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Principes liés à l’évaluation de la crédibilité de la démarche générale de

CHAPITRE 2 : REVUE DE LA LITTÉRATURE

4.4 Évaluation de la théorie formulée par méthode qualitative

4.4.1 Principes liés à l’évaluation de la crédibilité de la démarche générale de

La crédibilité en recherche qualitative représente la validité interne. La crédibilité est la validité de signifiance des interprétations, qui découle d’une part, du fait que les interprétations seront corroborées par les différents répondants et/ou sources et d’autre part, parce qu’elles sont reconnues comme fiables par les pairs.

La crédibilité traduit un souci de validation interne au plan de la saisie de données, par l’utilisation de la technique de triangulation des sources et des méthodes ainsi qu’un souci d’établir la validité de signifiance de l’observation (accord entre le langage et les valeurs du chercheur et ceux de l’acteur) et la validité de signifiance des interprétations (corroboration de l’interprétation du chercheur avec d’autres personnes, voir l’acteur lui- même (Gohier 2004, 6).

Pour s’assurer de la crédibilité de l’interprétation, nous nous sommes assuré que les résultats majeurs de cette recherche (identification des déficits de gestion, de structure

62 En science de la nature, les paramètre de la validité scientifique sont notamment: la consistance (non-

contradiction), la complétude (exhaustivité par rapport au domaine d’objet), la limitation (conscription du domaine), le pouvoir d’interprétation (fécondité herméneutique, capacité de production d’hypothèses), le pouvoir de prédiction (capacité de rendre compte empiriquement des phénomènes), la vérifiabilité, l’analyticité (la structure logique de l’appareil analytique) et l’irréductibilité (c’est-à-dire, la simplicité et le caractère fondamental de la théorique: Gauthier 1995, cité par Gohier 2004, 17).

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ou d’organisation) soient toujours corroborés par au moins deux sources. Les interviews n’ont pris fin qu’au moment où tous les résultats furent corroborés et qu’une saturation soit empirique ou théorique, ait été atteinte. Nous nous sommes inspirés de la procédure d’analyse de Miles et Huberman (1994):

« analyse comparative continue, catégorisation, mise en relation des catégories, formulation et vérification des hypothèses sur ces relations, spécification des conditions d’apparition d’un phénomène et ses conséquences, passage de la codification ouverte à substantive à la codification ciblée et formelle, réduction de la théorie à quelques propositions centrales ». (Miles et Huberman, 1994, cités par Laperrière 1997a, 328).

Selon ces auteurs, de même que selon Eisenhardt (1989a) qui a beaucoup inspiré notre démarche de théorisation ancrée, l’utilisation de « lentilles diverses et structurées » sur les données (Eisenhardt 1989a, 541) permettent une recherche plus crédible. Nous avons procédé à l’établissement d’une grille d’analyse provisoire au début de notre recherche, en étudiant comment les différents niveaux que représentait la théorie de l’atrophie de la vigilance trouvaient écho dans la littérature sur le risque ferroviaire et dans les études des catastrophes ferroviaires passées. Cette étape a été validée par le jury de proposition de thèse.

Notre grille d’analyse, conformément à une approche qualitative ancrée, se dote de catégories analytiques qui se reconstruisent et s’affinent pendant la collecte des données. Les grilles a priori servent de structure à la collecte mais n’entravent pas le travail de génération de propositions (ou d’hypothèses) ancrées dans les données. De la même manière, une attention particulière à la recherche de schèmes généraux nous a poussés à sélectionner dans notre bassin de répondants des gens aux positionnements spécifiques: des observateurs du régime de gouvernance, des spécialistes, des gestionnaires et des conseillers.

Nous avons également porté une attention particulière au fait d’obtenir un équilibre dans les points de vue et d’obtenir plusieurs répondants issus d’organisations les plus centrales dans le réseau de gouvernance du risque. Un focus bien défini contribue à la sélection de données pertinentes.

1a - La Saturation théorique et la saturation empirique comme critères de crédibilité

Il existe deux types de saturation: théorique et empirique: « La saturation empirique s’arrête lorsque aucun élément nouveau ne vient altérer la description de la culture ou

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de la situation à l’étude » (Laperrière 1997a, 324). La saturation théorique est le « point où l’apprentissage incrémental est minimal » (Ibid) parce que le chercheur observe un phénomène déjà observé. Autrement dit, après maintes itérations entre la théorie et l’empirie, on atteint ce que Eisenhardt appelle closure (1989a) : le point de clôture, où la poursuite de l’analyse ne permet ni d’en apprendre davantage vis-à-vis des dynamiques internes au cas, ni d’ajouter des construits à l’univers théorique. L’absence de répondants issus d’une organisation particulière posait problème, dans la mesure où l’organisation en question était centrale à la corroboration de constats et de « situations problématiques » ou « d’enjeux » issus de répondants d’organisations qui lui étaient externes. Nous avons donc continué de solliciter des répondants jusqu’à ce que nous ayons eu accès à ce réseau dont l’accès avait été a priori difficile. Un changement conjoncturel (de niveau politique) a favorisé l’ouverture de cette organisation à sa participation dans des recherches académiques.

La saturation a été atteinte à l’issue d’une triangulation des sources, d’une validation des interprétations et d’itérations répétées entre empirie et théorie.

1b - Transparence du processus de démonstration et du potentiel de généralisation comme critère de crédibilité

Dans cette section, nous aborderons le processus de généralisation. Nous décrirons comment notre recherche ancrée nous a permis la formulation d’un cadre d’analyse original et comment les théories et les construits précédents ont été mobilisés dans le cadre de cette démarche.

La généralisation dépasse « la simple accumulation d’observations en liant les phénomènes entre eux de telle sorte qu’il leur attribue peu à peu les schèmes interprétatifs. Il s’agit d’un processus [...] herméneutique où la pensée remonte graduellement d’un phénomène unique vers l’interprétation globalisante de manière à donner un sens à ce qui est analysé » (Blais et Martineau 2006, 16). Autrement dit, nous rendons compte de manière démontrée (appuyée sur des solides bases empiriques) d’un phénomène, de ses dynamiques, dans une approche qui s’apparente davantage à la découverte que la vérification (Laperrière 1997a, 313). On modélisera le processus, « sous l’angle de l’évolution du phénomène » et nous intégrerons, dans la théorie émergente, « l’ensemble des incidents concernant le phénomène à l’étude ».

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Nous devons comprendre un système social, c’est à dire, un régime de gouvernance du risque et ses leviers de vigilance, de même que les barrières à celles-ci. L’exhaustivité empirique n’est pas visée, mais bien, l’exhaustivité théorique.

Notre procédure analytique basée sur l’approche de la théorie ancrée (Eisenhardt 1989a) a permis l’identification des schèmes propres à l’administration publique québécoise et canadienne, venant étayer, spécifier et illustrer l’occurrence des dynamiques particulières. Le fait que celles-ci (les dynamiques émergentes) se soient apparentées aux processus proposés par Freudenburg (1992), a eu une influence double : sur la qualité de l’analyse, puis sur le potentiel de généralisation de notre modélisation nouvelle.

D’abord, les perspectives théoriques pré-ordonnées ou propositions peuvent biaiser ou limiter les résultats (Eisenhardt 1989a). Cependant, l’ajustement graduel de l’outil d’analyse, c’est-à-dire la sélection de lentilles variées et au potentiel explicatif important permet au modèle un ancrage théorique plus solide et un meilleur focus analytique (Gersick 1988 cité par Eisenhardt 1989a, 539). La qualité de l’analyse est renforcée par le recours à d’autres théories parce qu’elles sensibilisent à des dimensions pertinentes à intégrer dans notre analyse, à condition de les employer sans qu’elles restructurent, biaisent ou dénaturent notre démarche et ses objectifs.

Deuxièmement, en s’inspirant du modèle de Freudenburg, sans chercher à le confirmer, mais bien, en reprenant de ses construits les plus utiles pour trouver réponse à notre questionnement général, des avenues analytiques ont pu être explorées de manière à retracer la présence et la matérialisation et les conditions dynamiques d’atrophies dans un réseau. C’est donc à partir de notre terrain de recherche, que nous avons analysé avec des lentilles variées (Weick 1996)63. Des itérations entre ces

construits et notre analyse nous ont permis de proposer une opérationnalisation plus raffinée de ces dynamiques préalablement étudiées dans d’autres contextes.

Enfin, le potentiel de généralisation repose également sur une comparaison inter-cas (Eisenhardt 1989a) même si cette comparaison est limitée ou que des études

63 Weick, en 1998 écrivait que ce que Turner aimait de la pédagogie de Burns, qui est l'auteur, avec

Stalker, du livre "the management of innovation" (Burns et Stalker 1962) était « son utilisation de la technique de recoupement d'une multiplicité de dires qui permet de saisir l'essence des phénomènes, un style que Turner se représentait comme "agiter un kaléidoscope" » (Weick 1998, citant Turner 1995, 283).

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antérieures soient employées à titre d’analogies ou d’illustrations additionnelles du processus décrit par le modèle proposé.

Par exemple, après avoir présenté sa théorie et l’avoir illustrée de ses deux cas principaux, Freudenburg (2003) souligne également que le Département américain de l’énergie (DOE) n’est absolument pas la seule institution pour laquelle l’échec dans la gestion a mené à une augmentation substantielle des risques. Les « logiques institutionnelles » sont parmi les facteurs explicatifs de la génération des risques dans plusieurs autres cas. Il cite, entre-autres, Reason (1986), qui a étudié l’accident nucléaire de Chernobyl et qui indique que la centrale a connu sa défaillance dévastatrice au moment même où des systèmes de sécurité avaient été mis hors- fonction.

Freudenburg (1992a) abordait aussi la propension bureaucratique d’altérer l’information pour plaire à la haute direction ou simplement parce que les relais informationnels ne captent pas 100% du contenu émis par l’interlocuteur expert ou bien auraient tendance à altérer la communication de « mauvaises nouvelles ». Ce genre de comportement était analysé par Mason (2004) en analysant la culture de la NASA qui étouffait les mauvaises nouvelles et plaçait des considérations managériales plutôt que scientifiques au cœur des décisions.

Le recours à des exemples supplémentaires est nécessaire pour inférer à la théorie proposée une valeur de vérité (« truth claim » – Kuhn 1970). Cela permettra à la théorie de sortir de la description et de se dégager de l’anecdotique pour entrer dans le domaine des régularités observables et auxquelles nous pourrions nous attendre dans la vie des organisations publiques.

La rationalité se construit collectivement (Baudrillard 1997). Il revient donc au public (ou lecteur) d’une recherche de juger de sa validité, considérant que les phénomènes organisationnels que nous analyserons seront parfois similaires mais ne se manifesteront pas exactement de la même façon à travers des contextes multiples et variés. Une comparaison à des analyses et des phénomènes de référence collective est donc utile pour illustrer le potentiel de généralisation des découvertes, phénomènes ou modélisations scientifiques issues d’une étude d’un seul cas.

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1c - La Triangulation

La crédibilité de l’analyse et du modèle proposé est renforcée par la triangulation des sources et des méthodes qui a pris trois formes :

1- Nos hypothèses sont restées "des hypothèses" jusqu’à ce que notre interprétation soit corroborée par les données issues de nos répondants ou jusqu’à ce que la signification donnée à un discours trouve écho dans une autre forme de support (rapport officiel, loi, données chiffrées ou historiques).

2- Nous avons également validé tant nos hypothèses que nos analyses avec d’autres chercheurs en administration publique (c’est à dire, essentiellement avec la directrice de thèse, et avec d’autres chercheurs issus de l’administration publique ou du milieu universitaire) et ce, jusqu’à ce que le processus par lequel ces résultats étaient considérés probants soit lui aussi validé.

3- En fin d’analyse, des discussions et des validations des construits ont également eu lieu avec des experts issus de l’appareil gouvernemental, des milieux académiques et des professeurs d’administration publique. Cette démarche, basée sur une technique de triangulation respecte la validité de signifiance des interprétations (Gohier 2004, 6) et la transférabilité (validité externe).