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De l’italien vers le français : étude comparative des vocalismes, appuyée

II.4 Conclusion, discussion et perspectives de recherche

II.4.2 A propos des distances entre formants

Les analyses formantiques entre formants adjacents mettent en évidence plusieurs résultats. Les mesures exprimées en Hz et en Bark amènent aux mêmes conclusions.

Lorsque l’on compare les distances entre formants pour les voyelles communes à l’italien et au français, des similitudes sont observées quant à la paire de formants présentant une convergence pour les voyelles postérieures /u o ɔ/, mais une différence est trouvée pour la voyelle antérieure /i/.

En italien, (F2 – F1) semble un bon indicateur pour distinguer les voyelles antérieures et postérieures, ce

ɛ/ qui dépasse largement le seuil critique de 3.5 Bark, tout particulièrement pour la voyelle /i/. Les valeurs (F2 - F1)

pour les voyelles antérieures produites par les participants à l’étude de production diffèrent de près de 200 Hz entre /i/ (entre 1932 et 2023 Hz pour les locuteurs, entre 1980 et 2208 Hz pour les locutrices), /e/ (entre 1447 et 1577 Hz pour les locuteurs, entre 1702 et 1873 Hz pour les locutrices) et /ɛ/ (entre 1212 et 1342 Hz pour les locuteurs, entre 1523 et 1613 Hz pour les locutrices). Les distances calculées en Bark livrent un résultat comparable. Une telle observation corrobore celle de Ferrero (1968 ; 1992) qui trouve en moyenne dans les réalisations de 20 locuteurs masculins natifs de l’italien une différence d’un peu plus d’1 Bark dans la mesure de distance (F2 – F1)entre /i/ (entre 10.43 et 10.91 Bark), /e/ (entre 9.07 et 9.08 Bark) et /ɛ/ (entre 7.30 et

7.09 Bark). F2 pourrait subir une variation spécifique pour se rapprocher d’un autre formant, soit F1 soit F3, et

pourrait être à l’origine de la distinction perceptive de chacune de ces voyelles entre elles. Pour en revenir à /i/ qui nous intéresse plus particulièrement, les projections dans les plans F1/F2 et F2/F3 présentés dans ce chapitre

ainsi que les mesures d’écart entre formants successifs suggèrent que /i/ est une bonne illustration de voyelle périphérique comme montré pour le français par Schwartz et al. (1997c). Nos résultats indiquent que la convergence de formants existe pour /i/ italien mais que, conformément aux conclusions de Ferrero et al. (1995),

elle est due à une distance moindre entre F2 et F3. Cette observation suggère que les spectres acoustiques de [i]

italien et de [i] français ne sont pas comparables, et que la fréquence de F3 est à l’origine de cette différence. La

convergence formantique F3/F4 est donc moins compacte en italien qu’en français. Ces mesures vont dans le sens

de l’étude de Gendrot et al. (2008) et sont d’ailleurs équivalentes. Gendrot et al. (ibid.) ont trouvé une distance entre F3 et F4 pour /i/ de 645 Hz (σ = 230 Hz) en production du français et de 895 Hz (σ = 301 Hz) en

production de l’italien. Pour /i/ tonique produit par des locuteurs italophones (puisque l’on compare nos résultats à une étude s’intéressant aux hommes uniquement), nos résultats montrent un écart formantique en F3/F4 de

904 Hz à la tâche de phrases lues, 885 Hz à la tâche du texte lu et 867 Hz à la tâche de voyelles tenues (cf. Table II.5). Nos résultats suggèrent qu’en italien, /i/ ne serait pas forcément moins focal qu’en français mais que le centre de gravité spectral ne concerne pas les mêmes formants. Nous trouvons en effet une distance moindre en F2/F3 qu’en F3/F4 : 680 Hz au test 1, 660 Hz au test 2 et 623 Hz au test 3, donc de l’ordre de 650 Hz en moyenne

dans les productions des locuteurs italophones. Pour les phrases lues, on observe par exemple une concentration formantique au niveau de F2/F3 plutôt que de F3/F4 chez 12 des 15 sujets. Il est intéressant de souligner qu’une

telle convergence entre F2 et F3 a été montré pour /y/ en français (Schwartz et al., 1997c ; Vaissière, 2007 ;

Gendrot et al., 2008 ; Georgeton et al., 2012) et que cette différence de valeurs est estimée entre 500 Hz

(Georgeton et al., 2012) et 600 Hz (Gendrot et al., 2008), ce qui est assez proche de nos résultats. Par ailleurs,

Gendrot et al. (2008) trouvent que la valeur en F3 pour /i/ diffère selon les langues. Ils suggèrent que les langues

n’utilisent pas exactement le même procédé articulatoire pour son émission. Nos résultats vont dans le sens de leur hypothèse. L’écart minimal entre F2 et F3 pour /i/ en italien pourrait trouver une explication dans la différence

articulatoire de trait d’arrondissement. Il est possible que les natifs de l’italien réalisent [i] de façon moins étirée que ne le font les natifs du français, ce qui confirmerait les propos de Barthelemy (2003), Canepari (2006) et

Zedda (2006). Une raison pourrait être qu’il n’existe aucun risque de confusion perceptive avec un phonème

Concernant les voyelles postérieures /u o/ et /ɔ/, la convergence en F1/F2 trouvée en français (Liénard,

1977 ; Calliope, 1989 ; Vaissière, 2006 ; Georgeton et al., 2012) et en italien (Ferrero, 1992) est également

observée dans notre étude. L’écart formantique moyen pour ces trois voyelles a été estimé entre 400 et 550 Hz en français selon les études (ibid.) et entre 375 et 400 Hz en italien par Ferrero (1992). Nos résultats pour les trois tâches de production et pour les trois voyelles confondues montrent pour l’italien un écart moyen entre formants de 555 Hz pour les locuteurs ce qui est toutefois supérieur aux mesures de Ferrero (ibid.). Pour les locutrices, nos résultats indiquent un rapprochement de 589 Hz. La distance entre F1 et F2 apparaît dans nos

données plus élevée que celle trouvée dans la littérature pour le français mais aussi que dans l’étude de Ferrero

(1992). Les productions de voyelles tenues émises d’une part, sur une durée plus longue que dans les autres tests

et d’autre part, sans contexte de coarticulation, la concentration maximale entre F1 et F2 est systématique chez

l’ensemble des locuteurs et elle est en outre renforcée (pour les locuteurs : phrases lues : 559 Hz, texte lu : 646 Hz, voyelles tenues : 459 Hz ; pour les locutrices : phrases lues : 615 Hz, texte lu : 610 Hz, voyelles tenues : 540 Hz). Comme suggéré par Gendrot et al. (2008), l’allongement de la durée semble avoir pour conséquence indirecte une distance plus faible entre les formants concernés par le phénomène de convergence. Cela concorde également avec les résultats de Ferrero (1992) qui rapporte une distance plus petite entre F1 et F2 pour les voyelles

postérieures quand la fenêtre d’analyse est de 300 ms (étude de 1968, cf. Ferrero, 1968) plutôt que de 30 ms (étude de 1992, ibid.).

La comparaison des productions des voyelles à travers l’observation des valeurs moyennes de formants et des distances entre paires de formants de l’italien et du français a permis de mettre en évidence des différences entre les langues. On trouve des valeurs moyennes très différentes en F2 pour les voyelles antérieures /i e ɛ/ en

italien et en français et en F1 pour /a/, mais des recouvrements évidents pour les voyelles postérieures. Cette

remarque concerne autant les locuteurs que les locutrices. En revanche, excepté pour /i/, les distances entre paires de formants pour les voyelles communes aux deux langues concordent massivement. Comme suggéré par Ferrero

(1992), la structure interne de chaque système vocalique semble contrainte, au niveau articulatoire, par les degrés

de liberté et, sur le plan perceptif, par des exigences de normalisation du signal sonore et de reconnaissance des phonèmes entre locuteurs.

À propos de la méthodologie de recherche, quelques pistes nouvelles pourraient permettre d’approfondir ces résultats :

La compréhension des différences d’antériorité et d’aperture des voyelles communes au français et à

l’italien pourrait être améliorée avec la projection des espaces acoustiques sous forme de diagrammes associant aux valeurs formantiques F1, F2, F3 en ordonnées des différences de valeurs de formants (F3 – F2),

(F2 - F1), (F1 - F0).60 Les différences de formants pourraient être mesurées selon une échelle auditivo-

perceptive, comme celle en Bark de Traunmüller. Pour l’italien, Ferrero a montré en 1992 qu’en italien, seules les voyelles /i e o u/ ont des différences de valeurs (F1 - F0) inférieures à 3.5 Bark. Il a rapporté que

la valeur (F1 - F0) de /a/ est toujours supérieure à 4 Bark et qu’elle peut même s’étendre jusqu’à 6 Bark

chez les locuteurs recrutés pour ses observations. Ayant également trouvé qu’entre chaque degré de

60 F

constriction du conduit vocal (/i u/, /e o/, /ɛ o/ /a/), une différence significative de 1 Bark existe entre les mesures (F1 - F0) (mais qu’entre voyelles d’une même aperture, la différence en Bark est inférieure à .5),

il a suggéré que la dimension (F1 - F0) était une mesure pertinente pour quantifier l’aperture vocalique.

Dans la perspective d’observer la mise en place de nouvelles catégories comme /y/ et /ø/ dans la langue cible, cette mesure de la différence (F1 - F0) pourrait donc apporter des informations complémentaires.

Puisque le deuxième formant semble être un bon indicateur de l’antériorité d’une voyelle, la position des

voyelles pourrait être comparée en calculant la valeur de F’2 en tant que pondération de F2, F3 et F4. Il

serait également un indice immédiat de la position du centre de gravité spectral de la voyelle considérée, permettant de confronter la focalisation des voyelles en français et en italien. De plus, pour compléter les observations sur les distances entre formants, il serait intéressant de regrouper les réalisations des voyelles /o/ et /ɔ/ chez les sujets qui neutralisent l’opposition phonologique. Cela permettrait de comparer les mesures d’écarts entre F1 et F2 selon que les sujets ont un système à 5, 6 ou 7 voyelles en italien langue

maternelle. Enfin, il serait intéressant d’observer l’effet sur les valeurs de formants du contexte consonantique précédent et suivant les voyelles. En effet, les valeurs moyennes de formants sont directement impactées par l’accent de la syllabe mais surtout par la consonne coarticulée. Romito (2000) a par exemple trouvé en italien des différences de l’ordre de 80 Hz en F1 et 50 Hz en F2 pour /a/ selon

que [k] ou [p] précède la voyelle.

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