• Aucun résultat trouvé

Aminations de liaisons C-H et aziridinations stéréosélectives

CHAPITRE 2 Optimisation et applications d’un réactif et d’un catalyseur chiral pour des

2.1 Introduction et mise en contexte

2.1.1 Aminations de liaisons C-H et aziridinations stéréosélectives

Dans le système initialement développé par Kim Huard,109 le N-tosyloxycarbamate 44

dérivé du 2,2,2-trichloroéthanol est apparu comme étant un excellent précurseur de nitrène métallique. En terme de réactivité, la présence des trois atomes de chlores a un effet électro- attracteur stabilisateur (vis-à-vis de réarrangement de Lossen potentiels), mais également un effet bloquant, empêchant des réactions d’insertion intramoléculaires compétitives. Par ailleurs, le groupement Troc est particulièrement aisé à cliver en conditions réductrices. D’excellents résultats ont été obtenus en version racémique, lorsque la décomposition du précurseur de nitrène s’effectue en présence d’un dimère de rhodium (II) carboxylate dérivé de l’acide triphénylacétique 45 et de carbonate de potassium (Équation 18). En revanche, lorsqu’un dimère de rhodium (II) chiral est utilisé comme catalyseur dans les mêmes conditions réactionnelles, les rendements obtenus sont plus faibles (Équation 19).

Malgré un criblage intensif de catalyseurs chiraux, le meilleur ratio d’énantiomères obtenu n’a pu dépasser 72:28. Bien qu’encourageants, ces résultats demeurent modestes. De manière assez remarquable, l’activité catalytique du Rh2[(S)-nttl]4 (46) semble plus faible que

celle du Rh2(tpa)4 (45) dans le processus d’amination. En effet, l’amine protégée dérivée de

l’indane est obtenue avec 68-75% de rendement lorsque Rh2(tpa)4 est utilisé comme catalyseur,

alors que 56% de rendement est obtenu avec le Rh2[(S)-nttl]4 (46).109

Parallèlement aux efforts déployés dans le domaine de l’amination de liaisons C-H, le N-tosyloxycarbamate 44 s’est avéré efficace dans la réaction d’aziridination intermoléculaire de dérivés du styrène.110 La réaction fonctionne dans des conditions réactionnelles similaires à

celles développées dans le cadre de l’amination de liaisons C-H. Elle est catalysée par un complexe de cuivre (II) en version racémique (Équation 20) ou par un complexe de cuivre (I) en version énantiosélective (Équation 21). Plusieurs ligands chiraux de type bis(oxazoline) ont été utilisés en combinaison avec du tetrakis(acétonitrile) de cuivre (I) pour générer un catalyseur chiral in situ.

Ici encore, malgré une étude de plusieurs ligands de type bis(oxazoline), l’énantiosélectivité de la réaction demeure modeste. A ce stade, une autre stratégie a été suivie par le laboratoire, soit

le design et le criblage de nouveaux précurseurs de nitrènes de type N-sulfonyloxycarbamates. Un effort conséquent a été réalisé dans le développement de nouvelles structures, en faisant varier les propriétés électroniques et stériques des N-tosyloxycarbamates. En prenant comme point de comparaison les meilleures conditions d’aziridination décrites dans l’Équation 21, la réactivité et la sélectivité des nouveaux N-tosyloxycarbamates ont été évaluées (Équation

22).111,112

Les N-tosyloxycarbamates substitués par un groupement benzyle électro-attracteur donnent de faibles énantiosélectivités, à l’instar de leur réactivité. Contrairement à la réflexion initiale, ils ne semblent pas bénéficier d’une interaction de type empilement π favorable. Lorsque l’encombrement stérique des N-tosyloxycarbamates est augmenté, par l’ajout de substituants au niveau du motif trichloroéthyle, on observe un effet positif sur la stéréosélectivité. Le positionnement d’un groupement gem-diméthyle donne une meilleure

111 Lebel, H.; Parmentier, M. Pure Appl. Chem. 2010, 82

stéréodiscrimination (93% de l’énantiomère majeur par rapport à 85% dans le cas du N- tosyloxycarbamate 44), au détriment du rendement cependant.

Dans la continuité des efforts de recherche de nouveaux précurseurs de nitrènes, l’idée d’utiliser des N-sulfonyloxycarbamates chiraux dérivé du 2,2,2-trichlorophényléthanol (47) a émergé. Cette initiative est à l’origine du développement de méthodologies d’aminations diastéréosélectives. Le 2,2,2-trichlorophényléthanol (47) peut être obtenu de façon énantiopure par réduction énantiosélective de la cétone correspondante (le détail de cette réaction, ainsi que les étapes subséquentes de la synthèse du N-sulfonyloxycarbamate sera revue un peu plus loin dans ce chapitre).

Figure 16. Développement d’un N-tosyloxycarbamate chiral dérivé du 2,2,2-

trichlorophényléthanol

Les deux énantiomères du N-tosyloxycarbamate 48 sont donc facilement accessibles (Figure

17). Ces derniers ont été étudiés dans les réactions d’amination C-H et d’aziridination : leurs

réactivités ainsi que leur capacité d’induction asymétrique ont été évaluées.103,104

Dans un premier temps, les dimères de rhodium achiraux tels que Rh2(OAc)4 (18)

Rh2(oct)4 ou Rh2(tpa)4 (45) ont été testés comme catalyseurs, sans succès. Leur faible réactivité

(<20% de rendement en général) vis-à-vis du 2,2,2-trichlorophényléthyl-N-tosyloxycarbamate ((R)-48 et (S)-48) est un fait commun aux réactions d’insertion C-H et d’aziridination. De plus, une sélectivité de 1:1 est généralement obtenue dans ces réactions. La chiralité inhérente du réactif, probablement trop éloignée du centre de la réaction, n’est pas suffisante pour un bon

processus de stéréodiscrimination. La combinaison entre le réactif chiral 48 et des dimères de rhodium chiraux a par la suite été étudiée. Dans ce système, deux sources d’induction asymétrique coexistent : celle inhérente au réactif et celle inhérente au catalyseur. Ce processus de contrôle de la chiralité est appelé la double stéréodifférenciation.113 Ainsi, lorsque l’un des

énantiomères (R)-48 ou (S)-48 est associé à l’un des énantiomères du catalyseur chiral, un cas de correspondance (« match » en anglais) ou de dissemblance (« mismatch ») apparaît. Dans le cas de correspondance, l’association des inducteurs de chiralité a un effet stéréodiscriminant positif: en d’autres mots, la stéréosélectivité de la réaction est élevée. Dans le cas de dissemblance, l’association des inducteurs de chiralité est non productive car leurs effets stéréodiscriminants sont en compétition: la stéréosélectivité de la réaction est alors faible (Figure 17).

Figure 17. Combinaisons possibles en double stéréodifférenciation

Cette étude a été réalisée lors du développement de la réaction d’aziridination utilisant (R)-48 et (S)-48, en combinaison avec un dimère de rhodium chiral dérivé d’un acide aminé non-naturel.104 Comme détaillé plus haut, les deux énantiomères de 48 sont facilement

accessibles, ce qui n’est pas le cas de l’autre énantiomère du catalyseur. En effet, alors que l’énantiomère S des acides aminés est abordable, l’autre énantiomère est extrêmement coûteux et donc peu disponible.

L’aziridination du 2-chlorostyrène à partir de 48 a permis de constater que le cas « match » est obtenu lorsque (R)-48 est combiné avec le dimère de rhodium (II) chiral Rh2[(S)-

4-Br-nttl]4 (49) dérivé de la L-tert-leucine. L’aziridine correspondante est obtenue avec 74% de

rendement et un ratio de diastéréoisomères de 28:1 (Équation 23). En comparaison, lorsque (S)-48 est utilisé avec le même catalyseur, le rendement et la sélectivité chutent drastiquement (Équation 24).

Les améliorations apportées au design d’un nouveau précurseur de nitrène chiral efficace ont conduit le laboratoire à s’intéresser à nouveau aux processus d’amination de liaisons C-H stéréosélectives. L’association de (R)-48 avec le dimère de rhodium (II) chiral Rh2[(S)-4-Br-

nttl]4 (49) ayant donné de bons résultats dans le processus d’aziridination, elle constitua le point

de départ de l’étude sur l’amination de liaisons C-H. Initialement étudiée dans le cadre d’expériences de compétition entre les sites réactifs, la liaison C-H en position allylique s’est avérée particulièrement réactive vis-à-vis du nitrène métallique généré à partir de (R)-48 (Équation 25).104

Avec l’objectif de développer un procédé d’amination plus éco-compatible, Carl Trudel, étudiant au doctorat dans notre groupe, a réalisé une série d’améliorations pour cette réaction. Ainsi, les acétates d’alkyles ont remplacé les solvants halogénés et le groupement partant tosyle a été remplacé par un mésyle dans la structure du réactif N-sulfonyloxycarbamate chiral. Ce dernier élément améliore l’économie d’atomes du procédé, sans affecter la stabilité du réactif (le N-mésyloxycarbamate (R)-43 peut être chauffé jusqu’à 180 °C sans démontrer d’activité explosive103) ni sa réactivité. Par ailleurs, le mésylate de potassium (sous-produit de la réaction

d’amination) est biodégradable lorsqu’il est protoné. En effet, l’acide méthanesulfonique est connu pour se décomposer naturellement en sel de sulfate et dioxyde de carbone.114,115 Carl

Trudel a par ailleurs étudié la réactivité du réactif chiral vis-à-vis de liaisons C-H en positions benzyliques et propargyliques (Équations 26 et 27)

114 Wilkinson, M. C. Org. Lett. 2011, 13, 2232-2235

Le réactif (R)-43 s’est avéré particulièrement performant dans le processus d’amination. Le procédé est applicable à une large gamme de substrats (quelques exemples choisis sont détaillés dans les Équations 26 et 27). Les amines chirales sont obtenues avec de bons rendements et de bonnes sélectivités. L’intérêt tout particulier de ce système diastéréosélectif est de pouvoir procéder à l’enrichissement en diastéréoisomère majeur par chromatographie ou par une simple recristallisation (lorsque le produit est solide). Les amines chirales correspondantes peuvent alors être obtenues avec une pureté diastéréomérique élevée, pouvant aller jusqu’à >99:1.

A travers cette brève rétrospective sur l’historique du développement des réactions d’amination C-H et d’aziridination intermoléculaires, il est aisé de saisir l’intérêt des N- sulfonyloxycarbamates comme précurseurs de nitrènes métalliques. Réactifs alternatifs à l’utilisation de composés d’iode hypervalent ou d’azotures, leur manipulation pratique est simple et sécuritaire. Le N-mésyloxycarbamate 43 a l’avantage d’être un réactif commun aux procédés d’amination C-H et d’aziridination catalysées par des complexes métalliques similaires. Par ailleurs, les amines ou les aziridines chirales obtenues avec de bons rendements et de bonnes sélectivités sont des produits hautement valorisables.