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3.2. La narration à effets visuels

3.2.1. LIVRETS DE BALLETS / OPÉRAS

Prenons un extrait d’un livret d’un ballet Doctor Ajbolit : Exemple 4 : ДОКТОР АЙБОЛИТ Краткое содержание балета 1-й акт На живописном берегу моря, утопая в зелени, СТОИТ ДОМИК АЙБОЛИТА – сказочного доктора, лечащего животных и птиц. По соседству с доктором живут Танечка со своим дедушкой и Ванечка со своей бабушкой. Ранним утром к домику Айболита собираются пациенты – животные и птицы. Танечка и Ванечка спешат помочь им и стучатся в дверь Айболита. На стук выходит сестра доктора - злющая Варвара. Она бранит детей за ранний визит и разгоняет животных, но больные звери все же пробираются в домик Айболита. Варвара разгневана. [П.Ф. Аболимов. Краткое содержание балета (1985)]

Généralement, le livret a deux destinations. D’une part, il servira à expliciter les scènes du ballet en cours de représentation, et on peut considérer que le moment de la lecture coïncidera avec le moment de leur visualisation. De l’autre, le livret peut être lu par avance par ceux qui s’apprêtent à regarder le spectacle. Qu’elle soit explicite ou implicite (lorsque le livret est lu avant), la visualisation des événements est inhérente à ce genre de discours. En dehors de cette situation, on ne parlera pas de livret mais plutôt de synopsis (voir plus bas) dont les conditions d’emploi seraient tout autres.

Puisque le lecteur se présente comme spectateur et les mots vont largement être soutenus par les images, le style des livrets sera particulièrement pauvre : la narration est concise ; les détails descriptifs sont rares ; les moyens de modalisation se veulent discrets compte tenu de l’effacement du narrateur ; le lexique utilisé n’est pas expressif ; les phrases sont simples et courtes ; l’emphase est rare.

3.2.2. SYNOPSIS

La narration synoptique se retrouve principalement dans des résumés littéraires (literaturnyj pereskaz-povestvovanie) (Glovinskaja 2001) des critiques cinématographiques ou littéraires. Mais elle ne se limite pas à ce genre de discours. Nous pensons qu’il s’agit

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ici du même type de narration que l’on trouve dans les manuels d’histoire22. En plus, il y a tout lieu de croire que là aussi, les événements vont être « visualisés ».

Contrairement aux livrets des ballets où le caractère « visuel » des événements reflétait surtout la vision du lecteur (qui était aussi spectateur), le synopsis présentera les événements d’un autre point de vue, celui du narrateur. Dans ce genre de discours, le narrateur est toujours identifié : c’est un critique apposant sa signature à la fin de l’article ou du livre. Il est vrai que les genres de discours où l’on peut trouver le synopsis ne sont a

priori pas homogènes du point de vue énonciatif. Mais on peut supposer que l’expansion de cette forme de résumé s’appuie quand même sur une situation du visionnage. Ainsi, en écrivant un article sur un film, l’auteur va résumer les événements tels qu’il les a observés lui-même. Nous sommes donc bien dans une situation énonciative semblable aux commentaires sportifs ainsi qu’aux livrets des ballets avec les événements qui « défilent devant les yeux ». Les choses deviennent sans doute plus discutables pour le cas des œuvres littéraires où manifestement il n’y a pas de visionnage possible. Nous pensons qu’il s’agit là d’une extension du résumé cinématographique aux autres œuvres artistiques. La question qui se pose alors est de savoir à quelle période remontent les premiers synopsis et si l’on peut considérer comme « forme source » – critique du cinéma – une situation historiquement postérieure (la fin du XIXe siècle) à d’autres formes d’art, bien plus anciennes. Il est vrai que dans l’état actuel des choses, il nous est impossible de répondre à cette question de manière assurée. Mais en faveur de notre hypothèse nous pouvons citer un extrait de Istorija gosudarstva Rossijskogo de N.M. Karamzin (1816-1826). Dans cet ouvrage sur l’histoire de Russie, l’un des premiers, sont surtout utilisées les formes du passé PF et du passé IPF, comme nous l’avons observé dans une narration distanciée (voir un extrait à page 169). Comme nous n’avons pas relevé dans Istorija de N.M. Karamzin de présent IPF comparable à celui utilisé dans les synopsis23, nous continuons à penser que ce genre de discours est apparu bien plus tardivement.

Par ailleurs, contrairement au commentaire sportif ou au livret des ballets, le synopsis se distingue par le fait qu’il ne constitue jamais ce que l’on pourrait nommer un texte fini, au sens large du terme. Même si le synopsis présente une séquence narrative achevée, celle-ci est toujours dépendante d’une autre séquence : elle s’intègre à une séquence dominante, le plus souvent à valeur argumentative : le synopsis ne sert qu’à appuyer le

22 Rappelons que c’est de là que le présent IPF tient le nom de « présent historique ».

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raisonnement du narrateur et à initier le lecteur afin qu’il puisse suivre son raisonnement. Prenons les exemples suivants :

Exemple 5 : Вторая часть этой сказки менее интересна, и мы м о ж е м о г р а н и ч и т ь с я кратким ее пересказом. (...) Психея в отчаянии хочет покончить с собой и с обрыва бросается в ближайшую реку. Но происходит чудо: «Кроткая речка (...) сейчас же волной своей вынесла ее невредимую на берег (...)». Она спускается в странствие и ищет Амура. Она проходит по странам и народам, но не может его найти. Между тем Венера узнает о проделках своего сына. Ей об этом сообщает чайка. Э т о тоже общефольклорный мотив. Вещая птица, вещий конь или другое вещее животное с о о б щ а ю т героям о том, что случилось. Венера узнает, что та самая Психея, которой воздавали божеские почести за ее красоту, стала любовницей ее сына. (...) (Вл.Пропп. Русская сказка) Exemple 6 : Любопытный пример типа, когда сюжет р а з в и в а е т с я на ложной фабульной линии, – новелла Амброза Бирса «Приключение на мосту через Совиный ручей»: человека вешают, он срывается в ручей – сюжет р а з в и в а е т с я далее на ложной фабульной линии – он плывёт, убегает, бежит к дому – только там умирает. (Ю. Тынянов, d’après Glovinskaja 2001 : 222)

Les extraits cités montrent bien que la narration synoptique permet d’activer momentanément les événements dont le narrateur avait pris connaissance dans le passé. Ces événements peuvent garder un caractère éphémère car ils ne sont activés qu’à un moment bien précis pour servir le raisonnement du narrateur. Cet enchaînement de séquences de niveaux différents fera de la narration synoptique un cas plus complexe de la narration à effets visuels : un tel jeu des plans énonciatifs ne s’observe pas ni dans les commentaires sportifs, ni dans les livrets de ballets.

Tenu par l’obligation de l’exactitude, le narrateur n’interviendra pas dans les événements narrés, comme c’était le cas dans la narration distanciée, mais il n’hésite pas à interrompre son récit pour insérer son commentaire, établissant ainsi une connexion avec une séquence dominante. C’est ainsi que dans le (6), l’énoncé sjužet razvivaetsja po ložnoj

fabul’noj linii permet au narrateur de souligner un passage important pour son argumentation. Dans l’exemple tiré de Vl. Propp, on retrouve la même chose : le passage de deux phrases du milieu du troisième paragraphe (Eto tože obščefol’klornyj motiv.

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slučilos’) permet de commenter au passage un point précis à portée générale dans la structure du conte.

Il est intéressant que dans les deux cas, dans un synopsis comme dans l’argumentation qui l’englobe, on trouve des formes de présent IPF. Si dans le texte argumentatif on peut considérer le présent IPF comme proche du présent actuel, dans la narration synoptique il conviendrait plutôt de parler du « présent-passé actualisé » car cette forme aspecto-temporelle permettra d’insérer des événements passés dans une séquence au présent. Les formes du passé éloigneraient ces événements du raisonnement : cf. Psixeja xotela

pokončit’ s soboj i s obryva brosilas’ v reku…

Dans la typologie des genres de discours qui font appel à une séquence narrative, le synopsis occupera sans doute une position intermédiaire entre les ballets de ballet et la narration des chroniques. C’est surtout le caractère laconique de l’énonciation qui rapproche le synopsis des livrets de ballets : les événements sont exposés de manière concise et simple (grâce au choix du lexique), sans expressivité particulière ni recherche esthétique (les passages descriptifs sont quasiment absents, les séquences descriptives sont, semble-t-il, impossibles). Dans le synopsis, l’exposé est centré aussi sur l’essentiel de l’intrigue.

D’autre part, le synopsis peut être rapproché de la narration des chroniques, en particulier du point de vue de l’identité du narrateur – le critique, disons, de cinéma vs. le transcripteur des chroniques (letopisec). Dans un cas comme dans l’autre, ils sont responsables d’un exposé objectif des événements passés (en tout cas, ces événements ne sont généralement pas mis en doute). Ainsi, le narrateur-critique de cinéma répond de l’exactitude des événements dont il était lui-même spectateur. C’est à travers son regard que les événements de fiction changent de statut en devenant des événements réels. Et ce sont justement les événements réels, historiques, qui sont retranscrits par le chroniqueur, lui-même témoin de l’époque.

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, il serait erroné d’affirmer que le présent de narration sert à faire représenter au lecteur les événements comme s’ils se déroulaient sous ses yeux. S’il est vrai que le côté visuel y est toujours implicite, en revanche, nous n’aurons pas le même type d’énonciation dans les livrets où le visuel est présenté comme une expérience future du lecteur, que dans le synopsis où le présent renvoie à l’expérience visuelle passée du narrateur. Tout cela nous amène à la constatation suivante : le présent de narration, outre un récit en direct (commentaire sportif), servira à l’actualisation des événements passés (synopsis) comme ceux du futur (livret). Par conséquent, considérer le

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présent de narration comme plus expressif par rapport au passé PF dans les mêmes contextes c’est ne pas prendre en compte les fonctions textuelles de cette forme.

Ainsi donc, nous avons observé que le présent IPF était le seul temps propre à la narration synoptique. Même si les formes du passé ou futur IPF et celle du présent-futur PF peuvent résumer les événements, elles ne feront pas progresser la narration et devront être considérées comme descriptives.