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Chapitre III - Synthèse de POMs hybrides et étude de leurs

I. 1 – Introduction

Dans le domaine du stockage et du traitement des données, l’enjeu principal est depuis longtemps la miniaturisation de systèmes à réponse rapide. Afin de répondre à ces besoins, les scientifiques se sont rapidement tournés vers le design de matériaux électro- et/ou photocommutables. Dans ce contexte, la synthèse de composants multifonctionnels pouvant combiner des propriétés photochromes et électrochromes présente un intérêt certain. Les polyoxométallates ont été étudiés depuis de nombreuses années dans ce sens, puisqu’en plus de posséder de telles propriétés de façon intrinsèque, il est possible de les associer à diverses molécules, qu’elles soient ioniques ou neutres. Notamment, leur association avec des entités intrinsèquement photochromes peut permettre d’accéder à de nouveaux matériaux multifonctionnels. Parmi les molécules les plus étudiées, on retrouve les

diaryléthènes,1 les azobenzènes,2 ou encore les spiropyranes (SP).

Les spiropyranes, dont l’irradiation dans l’UV provoque leur isomérisation en une forme ouverte appelée mérocyanine (MC), sont des photochromes de type T. Cela signifie que le retour de la forme MC à la forme fermée SP peut se faire soit par voie photochimique soit par voie thermique. En comparaison, les photochromes de type P (par exemple les diaryléthènes) ne possèdent que la voie photochimique pour effectuer le retour de leur forme colorée à leur forme incolore. Le mécanisme d’isomérisation des spiropyranes est présenté sur la Figure 1. L’isomère fermé 1 est constitué de deux cycles (indole et benzopyrane) placés dans des plans perpendiculaires et liés l’un à l’autre par un

carbone hybridé sp3 et appelé « spiro ». Les transitions électroniques de cet isomère ont été étudiées en

détail :3 une première bande d’absorption se situant autour de 272-296 nm est attribuée à la transition

π-π* du cycle indole, tandis qu’une deuxième bande d’absorption autour de 323-351 nm correspond au

cycle benzopyrane.4 Une irradiation dans l’UV (à 365 nm) du composé SP conduit ensuite à la rupture

de la liaison Cspiro-O accompagnée d’un réarrangement spatial, résultant en une espèce intermédiaire

cis-MC (2).5 Enfin, une rotation autour des liaisons centrales C-C engendre l’espèce finale trans-MC.6

Il est important de noter que cet isomère est un équilibre de deux formes : le zwitterion 3 ou la

quinoïde 5. La forme finale représentant le mieux l’équilibre entre ces deux formes est le composé 4.

Ce dernier adopte une structure planaire et fait preuve d’une conjugaison π étendue, conduisant à une unique bande d’absorption décalée vers la région visible (entre 550 et 600 nm le plus souvent). C’est

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pourquoi le composé SP d’origine est incolore tandis que l’isomère MC apparaît quant à lui très coloré. La longueur d’onde à laquelle se situe la bande d’absorption de la mérocyanine dépend fortement du solvant utilisé. En effet, les solvants les moins polaires ont tendance à stabiliser la forme

quinoïdale,7 ce qui a pour effet de diminuer le gap d’énergie entre les états fondamentaux et excités de

la mérocyanine, résultant donc en un déplacement bathochrome de la bande d’absorption.5a, 8

Figure 1 : Mécanisme d’ouverture des molécules de type SP : représentation des deux processus d’isomérisation photochimique et thermique (adapté de la référence 4).

Le photochromisme des dérivés de spiropyrane a surtout été démontré en solution, jusqu’à la formation d’un dérivé

cationique en 1999.9 Ce composé, photochrome à l’état solide, a

été utilisé au sein de l’équipe MIM de l’Institut Lavoisier de Versailles pour combiner ses propriétés optiques aux propriétés

électrochromes que les POMs peuvent posséder.10 La suite logique a ensuite été de développer des

composés associant de manière covalente les dérivés de spiropyrane et des POMs. C’est ainsi qu’ont

vu le jour les POMs hybrides {SP-MnMo6-NH2} et {SP-MnMo6-SP}, construits à partir de la

plateforme Anderson au sein de laquelle se trouve un atome de manganèse central.11 Par la suite, ce

sont les dérivés de spironaphtoxazine (SN), dont la formule est rappelée sur le Schéma 1, qui ont attiré l’attention de notre équipe. Ces composés présentent un important nombre de similitudes avec les dérivés SP, comme par exemple leur résistance à la photodégradation (caractérisée par le nombre de

cycles ouverture-fermeture qu’un système peut subir avant de se dégrader),12 ou encore leur

81 à des longueurs d’onde plus élevées, conduisant ainsi à l’observation d’une couleur bleue (λ ~ 610 nm). Ainsi, en choisissant judicieusement les dérivés de SP et de SN, il a été possible d’obtenir deux

nouveaux complexes hybrides, l’un symétrique {SN-MnMo6-SN} et l’autre dissymétrique

{SP-MnMo6-SN}. Les propriétés photo- et électrochromes de ces nouvelles espèces ont à chaque fois été

étudiées, démontrant des contrastes de coloration importants (Figure 2). En particulier l’espèce

dissymétrique {SP-MnMo6-SN} représente un système unique comprenant trois systèmes photo et/ou

électro-commutables différents.

Figure 2 : Photographies des différentes poudres étudiées lors des études précédentes après différents temps d’irradiation à 365 nm pour les composés a) {SP-MnMo6-NH2}, b) {SP-MnMo6-SP}, c) {SP-MnMo6-SN} et d)

{SN-MnMo6-SN}

Il est à noter que les quatre complexes décrits précédemment sont composés d’un POM de type Anderson contenant un hétérométal, le manganèse. En effet, leur précurseur est le complexe

symétrique {H2N-MnMo6-NH2}, obtenu pour la première fois en 2003.13 Ce composé, de couleur

orange, est notamment caractérisé par des bandes d’absorption larges se situant dans la zone 400-550 nm et attribuées à l’ion manganèse. Ainsi, la présence de ce métal au sein de ce complexe en fait un précurseur coloré, ce qui pourrait diminuer les contrastes de coloration des entités SP et SN au sein des quatre complexes décrits précédemment. De plus, le processus de photo-isomérisation pourrait être freiné par l’absorption de la lumière UV par le centre manganèse. En revanche, l’aluminium au degré d’oxydation +III est un métal diamagnétique qui ne possède aucune transition électronique dans le domaine énergétique du visible (et entre 350 et 400 nm). L’utilisation d’un atome d’aluminium à la place du manganèse dans la structure Anderson pourrait donc améliorer à la fois les contrastes et les cinétiques de coloration des POMs hybrides. Alors que les POMs Anderson au manganèse sont largement reportés dans la littérature, sans doute dû à leur facilité de fonctionnalisation et de cristallisation, les POMs à l’aluminium sont plus rares. La plupart d’entre eux ont été reportés dans

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D’autre part, des efforts considérables ont été menés ces dernières années afin d’obtenir des POMs hybrides dissymétriques, et ce afin de combiner au sein d’une même molécule les propriétés de différentes entités. Les groupes de Wu et Wei se sont notamment intéressés au développement des POMs de type Anderson à l’aluminium. Wu a tout d’abord réussi à obtenir les structures de trois

POMs hybrides monofonctionnalisés.15 Ces composés, de formule [AlMo6O18(OH)3{(OCH2)3CR}]

3-(R = OH, CH2CH3 ou NH2), ont donc été les premiers POMs hybrides à base d’aluminium. L’un

d’entre eux, abrégé {AlMo6-NH2} et représenté sur la Figure 3a, est particulièrement intéressant

puisque de par sa fonction amine terminale, il reste fonctionnalisable et a d’ailleurs fait l’objet d’une post-fonctionnalisation par un dérivé d’azobenzène possédant une fonction acide carboxylique

({AlMo6-Azo}, Figure 3b).16 L’équipe de Wei a ensuite mis au point la synthèse d’un POM hybride

difonctionnalisé.17 En partant du complexe monofonctionnalisé de formule

[AlMo6O18(OH)3{(OCH2)3CCH2CH3}]3- (abrégé {AlMo6-TMP}), le greffage covalent d’une molécule

Tris a été possible, conduisant au POM hybride {H2N-AlMo6-TMP} (Figure 3c).

Figure 3 : Représentation des POMs hybrides a) {AlMo6-NH2}, b) {AlMo6-Azo}, c) {H2N-AlMo6-TMP}

C’est donc dans l’optique d’obtenir des matériaux toujours plus performants que nous nous sommes tournés vers le design de complexes hybrides obtenus par le greffage covalent de molécules organiques photochromes de type SP et SN sur des plateformes Anderson à l’aluminium. Cette approche a pour but d’étudier l’influence de la nature de l’hétérométal central du POM sur les propriétés photochromes de ce type de complexes. En effet, l’aluminium (III) étant transparent optiquement, on s’attend à obtenir de meilleurs contrastes et cinétiques de coloration qu’avec les composés hybrides au manganèse. De plus, les travaux précédents ayant démontré qu’il était possible de synthétiser des complexes dissymétriques de manière contrôlée, l’un des enjeux est également de greffer sur une même plateforme Anderson à l’aluminium deux entités différentes. Nous nous sommes orientés vers la fonctionnalisation de la couronne inorganique par un groupement SP et un dérivé de SN. Les propriétés électrochimiques de ces complexes seront abordées puis leurs propriétés photochromes à l’état solide seront détaillées.

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I.2 – Association covalente de POMs Anderson à l’aluminium et de