Chapitre IV - Synthèse de POMs hybrides et étude de leurs
I.III Propriétés photoluminescentes des composés synthétisés
Dans un premier temps, il a fallu déterminer les transitions électroniques des cinq POMs hybrides synthétisés. Pour ce faire, leur spectre d’absorption UV-Vis à l’état solide a été enregistré puis traité selon le modèle de Kubelka-Munk, qui permet de mesurer les coefficients de réflexion et d’absorption de composés cristallins.
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Figure 7 : Spectres de réflectivité transformée selon la théorie de Kubelka-Munk pour les composés : a) {Ir2Mo8 -A}, b) {Ir2Mo8-B} (la bande marquée d’un astérisque dénote la transition de transfert de charge intermoléculaire), c) {Ir4Mo8}, d) {Ir2Mo4}, e) {Ir2W6}, f) tableau regroupant les domaines énergétiques des
bandes d’absorption observées (n/o : non observé)
Les bandes d’absorption ont toutes pu être attribuées par comparaison avec les spectres
correspondant au complexe [Ir][PF6] et aux différents POMs étudiés. Ainsi, les bandes se situant entre
350 et 420 nm sont dues aux différentes transitions électroniques autorisées de spin du complexe
d’iridium : les transferts de charge 1MLCT (dπ → pπ*bpy) et 1LLCT (pπppy → pπ*bpy). De plus, la
présence d’un épaulement à 460 nm dénote une transition interdite de spin indiquant l’existence de
transferts de charge 3MLCT-3LLCT, bien connus pour les complexes d’iridium cyclométallés
hétéroleptiques. Pour les cinq composés, une bande intense attribuable aux polyanions est également
présente entre 250et 350 nm. Cette bande correspond aux transitions de transfert de charge LMCT
entre les oxygènes et les métaux des POMs. Cette première étude en UV était nécessaire avant de caractériser les propriétés de photoluminescence des composés puisqu’elle a démontré que les
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139 chevauchent pas au-delà de 360 nm. Par conséquent, les POMs n’interfèrent pas avec l’absorption du rayonnement UV à 365 nm nécessaire pour activer la phosphorescence des complexes d’iridium.
Dans le cas particulier du composé {Ir2Mo8-B}, une bande peu
intense apparaît entre 500 et 600 nm, qui ne peut être attribuée ni au
POM ni au complexe [Ir]+. De plus, cette bande disparaît lors de l’étude
en spectroscopie UV-Vis en solution (Figure 8). Ainsi, il a été possible d’attribuer cette bande supplémentaire à l’existence de transitions de
transfert de charge intermoléculaire entre les complexes [Ir]+ et les
polyanions, dû à leur proximité à l’état cristallin (Figure 2d). Quant au
composé {Ir2Mo8-A}, il est important de noter qu’il n’absorbe pas dans
cette gamme de longueur d’onde, ce qui souligne une fois de plus les différences structurales de ces deux polymorphes.
Afin d’étudier les propriétés de photoluminescence des cinq composés synthétisés à l’état solide, deux techniques ont été utilisées. La première, appelée spectroscopie de photoluminescence stationnaire, consiste en une mesure de l’intensité d’émission intégrée au fil du temps. Autrement dit, après excitation lumineuse de l’échantillon, l’intensité de la luminescence est mesurée jusqu’à ce que toutes les molécules de l’échantillon aient émis leur photon et soient retournées à leur état fondamental. Cette technique donne ainsi des informations sur la longueur d’onde d’émission de l’échantillon, et sur les processus de relaxation lumineuse. En complément de cette analyse, la spectroscopie de photoluminescence résolue en temps permet quant à elle de mesurer l’intensité de l’émission à chaque longueur d’onde en fonction du temps de relaxation. Ainsi, dans le cas de la phosphorescence des complexes d’iridium, il est possible d’obtenir des informations sur les processus de relaxation lumineuse au bout de 2 ns de relaxation par exemple. Cela permet d’avoir accès à de plus amples indications sur les états triplets émetteurs.
Les spectres de photoluminescence stationnaire ont été mesurés dans un premier temps à température ambiante, et sont représentés sur la Figure 9 qui regroupe également des photographies des composés irradiés, indiquant ainsi leur couleur d’émission. Après irradiation dans l’UV à 365 nm,
le composé {Ir2Mo8-A} émet une couleur verte intense. Le diagramme de chromaticité CIE
(Commission Internationale de l’Energie) montre que cette couleur d’émission est décalée vers le
jaune pour {Ir2Mo8-B}, l’orange pour {Ir4Mo8}, le rouge-orangé pour {Ir2Mo4} et le rouge pour
{Ir2W6}. De manière spectaculaire, on observe ainsi que la gamme de couleur émise s’étend sur 115
nm, en jouant uniquement sur la nature du POM associé de façon ionique au complexe [Ir]+ ainsi que
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Figure 9 : a) Photographies de la couleur d’émission des composés irradiés comparées à celle du complexe [Ir][PF6], b) spectres de photoluminescence stationnaire des cinq composés à température ambiante. Insert : Coordonnées colorimétriques dans le diagramme de chromaticité pour les composés {Ir2Mo8-A} ( ), {Ir2Mo8
-B} ( ), {Ir4Mo8} ( ), {Ir2Mo4} ( ), {Ir2W6} ( ) et [Ir][PF6] ( )
Le spectre de photoluminescence stationnaire du
composé {Ir2Mo8-A} montre une bande d’émission intense et
fine à 505 nm, ce qui suggère que le niveau d’énergie émetteur est le triplet centré sur le ligand auxiliaire ppy
(3LCppy).23 De plus, il s’avère que lorsqu’on baisse la
température à 90 K, ce spectre est modifié (Figure 10) : la bande d’émission est en réalité la superposition de plusieurs bandes plus fines, ce qui est en accord avec un faible caractère de transfert de charge. Un autre comportement est
observé pour les autres composés. En effet, {Ir4Mo8},
{Ir2Mo4} et {Ir2W6} possèdent des bandes d’émission larges centrées à 594, 605 et 621 nm
respectivement, et qui ne varient pas selon la température. Cet effet bathochrome suggère que
l’émission est particulièrement sensible à la polarité du réseau hybride autour des complexes [Ir]+
, ce
qui peut indiquer un fort caractère 3MLCT-3LLCT. Le composé {Ir2Mo8-B} quant à lui possède à la
fois une bande d’émission fine à 510 nm et plusieurs bandes larges moins intenses centrées vers 585
nm, ce qui laisse supposer un double processus d’émission depuis les deux états triplets excités 3
LCppy
et 3MLCT-3LLCT. Par comparaison, les bandes d’émission du précurseur [Ir][PF6] ont des longueurs
d’onde similaires à celles de {Ir2Mo8-B} mais avec une inversion d’intensité.
La spectroscopie de photoluminescence résolue en temps a été utilisée pour obtenir plus d’informations sur les processus de relaxation des molécules étudiées en fonction du temps (Figure
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141 510 nm et autour de 550-580 nm, et l’intensité relative de ces bandes varie selon le temps de relaxation. Ainsi, alors que la spectroscopie de photoluminescence stationnaire laissait penser que
l’émission de {Ir2Mo8-A} provenait essentiellement de l’état triplet 3LCppy, il s’avère que sa
phosphorescence est en réalité due aux deux états triplets 3LCppy et 3MLCT-3LLCT. En ce qui concerne
les composés {Ir4Mo8}, {Ir2Mo4} et {Ir2W6}, cette double contribution n’est pas observée. En effet,
l’émission à 510 nm n’apparaît pas, même pour un temps de relaxation très court de 2 ns. Ceci indique
que dans le cas de ces trois composés, l’émission provenant de l’état triplet 3
LCppy est fortement
désavantagée par rapport à celle due à l’état triplet mixte 3
MLCT-3LLCT. Ainsi, ces différents
résultats indiquent clairement que la nature du POM ainsi que l’arrangement cristallin gouvernent les
contributions relatives des états triplets émetteurs 3LCppy et 3MLCT-3LLCT dans le processus de
phosphorescence à l’état solide du complexe [Ir]+
.
Figure 11 : Spectres de photoluminescence résolue en temps, après un temps de relaxation de 2 ns (en bleu), 200 ns (en vert) et 2 µs (en rouge) pour les composés a) {Ir2Mo8-A}, b) {Ir2Mo8-B}, c) [Ir][PF6], d) {Ir4Mo8}, e)
{Ir2Mo4}, f) {Ir2W6}