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Le cas révélatoire comme stratégie d’échantillonnage

CHAPITRE 2 : REVUE DE LA LITTÉRATURE

4.1 Le cas révélatoire comme stratégie d’échantillonnage

En recherche qualitative, les chercheurs utilisent un ou des « cas révélatoires », c’est- à-dire un cas par lequel le phénomène d’intérêt puisse être « observé de manière transparente », c.-à-d. (Yin 1994 cité par Lesselroth et al 2011). Guidée par plusieurs normes scientifiques (Yin 2013), l’étude de cas permet l’approfondissement d’un phénomène ou un processus précis, bien inscrit dans son contexte (Eisenhardt 1989a, cité par Gagnon, 2012). Elle présente un phénomène comme un tout intact et intégré, et donc, le décrira de façon précise, holistique et claire (Gagnon 2012, 2 en référence à Russell et Bullock 1986).

L’étude de cas est une méthode qualitative de recherche qui est destinée à répondre à ce type de problèmes, c’est-à-dire, exploratoires et guidés par une « felt difficulty » – Dewey 1927). Une problématique provisoire, un questionnement d’ordre général, tel que notre question de recherche et les problématiques soulevées au niveau du transfert des connaissances sur les crises dans le secteur public représente une telle "difficulté ressentie". La formulation d’une question de recherche générale et spécifique contribue à structurer la démarche que nous avons choisie, c’est à dire, une démarche conforme à la théorie ancrée, selon une approche constructiviste abductive.

Le cas de Lac-Mégantic nous permettra une incursion au cœur des stratégies de gestion qui ont présidé à la catastrophe ferroviaire et nous permettra de répondre à notre question de recherche par la formulation d’un modèle théorique bien ancré dans nos connaissances et notre compréhension du terrain que nous analysons. Tel que

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précisé dans le chapitre précédent, notre design de recherche s’appuiera sur ce cas pour permettre une modélisation originale.

Pour illustrer ce concept, nous utiliserons l’exemple de la construction de la théorie de l’atrophie de la vigilance issu deux cas « révélatoires ».

A- La catastrophe de l’Exxon Valdez

Freudenburg utilise deux exemples de catastrophes « prévisibles » afin d’illustrer la théorie de l’atrophie de la vigilance (1992a). D’abord, dans le cas du déversement pétrolier l’Exxon Valdez :

Le navire était plus du 8000e qui entrait ou quittait le port dans une décennie sans qu’il

ne survienne un seul échec catastrophique (…) Malgré un ensemble de systèmes de navigation dotés d’un niveau de sophistication [sans précédent] l’une des organisations les plus grandes et des plus technologiquement sophistiquées a réussi à frapper un obstacle qui était littéralement à des miles de son trajet et qui était marqué d’une lumière rouge clignotante. L’obstacle était clairement marqué sur les cartes de navigation et il était bien connu des marins pour plus de deux siècles (Freudenburg 1992a, 20, traduction de l’auteure).

Les plans d’urgence donnaient l’impression que le risque était bien géré, alors que le naufrage de 1989 a mis à jour le fait que ceux-ci étaient inopérants et inefficaces

Pendant les premiers jours, la seule réponse efficiente au déversement n’est pas venu des organisations qui avaient des plans de contingence, mais des pêcheurs de la région qui, plutôt que de se préoccuper d’attribuer la responsabilité à l’un ou à l’autre […] ont essentiellement ignoré ce genre de mondanités bureaucratiques et se sont mis au travail. Ce sont les pêcheurs, qui étaient pourtant les moins préparés, qui ont identifié les barrages flottant de la Norvège et qui se sont organisés afin de les faire transporter vers Cordova, en Alaska et pour coordonner leur déploiement pour sauver les couvoirs critiques et les côtes habitées (Freudenburg 1992a, 26 traduction de l’auteure).

Les ressources prévues dans ces plans n’étaient pas prêtes à être mobilisées et les canaux de communication qui devaient théoriquement coordonner ces ressources n’étaient pas fonctionnels et prêts à être activés. L’organisation aurait même interprété des quasi-accidents comme la preuve que les mesures de sécurité fonctionnaient bien (Freudenburg 1992a).

B- Le programme de gestion des déchets nucléaires du gouvernement américain

Freudenburg (2003) a aussi étudié en profondeur le cas du programme nucléaire américain et de la législation entourant l’enfouissement des déchets nucléaires :

À travers le processus de production d’armes, le Ministère de l’Énergie et ses nombreux sous-contractants ont aussi produit un modèle systématique remarquable de sites excessivement contaminés – un problème de contamination industrielle supérieur à celle

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de toute autre industrie, et peut-être même encore plus grand que toutes les autres activités industrielles réunies (Freudenburg 2003, 109 traduction libre).

Les études du Ministère de l’Énergie (DOE) étaient peu confiantes à l’effet qu’il soit même possible d’établir des mécanismes efficaces de surveillance : « Il existe peu ou pas de preuves démontrant l’efficacité de la mise en œuvre et du maintien des contrôles institutionnels » (DOE 1997 cité par Freudenburg 2003, 112, traduction libre). Une étude de la National Academy of science, donc, théoriquement encore plus indépendante du pouvoir institutionnel que ne le sont les études internes du ministère de l’Énergie (le DOE), concluait également à l’échec plus que probable des politiques de gestion des déchets nucléaires : « Les contrôles institutionnels échoueront » (National Research Council, 2000, 97 cité par Freudenburg 2003, 112).

Donc, Freudenburg (1992a), à partir des observations qu’il a menées du comportement et des interactions entre les organisations publiques et privées, a proposé la théorisation suivante : c’est avant tout le temps, combiné à des facteurs individuels, organisationnels et managériaux, qui est le facteur le plus important pour expliquer la probabilité de catastrophes (Freudenburg 1992a).

Il spécifiait que ce mécanisme de diffraction était l’un des mécanismes d’amplification organisationnelle du risque produits par l’organisation et qu’une prise de conscience de ceux-ci était tout à fait nécessaire (Ibid). Nos analyses préliminaires faisaient état d’une telle diffraction, c’est-à-dire, la non-prise en compte, ou l’ignorance de signaux d’alarme contradictoires aux attentes (Weick 1993a), ou contraire à la catégorisation pré-établie de la rétroaction (Morin 1976) sur les programmes gouvernementaux. Comme l’a fait Freudenburg (1992a), nous mobiliserons une analyse des organisations du réseau de gouvernance du risque ferroviaire afin de proposer un modèle théorique, conformément à l’approche et aux objectifs édictés aux chapitre précédents.