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2.3 – Description et activité biologique de POMs hybrides à base de BPs

Chapitre I - Repères bibliographiques

II. 2.3 – Description et activité biologique de POMs hybrides à base de BPs

L’association de POMs et de bisphosphonates est un défi synthétique et soulève de nombreuses questions, notamment la détermination des facteurs qui gouvernent l’activité anticancéreuse observée. C’est ainsi que l’un des objectifs de cette collaboration a été d’étudier l’influence sur les propriétés biologiques de plusieurs paramètres tels que : (i) le degré d’oxydation des métaux, (ii) la structure des complexes, (iii) la nature du métal, (iv) la nature du bisphosphonate, (v) l’ajout d’un hétérométal. Pour chaque nouveau complexe synthétisé et caractérisé par l’équipe MIM

de Versailles, le groupe du Pr. Eric Oldfield a effectué des mesures in vitro sur une ou plusieurs

lignées cellulaires. Ces tests consistent à injecter le produit étudié solubilisé en milieu physiologique sur plusieurs échantillons de souches de cellules cancéreuses humaines. La valeur type calculée après

chaque test s’appelle concentration inhibitrice médiane, ou IC50, et représente la concentration en

produit injecté nécessaire pour réduire de moitié le nombre de cellules cancéreuses. Autrement dit,

plus cette valeur d’IC50 est faible, plus efficace est le composé testé.

Dans un premier temps, l’équipe MIM de Versailles s’est concentrée sur la synthèse de polyoxomolybdates contenant des centres métalliques aux degrés d’oxydation +V ou +VI. Bien que

plusieurs espèces à base de MoV aient été étudiées, deux composés représentatifs de cette étude sont

l’octamère {MoV

8(Ale)4} et le dodécamère {MoVI12(Ale)4} (Figure 16a et 16b respectivement).113 Dans

ces structures, le bisphosphonate utilisé est l’alendronate, qui se lie de façon pentadentate aux dimères

{Mo2O4} du premier de ces composés. Le complexe de plus haute nucléarité présente quant à lui une

structure originale, dans laquelle quatre unités trimériques sont connectées par quatre ligands, incorporant un atome de sodium central hexacoordinné. Cette architecture est de plus stabilisée par des liaisons hydrogène entre les groupements alkylammonium des bisphosphonates et les oxygènes portés

par les centres MoVI. Après vérification de la stabilité en solution de ces deux espèces par RMN du

phosphore, l’équipe du Pr. Eric Oldfield a effectué des tests in vitro sur trois types de lignées

cellulaires différentes : NCI-H460 (carcinome pulmonaire), SF-268 (cancer du système nerveux central) et MCF-7 (cancer du sein) (résultats regroupés dans le Tableau 1). Il est important de noter ici que l’activité inhibitrice du ligand alendronate seul a également été étudiée, et que pour une

comparaison pertinente des valeurs d’IC50, il est nécessaire de les multiplier par le nombre de ligands

bisphosphonates liés aux POMs. Ainsi, cette analyse a révélé que le composé à base de MoV était

inactif vis à vis des cellules souches cancéreuses. Cependant, le dodécamère constitué exclusivement

de centres MoVI s’est révélé quant à lui jusqu’à trois fois plus efficace que le ligand alendronate seul,

27 synergique entre les parties organique et inorganique. C’est donc logiquement que la suite de cette collaboration s’est tournée davantage vers l’étude de composés molybdiques au degré d’oxydation +VI.

Figure 16 : Représentation des POMs a) [(MoV2O4(H2O))4(O3PC(C3H6NH3)OPO3)4]8- ({MoV8(Ale)4}), b) [(MoVI3O8)4(C3H6NH3)OPO3)4]8- ({MoVI12(Ale)4})

Suite à ces résultats prometteurs, l’espèce {Mo12(Ale)4} a ensuite été comparée au monomère

{Mo(Ale)2} et à l’hexamère {Mo6(Ale)2} (Figure 17a et 17c respectivement), dans le but d’éclaircir

l’effet de l’arrangement structural sur l’activité anticancéreuse.114

Dans la première de ces structures, les ligands Ale sont bicoordinés à l’unique centre métallique, laissant leur groupement hydroxyle libre.

Dans le cas de l’entité hexanucléaire, deux trimères {Mo3O8} sont connectés par un atome unique

d’oxygène, les deux alendronates se liant de façon pentadentate à chacun de ces trimères. Pour certains

complexes de type {Mo6(BP)2}, il est possible de distinguer à l’état solide deux conformères, l’un dans

lequel les six ions MoVI sont coplanaires et l’autre pour lequel les deux trimères se placent de manière

perpendiculaire (Figure 17b). En solution, la présence de ces deux conformères donne lieu à un dédoublement du seul pic attendu en RMN du phosphore, tout en confirmant la stabilité de ces complexes. En revanche, une étude similaire menée sur l’espèce mononucléaire a révélé l’hydrolyse

de ce composé en solution. Ces deux espèces ont ensuite été étudiées in vitro et leurs valeurs d’IC50

ont été comparées à celle du dodécamère précédemment obtenu. Ainsi, l’activité moyenne de ces

composés diminue dans l’ordre suivant : {Mo(Ale)2} > {Mo12(Ale)4} >> {Mo6(Ale)2} ~ Ale, le

composé le plus actif étant donc le monomère avec une activité huit fois supérieure à celle de l’alendronate libre.

Par ailleurs, afin d’étudier l’influence de la nature du bisphosphonate, deux autres structures

de type {Mo6(BP)2} ont été obtenues en utilisant soit le zoledronate (Zol) {Mo6(Zol)2}, soit un

bisphosphonate sulfonium (Sul) {Mo6(Sul)2} (Figure 17d et 17e respectivement). Leurs valeurs d’IC50

ont été mesurées afin de déterminer l’activité inhibitrice de ces espèces hexamériques, le composé

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Figure 17 : a) Représentation du POM [(MoO2)O(O3PC(C3H6NH3)(OH)PO3)2]6- ({M(Ale)2}) (M = Mo ou W), b) représentation des deux conformères α (gauche) et β (droite) pour les structures de type {Mo6(BP)2},

représentation des POMs c) [(Mo3O8)2O(O3PC(C3H6NH3)OPO3)2]6- ({Mo6(Ale)2}), d)

[(Mo3O8)2O(O3PC(C4H6N2)OPO3)2]6- ({Mo6(Zol)2}), e) [(Mo3O8)2O(O3PC(CH2S(CH3)2)OPO3)2]6- ({Mo6(Sul)2})

Conjointement à cette étude, l’influence de la nature du métal a également été analysée. En

effet, une autre espèce monomérique à base de WVI a été obtenue, de même structure que son analogue

au molybdène. De plus, quatre espèces polyoxovanadates ont été synthétisées, toutes à valence mixte

sauf dans le cas du trimère {VIV3(Zol)3} (Figure 18a). Dans cette structure, les ligands zoledronates

s’articulent autour du système triangulaire que forment les trois centres VIV

. Les parties organiques et inorganiques sont toutes liées par quatre liaisons V-O, et le groupement hydroxyle des bisphosphonates reste libre, comme dans le cas des monomères précédemment décrits. Une autre

architecture intéressante est celle de l’espèce à valence mixte {VIVVV4(Ale)2} (Figure 18b). En effet,

cette structure présente un centre VIV uniquement connecté aux autres ions vanadium par la présence

des ligands alendronates, et situé dans un plan parallèle à celui contenant les quatre centres VV. De

même que pour l’espèce monomérique {Mo(Ale)2}, le complexe au tungstène est hydrolysé en milieu

aqueux. De plus, les composés au vanadium étant peu solubles et incorporant des centres VIV, l’étude

de leur stabilité en solution par RMN du phosphore n’est pas possible. Cependant, des mesures en électrochimie, en résonance paramagnétique électronique (RPE) ainsi qu’en magnétisme ont permis de caractériser ces composés et leur stabilité en milieu aqueux. L’influence de la nature des métaux utilisés sur l’activité inhibitrice de ces composés sur des cellules cancéreuses a par la suite été étudiée.

Ces mesures in vitro ont révélé d’une part que le monomère à base de MoVI est plus actif que son

analogue au tungstène, et d’autre part que les composés au vanadium sont tous très actifs. Cependant,

une comparaison avec le polyoxovanadate [V10O28]6- ainsi qu’une analyse in vitro plus poussée (en

ajoutant du géranylgéraniol ie. un inhibiteur de bisphosphonates) ont révélé que l’activité antitumorale élevée de ces composés n’est due qu’à la partie inorganique. Ainsi, les bisphosphonates utilisés ne

29 jouent donc pas leur rôle dans le processus de blocage de la prénylation des petites protéines

responsables de la survie cellulaire et de l’invasion tumorale. Par ailleurs, une mesure de l’activité in

vivo de ces composés au vanadium a montré leur toxicité.

Figure 18 : Représentation des POMs a) [VIV3O3(H2O)(O3PC(C4H6N2)(OH)PO3)3]3- ({VIV3(Zol)3}), b) [VIVVV4O9(OH)2(H2O)(O3PC(C3H6NH3)OPO3)2]4- ({VIVVV4(Ale)2}), c) [(Mo2O6)2(O3PC(C4H6N2)OPO3)2FeIII]

5-({Mo4(Zol)2FeIII})

Enfin, au vu des résultats précédents, les différents collaborateurs ont décidé de se concentrer sur la synthèse et l’analyse de nouveaux POM/BPs composés d’ions molybdène dans leur état d’oxydation +VI. Parce que certains métaux de transition comme le manganèse et le fer ont été

reportés comme possédant des propriétés redox et biologiques intéressantes,115 l’ajout d’un

hétérométal à ces complexes a semblé judicieux.116 Ainsi, six composés de formule générale

{Mo4(BP)2M} (M = FeIII, MnIII ou MnII) ont été obtenus, possédant tous la même structure à la

différence près du bisphosphonate utilisé. L’exemple du POM {Mo4(Zol)2FeIII} (Figure 18c) montre

que l’hétéroélément se situe au centre de la structure, lié à deux dimères {Mo2O6} par les sommets et

aux deux ligands Zol qui stabilisent le complexe en s’y liant de façon pentadentate. Un composé très

similaire au précédent voit son métal central remplacé par un ion MnIII et bien que sa structure n’ait

pas été résolue, une analyse élémentaire et la comparaison de son spectre infrarouge avec celui de l’espèce précédente a permis d’affirmer qu’il possède la même architecture que son analogue au fer. Dans les mêmes conditions de synthèse mais en présence d’alendronate, un troisième complexe a été obtenu. De manière surprenante cependant, un calcul des liens de valence au sein de la structure ainsi que des analyses en magnétisme ont révélé que son atome central de manganèse se situe cette fois dans un état d’oxydation +II. Une nouvelle fois, ces composés ont été testés par le groupe du Pr. Eric Oldfield afin d’évaluer lequel d’entre eux possédait la meilleure activité envers la lignée cellulaire MCF-7. De plus, ils ont tous subi un traitement au géranylgéraniol afin de déterminer si leur efficacité était due à un effet synergique entre le POM et le bisphosphonate ou non. Ainsi, le complexe

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supérieure à celle du ligand zoledronate libre, et encore plus actif que l’espèce {Mo6(Zol)2} étudiée

précédemment.

Tableau 1 : Résultats des tests d’inhibition de croissance de cellules cancéreuses différentes appartenant à la lignée cellulaire MCF-7 par différents POM/BPs. Pour une comparaison pertinente ces valeurs doivent être multipliées par le nombre de ligands bisphosphonates liés aux POMs. (a : valeurs moyennes des mesures

effectuées lors des différents travaux évoqués dans cette partie).

Ainsi, tout au long de cette étude, de nombreux complexes POM/BPs ont été analysés pour leurs propriétés anticancéreuses, en faisant varier plusieurs paramètres, qui ont permis de conclure que

les composés les plus actifs étaient à base de MoVI et contenant des ligands zoledronates. En effet, les

espèces {Mo6(Zol)2} et {Mo4(Zol)2MnIII} se sont révélées être les plus intéressantes au regard de leur

activité inhibitrice, motivant une étude in vivo. D’autre part, une étude préliminaire sur des composés à

base de bisphosphonates hydrophobes a montré que la complexation de ce type de ligands avec des POMs pourrait améliorer le processus de pénétration cellulaire. Tout ceci sera développé dans le Chapitre II – Synthèse et propriétés biologiques de POMs hybrides à base de bisphosphonates lipophiles.

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