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CHRISTIANE PERREGAUX Professeure, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Genève

Résumé

L’auteure nous présente des expériences éducatives qui se construisent avec des élèves d’origines diverses, afin d’« apprendre en apprenant à vivre ensemble ». Ces pratiques éducatives ont pour nom Eveil au langage/Ouverture aux langues (EOLE), et se basent sur la construction sociale de l’apprentissage, en réunissant des élèves autour d’une tâche et en les incitant à mettre en jeu leurs connaissances diverses.

Ces méthodes éducatives distinguent trois groupes de langues : la langue de scolarisation, les langues de la population scolaire et les langues enseignées à l’école. Elles ont l’ambition de proposer des activités scolaires qui tiennent compte des trois groupes de langues, dans l’apprentissage, l’accueil et la reconnaissance des savoirs « langagiers » des élèves.

Resumen

La autora nos presenta las experiencias educativas desarrolladas con alumnos de orígenes diversos, con la finalidad « de aprender aprendiendo a vivir juntos ». Estas prácticas educativas reciben el nombre de « Eveil au langage/ouverture aux langues » (EOLE), y se basan en la construcción social de aprendizaje, reuniendo a los alumnos alrededor de una labor concreta e incitándoles a poner en juego sus diferentes conocimientos.

Estos métodos educativos diferencian tres grupos de lenguas : la lengua de la escolarización, las lenguas de la población escolar y las lenguas impartidas en la escuela. Éstos persiguen la ambición de proponer diferentes actividades escolares que tengan en cuenta los tres grupos de lenguas en el aprendizaje, en la acogida y en el reconocimiento del saber lingüístico de los alumnos.

Summary

The author presents educational experiments which are conducted by using students of various origins, in order to “learn while learning how to live together”. These

educational practices are called “Eveil au langage/Ouverture aux langues(EOLE)”, and are based on the social construction of learning, by reuniting students around one task and by inciting them to bring into play their various knowledge.

These educational methods distinguish three language groups : the language of schooling, the languages of the academic population and the languages taught in schools. They aim to introduce academic activities that take into account the three language groups, in learning, recognition and comprehension of "linguistic"

knowledge of the students. Zusammenfassung

Die Autorin zeigt die Erfahrungen aus der Erziehung, die man mit Schülern

verschiedenster Herkunft aufgebaut werden, damit man „lernt, gemeinsam leben zu lernen“.

Diese erzieherischen Praktiken nennen sich „Eveil au langage/ouverture aux langues“ (EOLE) (Wecken zum Gespräch/Öffnung zu den Sprachen) und stützen sich auf die soziale Grundlage der Ausbildung. Die Schüler werden mit einer Aufgabe

betraut, die sie dazu anregen soll, ihre unterschiedlichen Kenntnisse einzubringen. Diese Erziehungsmethoden unterscheiden drei Sprachbereiche: die Schulsprache, die Muttersprachen der Schüler und die Fremdsprachen, welche an der Schule unterrichtet werden. Diese Erziehungsmethoden wollen schulische Aktivitäten

anbieten, die diesen drei Sprachgruppen im Lernen, Aufnehmen und Anerkennen der sprachlichen Kenntnisse der Schüler gerecht werden.

Permettez que je laisse d’abord les élèves d’une classe de Genève vous souhaiter le bonjour. Dans cette classe de quartier les élèves qui sont aujourd’hui la jeunesse de Genève sont suisses depuis longtemps, d’autres depuis plus récemment, d’autres sont confédérés (viennent d’autres régions de Suisse) ou encore sont issus de familles migrantes économiques, sont requérants d’asile, clandestins.

En commençant ce moment de réflexion sur les expériences éducatives qui se construisent avec les ressources des élèves d’origines diverses, j’aimerais bien cadrer mon propos. En effet, je ne m’attarderai pas sur les divers dispositifs mis en place dans les systèmes éducatifs pour l’accueil des nouveaux élèves. On peut reconnaître brièvement l’existence de structures qui vont de l’intégration immédiate des élèves dans des classes ordinaires à une séparation totale entre nationaux et étrangers. Il serait trop long ici d’analyser les aspects positifs et négatifs des différents modèles. Ce qu’on peut dire brièvement, c’est que fréquemment les structures de séparation emmènent les élèves vers de nouvelles ruptures – et sont souvent stigmatisées dans un établissement scolaire alors que l’accueil des élèves nouvellement arrivés dans des classes ordinaires prend tout sons sens lorsque la collaboration s’installe entre des enseignants ou d’autres partenaires notamment pour développer le lien enseignant-enseigné. L’important pour les élèves récemment arrivés, en immersion totale ou partielle c’est de ne pas se noyer, de ne pas se sentir submergé par des situations dont les repères lui manquent pour leur donner du sens. Mais pour ces questions, je vous renvoie aux travaux de Doudin et König qui traitent de la question avec des arguments très intéressants.

La question finalement est de savoir quels sont les objectifs des structures – intégrer mais on ne s’intègre pas tout seul – l’intégration demande que la place de chacun soit redéfinie dans la classe, dans l’école ou la société – Est-ce que c’est protéger certains élèves des autres et lesquels ? Est-ce que c’est construire avec les élèves d’aujourd’hui le destin commun d’une commune, d’une région, d’un pays.

Mais revenons donc aux pratiques éducatives – et je prendrai particulièrement celles que je connais assez bien et qui ont pour nom Eveil au langage/Ouverture aux

langues, en allemand Begegnung mit Sprachen et en anglais Language Awareness.

Ces pratiques se base sur des théories où l’apprentissage se construit socialement – nécessite la décentration, la confrontation à un obstacle, la modification,

l’élargissement de ses connaissances antérieures. Les élèves se retrouvent autour d’une tâche où ils peuvent mettre en jeu leurs connaissances diverses – une multiréférentialité – ou une multiperspectivité –

Les élèves ont travaillé sur les couleurs et ont observé que la classe possédait des ressources linguistiques importantes – qui ont été mises en évidence – l’intérêt est d’observer et d’analyser les ressemblances et les différences et de revenir à la langue d’enseignement en prenant conscience de son propre fonctionnement. Ainsi les autres langues participent aussi explicitement à l’apprentissage de la langue d’enseignement. Serres met en évidence l’entre-deux, ce lieu de l’apprentissage où l’architecture des savoirs individuels se réélabore. La multiréférentialité ouvre l’entre- deux, lui donne du sens. Dans les pratiques d’Eveil au langage/Ouverture aux langues c’est bien de cela dont il s’agit. Prenons l’école et les langues qui la

traversent. On peut distinguer trois groupes qui n’ont pas tous le même poids dans la balance scolaire :

1) La langue de scolarisation (ou les langues de scolarisation si on se trouve dans un système bilingue – cette langue est importante pour plusieurs raisons : elle est la langue de l’enseignement, la langue de l’environnement, de l’espace public, la langue commune dans un lieu donné.

2) Les langues de la population scolaire : des langues dans lesquelles les élèves ont construit et continuent à construire certains savoirs, vivent des expériences

particulières, des relations affectives souvent très fortes. Ces langues peuvent être tout à fait locales comme des patois, ou régionales (comme le Gallego), ou

nationales (comme l’albanais), de petites ou de grandes diffusion à travers le monde (comme le néerlandais ou le hassania ou comme le swahili, le hindi, l’arabe ou le portugais).

3) Les langues enseignées à l’école : ces langues ne seront pas les mêmes selon les régions, les pays, les enjeux économiques, culturelles et politiques qui y sont liées. Les pratiques EOLE ont l’ambition de proposer des activités scolaires qui tiennent compte de ces trois groupes de langues et pourquoi pas d’en insérer d’autres encore si l’objectif poursuivi le demande. Le postulat est très claire – les comparaisons entre langues, le travail d’observation, d’analyse de corpus de divers langues seront

favorables à l’apprentissage. Certes d’abord à l’apprentissage des langues mais également à l’investissement scolaire des élèves et spécialement de ceux qui trouvent de la difficulté à donner du sens à ce que l’école leur propose.

Pourquoi cela ? Parce que les activités qu’EOLE a inclues dans l’apprentissage sont l’accueil et la reconnaissance des savoirs langagiers des élèves. Le nouvel élève arrive dans un environnement dont il ne connais pas la langue ni les références culturelles quotidiennes, mais il a ses propres connaissances et c’est à partir d’elles qu’il va apprendre. Il verra dans les activités EOLE que toutes les langues sont égales en dignité et en potentialité communicative même si elles n’ont pas la même place dans le marché des langues. Lorsqu’on connaît le poids symbolique de la reconnaissance des langues, le sentiment d’appartenance que la langue constitue, nous voyons l’intérêt de travailler cette question en classe, quelque soit d’ailleurs la population qui la compose.

Je n’ai pas le temps ici de développer tous les aspects de ces pratiques mais j’aimerais m’arrêter sur deux points : la reconnaissance des connaissances des élèves – par un jeu de détour - et l’intérêt de travailler avec les élèves sur les migrations des hommes et des langues.

1) Selon leur vécu et leur représentation de l’école, les élèves ont parfois de la difficulté à répondre à une injonction frontale de l’enseignant : dis-moi ce que tu sais – dis-moi qui tu es – dis-moi ton passé – Mais à travers une histoire à laquelle les enfants peuvent s’identifier, l’espace s’ouvre à la propre parole de l’élève :

Dans la biographie langagière de la Petite fille quetchua, on voit bien le mécanisme de passage de l’autre à soi.

2) Les activités EOLE rompent les murs qui s’érigent parfois entre langues et veulent proposer des activités où les élèves reconnaissent dans les langues qu’ils

connaissent les traces de l’aventure humaine – une aventure souvent belliciste – conquérante - mais une aventure qui mêlent les hommes depuis le début des temps – une façon d’assouplir les enfermements, de réduire les puretés meurtrières. Je n’ai donc pu ici que vous donner un aperçu des modalités d’approches offertes par ces nouvelles pratiques. Vous avez pu voir comment à travers

l’enseignement/apprentissage, les élèves pouvaient partager leurs ressources, les mettre au service de l’apprentissage de tous. Comment des pratiques éducatives peuvent aujourd’hui rompre avec la monoculturalité et le monolinguisme pour

proposer aux élèves un autre rapport au savoir et aux langues. Ces pratiques ont de multiples objectifs - elles sont à la fois nécessaires, subversives dans la mesure où elles créent des liens et rendent les frontières poreuses. On pourrait résumer ces pratiques par ces mots : apprendre en apprenant à vivre ensemble.