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Médiation et interculturalité en situation migratoire : la posture du médiateur

ABELHAFID HAMMOUCHE Maître de conférences, chercheur, Université Lumière Lyon 2 (France)

Résumé

L’auteur analyse la situation migratoire et le rôle du médiateur dans le domaine de l’interculturalité, en accordant une courte place à la langue, support d’expression des structures des sociétés. Les définitions de l’enfance et de l’adolescence servent de critères de l’évolution de la situation migratoire.

La situation migratoire se présente comme un processus dynamique. L’enfant migrant est membre d’une famille communautaire, et joue un rôle essentiel dans la restructuration de la famille vers une famille d’individus en entrant en contact avec une nouvelle société.

La médiation interculturelle poursuit le but d’amener les étrangers à s’intégrer dans la société. Il existe deux types des médiation : la médiation spontanée, où le médiateur se présente comme celui qui représente l’identité du groupe, et la médiation

interculturelle formelle, de caractère exogène, provenant d’un tiers qui ne représente plus le groupe.

Resumen

El autor analiza la situación migratoria y el papel del mediador en el campo de la « interculturalidad », ofreciendo un breve lugar a la lengua, como soporte de expresión de las estructuras de la sociedad. Las definiciones del niño y del adolescente sirven como parámetros en la evolución de la situación migratoria. La situación migratoria se presenta como un proceso dinámico. El niño migrante es miembro de una familia comunitaria, y juega un papel esencial en la reestructuración de la familia hacia una familia de individuos al entrar en contacto con una nueva sociedad.

La mediación intercultural persigue la finalidad de ayudar a los extranjeros a

integrarse en la sociedad. Existen dos tipos de mediación : la mediación espontánea, donde el mediador se nos presenta como el representante de la identidad de grupo, y la mediación intercultural formal, de carcater exógeno, proveniente de un tercero que no representa más al grupo.

Summary

The Author analyses the migratory situation and the role of the mediator in the field of interculturality, with a brief look at language, the support system for the structures

of society. The definitions of childhood and adolescence serve as the criteria for evolution of migration.

Migration is presented as a dynamic process. The migrant child is part of a communal family, and plays an essential role in the reconstruction of the family, towards a family of individuals coming into contact with a new society.

Intercultural mediation pursues the goal of integrating strangers into a society. There are two types of mediation. First, there is spontaneous mediation, where the mediator presents himself as the one who represents the identity of the group. Second, there is formal intercultural mediation, of exogenic character, coming from a tier, which no longer represents the group.

Zusammenfassung

Der Autor analysiert die Migration und die Rolle des Mediators im interulturellen Bereich. Dabei streift er auch kurz die Problematik der Sprache, welche als Grundlage des Ausdrucks der Gesellschaftsstrukturen dient. Die Definitionen von Kindheit und Jugend sind Kriterien dafür, wie sich die Migration entwickelt.

Die Voraussetzungen zur Migration bilden einen dynamischen Prozess. Der

migrierende Jugendliche ist Teil einer Familiengemeinschaft und spielt eine wichtige Rolle in der Umwandlung einer Familie in eine Gemeinschaft von Individuen, die mit einer neuen Gesellschaft in Kontakt treten.

Die interkulturelle Mediation hat zum Ziel, die Ausländer in die Gesellschaft zu integrieren. Es gibt zwei Arten von Mediation: die spontane Mediation, wo der

Mediator als Vertreter der Identität der Gruppe auftritt, und die formelle interkulturelle Mediation, wo der Mediator von aussen her und ohne Anspruch auf Vertretung der Gruppe vorstellig wird.

Définir une pratique, au sens large, nécessite de la situer. Dire alors le contexte, et plus précisément la conjoncture revient à énoncer les conditions de cette pratique : ce qui la fait naître, ce qui la rend concevable, ce qui la caractérise avec les

possibles qui s’offre à elle. Evoquer le médiateur revient sous cet angle à dire ce qui rend donc possible l’émergence d’une telle fonction, dans le domaine de

l’interculturalité en ce qui nous concerne ici. On se propose en conséquent d’analyser une situation particulière, la situation migratoire telle qu’on peut la saisir notamment en Europe depuis les années 1960 en accordant une courte place à la langue, puis et surtout à la définition de l’enfance et de l’adolescence comme analyseurs de l’évolution de cette situation migratoire, avant de parler de la posture du médiateur et de son identité.

Les langues, on le sait, ne sont pas « neutres » socialement. C’est là un banal rappel, mais qui me semble indispensable avant d’engager notre discussion. Les langues sont des supports, au travers desquels s’expriment les structures sociales des sociétés où ces langues ont cours. Disant cela, je tente de souligner le fait que la langue n’est pas « pure » et qu’elle est produite par des usages, socialement situés. Outre ces usages qui participent aux « classements » distinctifs des usagers de ces langues, par exemple dans notre société en vertu du capital scolaire, social etc., la langue est un révélateur anthropologique. C’est particulièrement vrai dans la situation migratoire qui nous intéresse ici.

Il devient souvent difficile en pareil cas de parler par exemple de « langue

maternelle » sans se demander, au moins implicitement : « laquelle ? ». On peut penser qu’on se réfère généralement à celle dans laquelle s’organise la « fonction

symbolique ». Mais tout de même, on sait aussi que les pratiques linguistiques dans l’enceinte familiale constituent de véritables tensions et des enjeux de pouvoir impliquant tous les membres de la famille, au sein de la fratrie, au sein du couple parental, dans les rapports générationnels comme dans les rapports inter-

générationnels. Il y a toute sorte de parlers, de compromis serait-on tenté de dire mais sans dire de la sorte une quelconque négociation et encore moins une certaine « entente » entre les interlocuteurs. Au contraire, ces « compromis » peuvent tout à fait accentuer les incompréhensions. Il y a une multitude d’espaces – celui de la rue, celui de la famille, celui de l’école – avec un langage afférent si l’on peut dire, et à quoi il convient d’ajouter les différences de générations avec les pratiques

langagières des parents qui, dans la plupart des cas, différent de celles des enfants. Comment s’y retrouver ? Certes il y a des traces de bilinguisme, mais on peut y voir surtout des effets de processus d’acculturation. En disant cela j’invite à appréhender la situation comme une situation où se confrontent plusieurs représentations

culturelles concernant les rôles et les statuts au sein de la famille. Les définitions de positions, celle d’une femme-épouse, celle de l’homme-père, celles des adolescents ne « vont plus de soi », et c’est en ce sens, celui d’un ébranlement, d’une relative ambivalence, qu’on peut parler d’acculturation.

Mais, pour se donner quelques repères, il nous faut, sans doute, évoquer un peu plus précisément comment se vit cette situation migratoire. La place de l’enfant, celle de l’adolescent, les rapports qui se tissent à partir d’eux semblent d’excellents

analyseurs pour approcher cette situation migratoire et, en considérant l’immigration comme un processus qui se déroule sur plusieurs dizaines d’années, la donner à voir sous un angle dynamique avec notamment l’évolution de cette place d’enfant et/ou d’adolescent.

De la famille communautaire à la famille des individus

Au fond, c’est le clivage groupe-individu qui va globalement caractériser cette situation. Pour mieux saisir cette tension entre la logique groupale, qui,

schématiquement, anime les parents – mais il faudrait bien sûr nuancer car tous les primo-migrants n’ont pas les mêmes dispositions selon les époques et les conditions d’émigration – et les enfants tendant plutôt à une affirmation plus individuelle, on va prendre l’exemple de l’immigration maghrébine, notamment depuis les années 50-60. Durant les premières années d’implantation, en prenant l’exemple de familles

arrivées dans les années 50, la famille immigrée fonctionne avec les références culturelles de la communauté villageoise à laquelle elle continue d’appartenir malgré la distance géographique. Cette distance, justement dans cette première période, n’est que géographique et les adaptations nécessaires ne signifient en rien une quelconque rupture culturelle. Pourtant, à la différence de ce qui se produit le plus souvent dans le village d’origine, les relations familiales connaissent de sensibles modifications. La place de l’enfant ne change guère à priori mais on assiste à une « monopolisation » relationnelle, en ce sens que la mère gère dorénavant une relation « exclusive » – contrairement à la situation traditionnelle où elle partage la relation avec son enfant avec les autres femmes de la famille étendue, et notamment avec sa belle-mère. Mais la « segmentation » de la famille par le biais de la fonction et de l’espace de référence de chaque membre (l’école pour l’enfant, le travail pour le père, l’enceinte domestique pour la mère) introduit d’emblée cette tension individu-

groupe que nous avons évoqué. L’espace scolaire est celui de l’individuation par excellence : il s’agit pour l’enfant de se « former » en se constituant un capital de connaissances qui seront autant de ressources mais qui l’amèneront à se poser, en reprenant et s’inscrivant dans la logique scolaire, en tant qu’individu en voie

d’autonomisation. Il n’est plus, s’il se place effectivement dans cette perspective, en concordance avec la logique groupale à laquelle, répétons-le, ses parents

s’adossent. Car si ces derniers s’affranchissent quelque peu de la famille étendue – au fil des années ils enverront moins régulièrement les mandats qui manifestent le lien, et/ou les colis, avant d’entretenir des rapports nettement plus épisodiques – ils conçoivent la famille qu’ils créent comme devant « s’étendre » par le mariage des enfants. Au contraire, dans la société française, le mariage « déconnecte » de la famille d’origine et permet par l’union de deux individus de fonder une nouvelle famille. On voit là les germes d’une multitude de difficultés, certes, au sein de la famille mais aussi avec les divers intervenants auprès de l’enfant (enseignants, travailleurs sociaux…). Pour ces derniers, l’enfant, en « lui-même », constitue une référence. Pour les parents, l’enfant « appartient » d’abord et avant tout à la famille et au groupe qu’elle constitue. Peu importe que le père lui-même, dans son espace de référence qu’est l’entreprise et le travail, s’autonomise par rapport à ses propres parents (et à la famille étendue qu’il aurait ainsi constitué). Les parents, durant cette première phase, ne se placent pas dans une perspective d’autonomisation des enfants.

Il ne s’agit pas ici de retracer l’histoire sociale et culturelle pour appréhender la situation migratoire et pour resituer les évolutions de statut, mais simplement de rappeler que la considération de l’enfant, la « place » de l’adolescent se redéfinissent en relation avec la « consolidation » de la « nouvelle » famille nucléaire et de son « ancrage » ici1.

On pourrait schématiser en disant que l’enfant ne « s’appartient pas » et que, durant les premières années la famille immigrée n’est guère pénétrée des conceptions qui prévalent au sein de l’école ou dans les institutions auxquelles elles ont affaire. C’est par la suite, au fil des années et selon la configuration de la famille (âge des parents, « poids » des aînés…) mais également selon l’évolution du projet migratoire - en termes de retour effectif, de projet de retour perpétuellement repoussé, ou d’installation affichée…- que la considération de l’enfant et la place de l’adolescent vont changées. L’attitude des adolescents surtout retient l’attention et révèle la restructuration de la famille. La logique groupale évoquée plus haut s’affirme moins dés les années 70. On le constate dans les relations de voisinage de ce qu’on peut appeler les « regroupements » de familles immigrées dans les quartiers. Car ces regroupements mettent en présence des familles originaires de différentes régions et connaissent une dynamique sociale qui leur est propre. Durant les premières années les familles venant de même village tendent à constituer une « sous-communauté » les reliant à la communauté villageoise d’origine et les distinguant des autres sous- communautés ici présentes. Cette sous-communauté permet de perpétuer les pratiques culturelles et préserve de trop de « contact » avec les « autres » au sens large. Il y a là une dimension communautaire, groupale, qui contribue à « contenir » autant les tentatives de redéfinition de rôle des femmes que celle des adolescents. Ces derniers, notamment les garçons, adoptent des attitudes qui montrent

néanmoins une relative ambivalence. Durant les années 60, on est tenté de caractériser ces attitudes par la référence à une « adolescence-lisière » pour dire que les adolescents « prennent » quelques plaisirs (comme le cinéma et/ou les bals pour les garçons) de manière quasiment clandestine à moins de « profiter » (c’est

plus le cas des filles) de cet espace relationnel que tend à devenir la famille pour peser sur les orientations matrimoniales.

Dans une deuxième phase, la sous-communauté tend à être moins prégnante et les relations de voisinage s’affranchissent de l’appartenance à une communauté

d’origine. D’une certaine manière, les relations ici, entre les voisins et quelle que soit leur région d’origine, prévalent dans la vie sociale. Ce moindre poids atténue, si l’on peut dire, l’encadrement communautaire. Dans ce cadre les évolutions de rôles seront plus visibles. On le voit, là aussi, plus manifestement avec les adolescents – d’une autre classe d’âge que ceux de « l’adolescence-lisière » – qui ne dissimulent plus mais au contraire revendiquent les loisirs. Il s’agit beaucoup plus alors d’une adolescence « conflictuelle ». Car dans la famille les tensions sont plus fortes et se cristallisent autour des représentations concernant le rôle des uns et des autres, les « valeurs » … Bref, « l’interculturalité », après avoir été maintenue hors de la famille, voire même d’une certaine manière aux « limites » du quartier, se niche et, dans bien des cas, structure l’espace domestique. C’est à la « sortie » de l’adolescence et avec la conclusion de l’épisode matrimonial des premiers enfants (les « aînés ») que certaines familles connaissent de nouveau une vie familiale plus paisible avec des réajustements de rôle pour les uns et les autres. Cet apaisement laisse souvent entrevoir une place reconnue à l’individualité et donc une reconsidération de l’enfance et de l’adolescence.

Les conditions de la rencontre

Lorsqu’on esquisse une analyse de la situation migratoire en tentant de souligner l’aspect dynamique, notamment les processus de recomposition des rôles, on en déduit aisément, me semble-t-il, que la rencontre avec les professionnels et autres intervenants de l’enfance est largement conditionnée par ce qui se passe au sein de la famille. Ce sont les conditions anthropologiques de la rencontre, si l’on peut dire. En effet, l’intervenant, quelle que puisse être son attention à la situation et son empathie, tendra à déterminer son action à partir de ce qu’il estime être « l’intérêt » de l’enfant alors que la famille se positionnera face à lui selon la phase qu’elle

connaît. L’enfant est-il d’abord, et avant tout, membre d’une famille et d’un lignage ou bien s’inscrit-il dans un processus « d’atomisation » ? Autrement dit, la rencontre avec l’enfant est-elle un « tremplin » vers la famille en tant que groupe ? ou bien plus ponctue-t-elle un processus de construction d’un sujet ? Bien sûr les choses ne sont pas aussi tranchées et l’affirmation d’une identité va de pair avec des références, des appartenances, qui situent l’individu, qui lui permettent de se «poser ».

Enfin, un mot concernant l’attitude des familles vis à vis des enfants : il n’est pas rare d’entendre des propos concernant l’attitude des familles vis à vis des enfants

soulignant soit la « surenchère » affective ou au contraire la « démission ». On ne peut qu’être réservé par rapport de pareils propos. Il est vrai qu’il est bien peu question de « sentiment » dans mon propos, non pour ignorer cette dimension fondamentale mais parce que ses manifestations s’inscrivent dans un cadre donné. On imagine que dans certains cas, des parents se pensent sous « tutelle » avec l’intervention par exemple de travailleurs sociaux et se mettent en retrait. Ils n’hésitent pas en pareil cas à invoquer ce qu’il considère comme une « alliance » entre leurs enfants et le travailleur social pour justifier leur position. Il convient évidemment de tenter d’expliciter le positionnement de l’intervenant – ce qui n’est

pas toujours un exercice aisé – pour s’inscrire dans une relation qui est aussi, et nécessairement, dynamique.

La posture du médiateur

Celui qui se voit affubler du titre de médiateur en pareille situation peut occuper diverses positions. Il y a, en premier lieu ceux qui, au sein même du groupe, par leur âge, leur appartenance à certaines familles, par leurs connaissances pratiques, entre autres paramètres, se trouvent investis et/ou se proposent pour dépasser toutes sortes de heurts ordinaires ou extraordinaires. On parlera en pareils cas de

médiation « spontanée », non pour dire un manque de compétences mais bien au contraire pour souligner l’adresse, le doigté et, somme toute « l’intégration » de ce médiateur au groupe et à une culture communautaire. Il fait partie du groupe et c’est en tant que tel qu’il agit, d’une certaine manière parce qu’il connaît bien les codes et qu’ainsi il perpétue l’ordre social auquel il est intégré.

Dans ce cas, celui de ce premier type de médiation interculturelle , celle-là qu’on propose de nommer « spontanée », le médiateur se présente bien souvent comme celui qui « représente », d’une certaine manière, au mieux l’identité du groupe. Il se confond quasiment avec elle, il est presque le « sage » et occupe une place

symbolique respectée. Cette médiation endogène correspond à la phase de

« communauté-mosaïque » là où la perspective du retour au pays est prégnante et là où la présence ici en Europe est structurée souvent par une relation constante

inscrite dans le voisinage avec des « proches » (culturellement et même sous l’angle du village d’origine).

La question de la posture et de l’identité du médiateur prend une toute autre ampleur lorsqu’il s’agit de concevoir une intermédiation dans la phase « communauté-

intermédiaire ». La conjoncture, on l’a vu, est autre : un moindre attachement à la communauté d’origine s’affirme quand la relation à la société d’accueil se teinte de familiarité. En pareille conjoncture, et en référence aux processus d’acculturation, et plus précisément à l’acculturation formelle au sens de R.Bastide qui distingue, disons-le schématiquement, l’acculturation matérielle où les changements découlant de la situation de « contact » concernent le « matériel » alors que l’acculturation formelle renvoie aux changements de représentations (le statut et le rôle des femmes et des enfants, par exemple, n’apparaissent plus « clairement »). On est tenté alors de parler de médiation interculturelle formelle, d’une part pour souligner la

conjoncture et les processus qu’on vient d’évoquer et, d’autre part, pour signifier qu’il s’agit, le plus souvent, d’une médiation formellement organisée. Cette médiation est exogène, provenant d’un tiers qui ne représente plus – par opposition à la médiation spontanée – le groupe.

La posture du médiateur est là nécessairement marquée par un souci de distanciation qui se conjugue avec une forte empathie. Il y a donc une sorte de tension entre s’approcher, si l’on peut dire, et ne pas se confondre. On retrouve les paramètres qui servent à définir habituellement la position du médiateur. On ne dira pas pour autant qu’il s’agit d’une neutralité, car le médiateur est enraciné dans sa