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Proposition d’un mécanisme réactionnel et conclusions

CHAPITRE 4 Etude mécanistique de la réaction d’amination de thioéthers diastéréosélective

4.4 Proposition d’un mécanisme réactionnel et conclusions

L’ensemble des études mécanistiques que nous avons réalisé dans ce chapitre nous permettent de proposer un mécanisme tangible pour le processus catalytique d’amination de thioéthers diastéréosélective, à partir du N-mésyloxycarbamate (S)-43. Le carbonate de potassium déprotonne (S)-43 pour former un précipité blanc insoluble (A) dans l’acétate d’isopropyle (Étape 1) (Schéma 30). Le sel de bispyridinium joue le rôle de catalyseur de transfert de phase, en effectuant un échange cationique avec le sel potassique insoluble du N- mésyloxycarbamate (Étape 2). Cette association a pour conséquence de rendre l’anion (B) plus soluble (donc plus disponible dans le milieu réactionnel) pour se coordiner sur l’une des positions apicales du dimère de rhodium.

Schéma 30. Mécanisme réactionnel postulé pour la réaction d'amination de thioéthers

Il est possible qu’une quantité catalytique de l’anion de (S)-43 serve d’oxydant pour la formation du complexe de rhodium de valence mixte Rh(II)/Rh(III). Tel que représenté au

Schéma 31, le transfert d’un électron du dimère de rhodium (II) pourrait générer l’anion radical

du carbamate. Après une première protonation et le transfert d’un second électron, l’anion du carbamate se protone et forme le carbamate primaire. Ce dernier est un sous-produit habituellement observé dans les processus d’amination impliquant des N- sulfonyloxycarbamates. Il est également observé à l’état de traces dans les réactions d’amination de thioéthers

Schéma 31. Génération du complexe de rhodium de valence mixte Rh(II)/Rh(III) dans les

conditions réactionnelles

Les espèces nitrènes métalliques sont également considérées comme oxydantes. Il n’est pas impossible qu’une faible proportion de nitrène se soit formée et contribue à oxyder le dimère de rhodium (II) en une espèce de valence mixte. C’est donc un complexe de rhodium de valence mixte Rh(II)/Rh(III), stabilisé par la présence du DMAP (76) en positions apicales, qui réagit avec l’anion de (S)-43. Un complexe nitrénoïde de rhodium (C) dans lequel le groupement sulfonyle est toujours présent sur l’azote électrophile est alors formé (Étape 3). L’environnement chiral de cette espèce réactive est influencé par la présence des additifs : le DMAP (76) affecte la conformation spatiale du dimère de rhodium (II,III) et le bispyridinium, qui a accompagné l’anion de (S)-43, reste associé au groupe partant sulfonyloxy. L’azote électrophile de cet intermédiaire réactionnel est alors attaqué par le soufre du thiéther et entraîne le départ de

l’anion sulfonate, dans un processus de type SN2 (Étape 4). La liaison Rh-sulfilimine de

l’intermédiaire (D) est finalement clivée par fragmentation (Étape 5) et le processus catalytique peut continuer (Schéma 30).

Il est à noter que l’hétérogénéité du milieu n’affecte pas le processus réactionnel, dans le cas où la réaction est conduite sans bispyridinium. En effet, aucune variation de la cinétique de la réaction n’a été enregistrée. Le sel potassique du N-mésyloxycarbamate est donc tout autant réactif que son homologue « bispyridine », il est cependant moins sélectif, ainsi que nous avons pu le démontrer précédemment.

4.4.2 Etude de l’étape cinétiquement déterminante

Une étude approfondie de la réaction d’amination de liaisons C-H catalysée par des dimères de rhodium (II), à partir de N-sulfonyloxycarbamates, a montré que la formation de l’espèce nitrène était l’étape cinétiquement déterminante de la réaction.108 Compte tenu du fait

qu’un autre intermédiaire réactionnel que l’espèce nitrène de rhodium est postulé dans la réaction d’amination de thioéthers, les conclusions tirées dans les autres systèmes développés par le groupe ne s’appliquent plus. Nous avons donc mené une étude cinétique pour établir un diagramme de Hammett et déterminer l’étape cinétiquement déterminante de la réaction d’amination de thioéthers. La vitesse de réaction de premier ordre de l’amination de différents thioanisoles substitués en position para a été déterminée puis modélisée selon une équation exponentielle, par la méthode de minimisation des moindres carrés. Il est à noter que les points expérimentaux ont été obtenus en triplicata et que c’est la moyenne de ces points qui a servi à la détermination de la vitesse de réaction. Après pondération par la vitesse de réaction du thioanisole non substitué, le logarithme en base 10 de ces valeurs cinétiques a été corrélé aux paramètres σ+ et σ para de Hammett (Figure 60). Les valeurs des paramètres σ+ des carbocations

benzyliques ont été considérées, faute de n’avoir aucune donnée disponible dans la littérature pour le soufre. Ces valeurs ont par ailleurs été utilisées avec succès en amination de liaison C- H.108 A travers ces mesures, plusieurs choses se dégagent: la réaction d’amination atteint

généralement un plateau vers une heure de réaction à près de 95% de conversion. De plus, le diagramme de Hammett obtenu permet d’observer que la vitesse de réaction est très légèrement

plus lente avec les thioéthers substitués par des groupements électro-donneurs. De manière intéressante, la vitesse de réaction diminue également avec les thioéthers substitués par des groupements électro-attracteurs mais de façon nettement plus marquée. La forme de la courbe de Hammett dessinée par les points suggère un changement d’étape cinétiquement déterminante, dépendamment de la nature électronique des substituants présents sur les thioéthers.

Figure 60. Diagrammes de Hammett pour la réaction d'amination de thioanisoles substituées

en para à partir du N-mésyloxycarbamate (S)-43.

Tel que nous avons pu le démontrer, le thioéther a la capacité de se coordiner au dimère de rhodium (II). Lorsqu’il est substitué par des groupements électro-donneurs (plus riche en électrons) il peut entrer en compétition avec l’anion du N-mésyloxycarbamate (S)-43 pour occuper la position apicale du complexe métallique. Ceci constitue une explication potentielle à la baisse de la vitesse de réaction. Dans le cas de thioéthers substitués par des groupements électro-attracteurs, la compétition n’a plus lieu d’être et c’est probablement l’attaque de l’intermédiaire nitrénoïde de rhodium qui constitue alors l’étape cinétiquement déterminante de la réaction d’amination.

Malgré des profils très similaires dans le cas des groupements électrodonneurs, il semblerait que les paramètres de Hammett pour les carbocations benzyliques (σ+) donnent de

meilleures corrélations que les paramètres conventionnels (σ para) dans le cas des groupements électroattracteurs. La stabilisation de charge par résonance est ici plus représentative.