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Proposition d’un modèle d’analyse et de gouvernance stratégique du

CHAPITRE 2 : REVUE DE LA LITTÉRATURE

3.3 L’atrophie de la vigilance comme outil de structuration d’analyse et modélisation

3.3.3 Proposition d’un modèle d’analyse et de gouvernance stratégique du

Tel que mentionné plus haut, nous n’adopterons point une posture hypothético- déductive voulant confirmer un modèle existant. Les modélisations existantes servent à enrichir notre compréhension du terrain de recherche, à l’image de « lentilles » adaptées à différents niveaux d’observations, mais c’est le terrain lui-même qui fournira les bases d’une modélisation capable de rendre compte d’une réalité dynamique et complexe.

Nous souhaitons, à partir de la construction de cette théorie, formuler un modèle applicable aux infrastructures critiques qui implique une série d’indicateurs de vigie atrophiée des signaux faibles et qui implique également l’identification de leviers et des stratégies pour débloquer les cercles vicieux (Morin 1976) qui mènent à la dégénérescence des systèmes.

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L’approche systémique, processuelle, que nous adoptons dans le cadre de cette analyse « situe la crise [dans] ses origines, sa gestation, son incubation et sa dynamique de développement » (Roux-Dufort, 2000, 19). Ainsi, la crise est un évènement graduel, car il faut prendre en compte l’incubation de facteurs de risques latents et leur matérialisation. La dimension temporelle est importante, tout comme la dimension systémique. Autrement dit, il faut prendre en compte les effets dans le temps de toute activité industrielle et des modes de gouvernance par lesquels l’intelligibilité du danger est rendue possible.

La collaboration interorganisationnelle et la gouvernance en réseau sont des éléments importants d’une analyse systémique des risques, qu’ils soient générés par les opérations pétrolières, chimiques, ferroviaires ou autres. Ils sont des leviers puissants pour gérer l’incertitude efficacement et diminuer les facteurs potentiels d’atrophie de la vigilance.

La littérature en gouvernance de la résilience propose des principes d’analyse et de gestion pertinents car elle identifie les leçons tirées par les scientifiques de la gestion des crises et des catastrophes passées. Elle situe l’analyse des crises dans une approche processuelle et leur gestion comme étant influencée par la compréhension des dynamiques complexes et parfois même paradoxales. Elle propose la mise à contribution des attributs relationnels et interorganisationnels en tant que leviers d’amélioration des niveaux de risque et de résilience.

Par contre, la multiplication de catastrophes pétrolières, ferroviaires et les accidents industriels permet de douter du fait que ces pratiques d’analyse et de gestion dynamique des interdépendances et des paradoxes soient intégrées dans la gestion courante et la gestion de situations d’urgence. Gérer l’incertitude dans les réseaux est un processus dynamique qui repose sur la communication interorganisationnelle, sur des perceptions du phénomène de risque et sur des réalités sociales et institutionnelles qui évoluent.

Les gestionnaires publics doivent pouvoir savoir où l’information se trouverait et constamment être conscients que de l’information leur échappe probablement. Cette incertitude ne doit pas pour autant empêcher la prise de décision (Lagadec 1991a, 2002). Ainsi, ils resteront prudents sur le niveau de fiabilité des dispositifs de décodage du risque.

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À long terme, un système résilient est un système protégeant ses fonctions, pas ses fonctionnaires. Il doit être capable de générer la nouveauté, rejetant ce qui fonctionne mal et découvrir de meilleures façons de fonctionner (Longstaff 2005, 39, traduction libre).

L’organisation résiliente est une organisation capable d’adaptabilité et de réflexivité. Notre approche à la résilience est une approche qui s’inspire de l’étude en gestion des systèmes complexes : « l’approche sociotechnique de la résilience (…) encourage un état de préparation flexible et axé sur la connaissance à travers toutes les collectivités à risque » (Comfort et al. 2010b, 284, traduction libre).

L’apprentissage est crucial pour la résilience. Une organisation qui vit une crise doit en tirer des leçons et accepter ses défauts qui l’ont mené à vivre cette crise ou à être incapable de la gérer efficacement. Cet apprentissage est toutefois difficile, puisque les organisations peuvent tenter de camoufler leurs erreurs plutôt que d’apprendre d’elles (Sagan, 1993, 46). De plus, étant donné le pouvoir des experts, elles peuvent se baser à nouveau sur les mêmes logiques scientifiques qui appellent à une croyance fautive en une invulnérabilité des systèmes, des stratégies et des structures (Pauchant et Mitroff 1988).

Bref, nous analyserons notre cas de manière exploratoire, mais chemin faisant, affinerons notre analyse du cas et le comparerons avec d’autres situations et phénomènes. Si cela est pertinent pour décrire les manières de mieux détecter les signaux latents des crises, conformément à notre objectif de recherche, notre modèle pourra faire l’intégration de plusieurs théories complémentaires : la littérature en gouvernance de la résilience dans les systèmes complexes et les processus de l’atrophie de la vigilance (appliquée à un réseau d’organisations publiques et privées). Résumé du chapitre

La question à laquelle cette thèse souhaite répondre est la suivante : Comment pouvons-nous, dans une infrastructure essentielle telle qu’un système ferroviaire, mieux détecter les signaux latents du risque53 et plus particulièrement, détecter

l’atrophie de la vigilance? Pour y répondre, nous souhaitons créer une modélisation qui soit holistique en ce qu’elle tienne compte des paradoxes, tensions et écueils à une gestion optimisée du risque qui ont été décrits dans la revue de la littérature et la

53 Nous faisons référence ici aux grands risques de crises majeures appelés dans la littérature

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problématique de recherche. Or, la prise en charge des signaux précurseurs requiert un système de gestion interne et un système de régulation gouvernemental qui intègre certains des principes issus de la littérature en gestion de risque et de crise.

Nous mènerons une recherche ancrée dans le but d’explorer la gouvernance et ses mécanismes au sein de l’infrastructure ferroviaire canadienne. Notre analyse comprendra trois niveaux : les pratiques des organisations privées (MMA), les pratiques de régulation et la gouvernance du réseau. Elle visera à étayer les contradictions, les cercles vicieux et les sources de risques latents en présence dans le réseau de gouvernance du risque ferroviaire. Nous chercherons également à comprendre dans quelle mesure il a eu, suivant la crise, apprentissage.

Une crise majeure54 de l’ordre de Lac-Mégantic crée une onde de choc susceptible de

générer de l’apprentissage de différente nature et de différents niveaux. Elle peut aussi contribuer à développer le sentiment de besoin de coopérer découlant de la prise de conscience de l’interdépendance des missions des organisations respectives. Cependant, les rationalisations (Mitroff et Pauchant 1995) et les logiques institutionnelles cloisonnées (Kervern 1995) sont des sources de régression (Weick 1993b) qui n’ont pas été modélisées dans le modèle de l’atrophie de la vigilance. Freudenburg, indiquait, par ailleurs, que sa théorie était partiellement réfutée dans l’étude du cas de la catastrophe pétrolière du Golfe du Mexique (Freudenburg et Gramling 2011, 42).

C’est donc à partir de plusieurs outils théoriques que nous emploierons une approche abductive et génèrerons un modèle revisité des barrières et des leviers à la vigie optimale du risque dans un réseau de gouvernance du risque. Notre analyse est exploratoire et guidée par les principes de gestion issus de la littérature en science de l’organisation et en gestion de crise (résilience). Dans le prochain chapitre, nous aborderons la méthodologie de recherche.

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CHAPITRE QUATRE : MÉTHODES

Ce chapitre sera divisé en trois sections. La première section portera sur les notions d’études de cas et de « cas révélatoires ». Nous illustrerons cette méthode d’échantillonnage par une brève présentation de l’analyse de deux cas menés par le théoricien de l’atrophie de la vigilance, William Freudenburg (1992a).

Ensuite, nous présenterons notre méthode de collecte, qui repose sur deux méthodes : l’entrevue semi-structurée et, dans une moindre mesure, l’analyse documentaire. La section finale présentera le processus de codification de nos données que nous avons employé.