. 3). Le caractère universel des droits de l'enfant, que renforcent les termes du Préambule de la Convention, veut qu'aucun mineur n'échappe à la

protection des Etats parties. Il en résulte que la juridiction de l’Etat sur les enfants étrangers ne saurait être exclue du fait d'une présence illégale ou tolérée sur son territoire.

Certes, il n'est pas dans la tradition des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne de bouleverser les politiques d'immigration. Mais ils ont la mission d'humaniser ces attitudes, même si chaque tentative d'élargir les garanties

accordées aux migrants clandestins constitue un combat, une épreuve du feu. C'est à cette tâche que s'est attelé le Comité des droits de l'enfant.

2.2. Un "noyau" de droits fondamentaux

Sauf à vouloir continuellement légaliser l'immigration illégale, mission qui semble sinon impossible du moins irréalisable face aux mouvements migratoires actuels, une partie des enfants étrangers va rester confinée dans un statut précaire marqué par l'inexistence légale, la tolérance ou l'attente d'un hypothétique départ (enfants de migrants refoulés).

En défendant une "approche holistique" des droits de l'enfant, le Comité des droits de l'enfant a voulu signifier qu'aucun droit ne doit être traité prioritairement ou secondairement; il en va par conséquent de même du traitement réservé aux enfants.

Ainsi le Comité se penche-t-il régulièrement sur la situation des enfants migrants illégaux ou en voie d'expulsion dans les Etats industrialisés, et il a formulé des recommandations claires à ce sujet. S’agissant de la Belgique, il s’est déclaré

particulièrement inquiet "de ce que des mineurs non accompagnés dont la demande d’asile a été rejetée, mais qui peuvent demeurer en Belgique jusqu’à 18 ans, risquent d’être privés d’une identité et du plein exercice de leurs droits, notamment du droit aux soins médicaux et à l’éducation". De même, il a recommandé à l’Allemagne de revoir la question des enfants demandeurs d’asile et réfugiés; les réformes devraient viser à mieux mettre en oeuvre les dispositions de la Convention relatives à la non- discrimination, à l’intérêt supérieur de l’enfant, aux relations parents-enfants, au regroupement familial, à l’écoute de l’enfant, à la protection des enfants réfugiés, à l’accès à l’assistance juridique et au droit de contester la légalité de leur détention. Le Comité des droits de l'enfant a complété l'énumération des services à offrir aux requérants d'asile et autres étrangers déboutés d'une remarque essentielle: ils doivent reposer sur une base légale et non sur une situation de fait qui serait créée ou tolérée par les autorités.

Dans cet ordre d'idées, les réserves portant sur le regroupement familial ne peuvent avoir qu'une portée restreinte: elles ne dispensent pas les Etats qui s'opposent à l'entrée de la famille du travailleur migrant d'offrir aux enfants qui seraient sur leur territoire un traitement respectueux de leurs droits essentiels. On assiste donc à l'émergence d'un noyau de garanties minimales qui doivent permettre à l'enfant de survivre dignement dans un pays autre que le sien. Le "noyau dur" des droits de l’enfant migrant en situation précaire inclut, à notre avis, le droit à la vie et les éléments consubstantiels du droit de l'enfant à la dignité que sont le droit à une identité, la défense des liens familiaux, la protection contre les mauvais traitements intrafamiliaux et extrafamiliaux (y compris l'exploitation sous toutes ses formes), la protection de la santé, l’assurance d'un niveau de vie minimal, le droit à l'éducation et des garanties judiciaires minimales. Le but en est l'établissement d'un système global

de protection.

Est-ce une bonne ou une mauvaise chose que l'on en arrive là ? Un point est certain: l'entrée en vigueur de la Convention doit conduire à une amélioration de la situation des enfants clandestins, dont la clandestinité est d'ailleurs souvent tout à fait connue et même assumée par les autorités de nombreux pays d'accueil.

2.3. La défense des migrants illégaux: détention, représentation légale et examens médicaux

Trois points nous paraissent dignes d'être mentionnés. Il est d'usage, dans nombre de pays, de détenir des mineurs refoulés notamment en vue de préparer leur départ et d'éviter qu'ils ne se fondent dans la nature une fois que la décision de renvoi est tombée. Ces législations posent un problème de fond sous l'angle des droits de l'enfant: comment en effet légitimer le principe de la détention des migrants illégaux mineurs au regard du droit international ? Celui-ci demande en effet que toute privation de liberté, qu'elle soit de nature pénale, administrative, éducative ou

sanitaire, soit la solution de dernier recours et de la durée la plus brève possible (art. 37.b CDE). Nous conclurons au caractère sinon illégal du moins fortement discutable du principe de détention, dès le moment où aucune autre méthode de contrôle ou de surveillance du jeune migrant en question n'a été recherchée et appliquée.

Quant aux conditions de détention même, il paraît évident qu'elles doivent respecter les exigences internationales notamment en ce qui concerne la prise en charge par un personnel formé, la possibilité d'exercer des activités ou un travail, de pratiquer l'exercice physique et d'avoir accès à des moyens culturels, de rester en contact avec sa famille, etc.

Si l'enfant requérant d'asile, migrant débouté, migrant face à une procédure ou migrant détenu n'est pas accompagné d'un parent, ou si le parent n'est pas à même d'assumer son rôle ou de le représenter, le droit de bénéficier d'un appui juridique particulier doit lui être reconnu. Cette exigence découle directement de la Convention qui la stipule en relation avec la privation de liberté (art. 37.d CDE). S'agissant des autres aspects de sa situation, ce droit découle d'une considération particulière: l'enfant a le statut juridique de mineur, ce qui généralement l'empêche d'exercer personnellement l'ensemble de ses droits. Dans un pays comme la Suisse, il est admis qu'un mineur capable de discernement puisse lui-même déposer une

demande d'asile ou recourir contre une décision d'expulsion. Mais de quels moyens dispose le très jeune mineur ? Les droits que lui reconnaît la Convention resteront lettre morte tant qu'aucun adulte ne prendra le relais du parent défaillant, sous la forme d'une tutelle ou d'une curatelle. Cette assistance doit pouvoir se manifester à tous les stades des procédures en cours, ainsi qu'au moment des enquêtes

destinées à déterminer si et dans quelles conditions le mineur pourrait regagner son pays d'origine ou un pays tiers.

Un autre aspect, qui a récemment fait l'objet d'une jurisprudence en Suisse, est celui de la détermination de l'âge des requérants d'asile, migrants illégaux ou mineurs étrangers en situation d'infraction pénale. Certains se disent mineurs pour bénéficier du traitement spécial réservé aux moins de dix-huit ans, mais leurs allégations suscitent des doutes. Le recours à la pratique des radiographies du poignet pour les requérants d'asile a suscité de nombreuses critiques. Il s'agit à l’origine d'une mesure d'investigation développée dans un but thérapeutique pour permettre notamment de déceler les troubles de la croissance chez les enfants. Pouvait-elle être détournée de son but et utilisée, dévoyée même, aux fins de contrôle de l'immigration ? La

Commission suisse de recours en matière d'asile a jugé la pratique illégale en raison du caractère discutable des conclusions qui peuvent en être tirées (impossibilité de prouver l’âge, donc la minorité ou majorité, avec précision). L'absence de libre consentement à l'acte de radiographie, face à ce qui doit être considéré comme une atteinte à la sphère privée, n’a en revanche pas encore été discutée.

CONCLUSION

Par définition, les enfants migrants vivent dans un pays étranger, parfois ils y sont nés. C'est donc l'Etat d’accueil qui exerce une influence immédiate sur le respect de leurs droits fondamentaux tels que les énoncent les instruments internationaux et en particulier la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Certes, en application du droit international actuel, les Etats sont maîtres de la décision

d’accepter des enfants étrangers sur leur territoire. En revanche, leur liberté est limitée pour tous ceux qui se trouvent déjà – légalement ou non – sous leur

juridiction. L’envergure des droits dus à l’enfant d’origine étrangère est en discussion et a tendance à s'étendre. Sont notamment touchés les domaines de la protection, de la scolarisation et de l'accès aux soins médicaux pour l'enfant résident toléré, et la préparation des décisions relatives au renvoi qui doivent être compatibles avec l’intérêt supérieur et l’écoute de l’enfant. Ces mesures ne doivent plus relever de la charité, mais du droit interne. Elles représentent souvent autant de défis pour des Etats qui sont bien plus occupés à décourager l'immigration ou, au mieux, à juguler une opinion publique défavorable aux migrants de toutes sortes ou d'une origine particulière.

Nous avons sciemment laissé de côté la question de l’intégration des enfants

étrangers. La notion est plus politique que juridique et requiert un faisceau d’actions et de services. Elle ne figure pas en tant que telle parmi les exigences de la

Convention relative aux droits de l’enfant. Toutefois, si l’on se réfère au but ultime des droits des enfants, qui est la promotion de leur dignité de personne humaine et leur préparation à une vie responsable, il est possible de dire que ces droits

appellent à une politique intégrative. C'est dire toute la mesure des efforts qui sont encore attendus des gouvernements pour que leurs pratiques migratoires ne se déploient pas dans un sas totalement hermétique aux exigences des traités sur les droits des personnes.