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Une proposition conditionnelle est, elle aussi, conforme au schéma argumentatif. Les propositions conditionnelles sont introduites en russe principalement par la conjonction

esli :

A. Eсли у вас есть деньги, то вы получаете великолепный уход.

En tant que constructions argumentatives les propositions conditionnelles présentent les particularités suivantes. Construites d’après le schéma d’implication logique du type si p,

q, ces propositions explicitent un rapport d’implication entre les deux composantes de la proposition – p (avoir de l’argent) et q (avoir accès aux meilleurs soins). Nos exemples permettent d’observer que la nature de ce rapport d’implication aurait une incidence directe sur les moyens linguistiques utilisés dans les constructions conditionnelles russes. Ainsi, plus le lien entre les deux propositions paraît indiscutable et admis par les participants d’un

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acte de communication, moins il y aura d’indices syntaxiques insistant sur ce lien qui ne sera plus à démontrer. C’est ainsi que les différentes constructions conditionnelles russes semblent se différencier l’une de l’autre : lorsque le lien implicatif est très fort, celui-ci conduit à la suppression du corrélateur dans la seconde partie43 ou encore à des constructions paratactiques, utilisés principalement dans la langue parlée :

B. Eсли у вас есть деньги, вы получаете великолепный уход. C. Eсть у вас деньги – вы получаете великолепный уход.

Dans une construction paratactique, le lien implicatif entre deux propositions est un lien fort qui ne peut être mis en doute ni pas le lecteur, ni par quiconque. En tout cas, il est conçu comme tel dans le raisonnement du narrateur. Ce lien quasi indestructible entre les propositions fait que ces propositions ne sont généralement pas décomposables et vont constituer un seul et même argument de la séquence. C’est d’ailleurs ce que l’on observe avec umrëš’– načnëš’ opjat’ snačala (D2) dans notre analyse du poème d’A. Blok (page 121).

D’autre part, dans un texte argumentatif la proposition conditionnelle activera un présupposé en la proposition d’une situation contraire. En reprenant la présentation d’E. König pour les propositions concessives, on peut dire qu’une construction conditionnelle se compose de deux propositions :

a. si p, q

b. si non p, non q (présupposition)

Notre exemple A aura donc un sens implicite suivant : A'. Eсли у вас нет денег, то вы не получаете великолепный уход.

Ce présupposé d’une proposition peut au besoin être explicité. Nous avons déjà observé que l’explicitation des contenus à la fois explicite et implicite pouvait servir à des buts énonciatifs bien définis. Ces contenus sont souvent explicités dans des contextes que nous avons appelés « alternatifs » se trouvant soit dans un contexte dilemmatique ou soit dans un contexte déductif (Kor Chahine 2001 : 104-105) :

43 V. I. Podlesskaja pour sa part explique la présence de to dans les propositions conditionnelles par une thématisation de la proposition si p et voit dans to un marqueur de thématisation (Podlesskaja 1997).

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D. – Давайте сыграем в такую игру, – сказал ПП, примериваясь. – Угадаете – бутылка с меня, не угадаете – бутылка с вас. [А. Битов. Ожидание обезьян]

Ces situations impliquent un contexte dialogique avec deux participants d’un acte de communication.

Par ailleurs, la construction conditionnelle se distingue de la construction concessive en ce sens que même si les deux types disposent du contenu implicite hors contexte (propositions (a) et (b)), la possibilité d’explicitation de ce contenu dans le cas d’une concession est tout de même très minime : cf. ??Xotja on priglasil nas v restoran, my

platili každyj za sebja. Každyj znaet, čto kogda priglašajut v restoran, priglašajuščij platit za vsex. Dans une construction concessive l’explicitation des deux propositions sera ainsi exclue. Comment donc expliquer cette possibilité pour les constructions conditionnelles ? Selon toute probabilité, cette règle logique devrait être reconsidérée sur le plan linguistique. L’analyse de nos exemples montre que les constructions alternatives suivraient non pas le schéma donné au début de ce paragraphe (si p, q et si non p, alors non

q), mais un schéma du type : a'. si p, q

b'. si non p, alors n (présupposition)

Autrement dit, sur le plan linguistique, la correspondance des propositions serait respectée uniquement au niveau des protases conditionnelles – si p / si non p, alors que le plan des conséquences s’affranchirait de cette implication, car dans le cas de non respect de p, les conséquences peuvent être multiples – n (non q mais aussi f, l, etc.). C’est pour cette raison que les constructions conditionnelles peuvent expliciter les deux contenus (exemple D). Puisque le contenu de la conséquence dans (b’) ne peut pas découler de la proposition si p, q, la coexistence des deux contenus conditionnels n’a rien de redondant : ces contenus sont également informatifs. Ainsi, dans l’exemple D, on aurait pu avoir une suite du type Ugadaete – butylka s menja, ne ugadaete – vy mne podpisyvaete dokumenty, ou encore un exemple similaire illustrant notre schéma conditionnel :

E. По суткам не выходил, и работать не хотел, и даже есть не хотел, все лежал. Принесет Настасья – поем, не принесет – так и день пройдет; нарочно со зла не спрашивал! [Ф. Достоевский. Преступление и наказание]

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Ceci étant dit, tout porte à croire que le schéma logique des constructions conditionnelles a besoin d’être reconsidérée du point de vue linguistique. Mais il reste néanmoins incontestable qu’une proposition conditionnelle activera toujours un sens implicite, celui d’une possibilité d’une condition contraire.

A propos de ce type de construction, notons aussi que dans le cas d’une explicitation des deux contenus propositionnels (posé et présupposé), les propositions conditionnelles serviront dans une séquence argumentative d’argument explicatif, comme ce sera le cas pour une construction causale (voir plus bas). Elles ne feront pas « progresser » l’argumentation.

Après ces considérations sur la structure des constructions conditionnelles, revenons maintenant au plan textuel. Les deux contenus propositionnels avec p et avec non p (comme dans le cas de A et A') semblent avoir le même niveau d’informativité. La question est de savoir sur quels critères se fonde le narrateur pour choisir et expliciter l’une des deux propositions. En fait, l’explicitation du côté « positif » ou du côté « négatif » d’une proposition conditionnelle dépendra exclusivement du contexte et des impératifs de cohérence textuelle. Ainsi, notre exemple A à « focalisation positive » est parfaitement en accord avec les arguments du raisonnement mené en faveur de la thèse principale (c’est un bon système de santé) de l’exemple de la page 118, en voici un extrait :

F. Многие из лучших американских медицинских учреждений – это, например, университетские клиники, которые получают невероятные по величине суммы из федерального бюджета. Многие американцы говорят, что это прекрасная система, потому что если у вас есть деньги или хорошая страховка, то вы получаете великолепный уход. Но существует и другая точка зрения: если эта система не универсальна, то она плоха.

En revanche, l’explicitation de A' dans ce contexte nuirait à la cohérence de l’argumentation. Mais l’importance de A' n’est tout de même pas à minimiser : même si ce contenu reste dans l’implication, il n’est pas pour autant désactivé. C’est sur ce contenu implicite A' que s’appuiera le narrateur pour commencer une nouvelle séquence en détaillant les contre-arguments : no suščestvuet i drugaja točka zrenija. Ainsi, la proposition conditionnelle A joue dans ce texte argumentatif une fonction importante : elle représente l’un des moyens utilisés pour assurer la cohérence textuelle.

Ces deux caractéristiques des phrases conditionnelles – le lien implicatif et le contenu implicite – permettent de mettre à part un type de propositions présentant un comportement

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particulier de ce point de vue. Les phrases que nous avons nommées « à hypothèse virtuelle » sont très fréquentes dans un texte argumentatif, et du fait qu’elles sont toujours introduites par la conjonction esli, elles sont souvent confondues avec les propositions conditionnelles proprement dites. Notre texte argumentatif présente d’ailleurs un exemple de cet emploi :

G. Eсли говорить только о качестве, то США начинают отставать от других развитых стран по самым основным показателям медицинского обслуживания.

Contrairement aux propositions conditionnelles proprement dites, les propositions de ce type ne présentent pas deux arguments du raisonnement mais un seul : SŠA načinajut

otstavat’, etc. On arrive ainsi à un paradoxe : la proposition contient bien une hypothèse si

p et il y a implication (to) mais cette proposition ne fonctionne pas comme une proposition conditionnelle et n’a pas les caractéristiques mentionnées ci-dessus. Ainsi, elle n’implique aucun contenu implicite comparable à A' vu plus haut et ne peut pas se mettre à la forme négative :

E'. ??Eсли не говорить только о качестве, то США не отстают от других развитых стран по самым основным показателям медицинского обслуживания.

Cette combinaison de proposition paraît pour le moins surprenante : les deux propositions n’impliquent visiblement pas l’une l’autre et fonctionnent indépendamment. Comme nous avons pu l’observer auparavant, cette hypothèse virtuelle qui « comporte toutes les conditions nécessaires pour se réaliser, mais cette réalisation reste à l’état de possibilité » se limite principalement aux verbes d’activité mentale, de parole ou de perception, tel que

vdumat'sja, sopostavit', vspomnit', sudit', dopuskat' / dopustit’, (ne) sčitat' ; skazat', (ne)

govorit', nazyvat', etc. Le lien implicatif s’établit entre si p et la proposition q qui, elle, sera le plus souvent implicite (to možno skazat’), impliquant une simple possibilité de réalisation de p. Ce type de propositions représente actuellement une construction grammaticalisée qui après avoir exprimé une véritable condition s’est peu à peu figée en une tournure introductive. Même si les propositions de ce type n’ont pas complètement perdu toutes les caractéristiques d’une proposition conditionnelle, elles s’apparenteront à des mots et expressions de connexion (voir page 150) et caractériseront un discours

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argumentatif en tant que tel. Les propositions du type G sont très rares dans des textes littéraires (Voïtenkova 2001 : 23-25).