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contexte consonantique sur la perception de voyelles

III.1 Matériel et méthode

III.1.2 Méthode de l’étude de discrimination perceptive

L’étude de perception a été conçue en 5 expériences, afin de répondre aux hypothèses présentées en début de chapitre. Toutes sont conçues selon un protocole adapté du travail de Burfin et Kandel (2011). Il nous a semblé qu’une tâche de discrimination auditive de type AB ou ABX aurait pu conduire les sujets à un traitement uniquement acoustique sans référence à une distribution phonologique et qu’une tâche de catégorisation auditive (de type étiquetage phonologique) aurait été inadaptée à des sujets n’ayant aucune connaissance du français. Chacune des 5 expériences se compose de deux phases d’écoute63.

Phase 1 : Voyelle à mémoriser

La voyelle de référence est présentée au sujet à travers six réalisations et dans des syllabes porteuses de type CV. Selon le bloc de test, il peut s’agir de l’une des quatre voyelles /i e o u/, qui existent en français et en italien standard. Pour chaque phonème, les stimuli ont été récupérés de manière aléatoire parmi la liste de sons produits par Fe1quel que soient l’entourage consonantique, la fréquence fondamentale et la durée de l’item.

Phase 2 : Voyelle à discriminer

Un enchaînement de syllabes CV est présenté. La série contient la voyelle référente (qui correspond donc à celle émise durant la première phase) avec, alternativement, dans la même série, les voyelles cibles absentes de la langue maternelle des sujets /y/ et /ø/ et la voyelle distractrice /a/. Les réalisations sont émises sur les hauteurs H1, H2, H3 et H5et les durées D2, D4, D6 retenues comme pertinentes suite à l’étude préliminaire (cf. Section III.2.1) (Table III.1 et Table III.2). Comme nous souhaitons obtenir quelques informations complémentaires sur l’effet de la variation de la hauteur ou de la répétition de la durée, les voyelles sont émises soit dans une syllabe isolée de type CV, soit dans un trinôme C1V1.C1V1.C1V1.

La Table III.1 précise les modalités de chaque tâche de perception. Les consonnes, /t/ et /p/ sont utilisées dans la première expérience qui teste l’effet du contexte consonantique sur la perception de la voyelle tandis que dans les autres expériences qui testent l’effet de la durée ou de la hauteur sur la perception de la voyelle, seule /t/ est utilisée. Dans ce dernier cas, /t/ a été privilégiée à /p/ pour son caractère « clair » favorisant la perception de voyelles perçues trop « graves » (cf. méthode verbo-tonale, Chapitre I.II). Lorsque l’effet étudié était la hauteur, une seule durée a été utilisée ; inversement lorsque l’effet étudié concernait la durée, une seule hauteur a été utilisée. L’intérêt était de contrôler au mieux l’effet en limitant les autres variables. Par ailleurs, la confrontation des scores de réussite résultant de la discrimination du distracteur /a/ avec ceux calculés à partir de la discrimination de la référence pour chaque bloc de test par sujet permettait de valider la compréhension et le respect de la consigne. À titre d’exemple, la Table III.1 montre que, dans le bloc de test /u/ de l’expérience Hauteur, la discrimination des voyelles /u/ /y/ /ø/ /a/ a été testée dans les modalités H1, H2, H3 et H5 sur D2 avec une syllabe CV (C = /t/). En phase 1, le sujet écoutait six occurrences de /tu/ et devait mémoriser

la voyelle afin de s’en servir pour contraster chacune des voyelles entendue dans la phase 2 (aléatoirement /u/, /y/, /ø/, /a/).

Plan d’expérience, avec blocs de test et modalités expérimentales

La Table III.2 montre qu’en raison des plans d’expérience différents, le nombre de stimuli présentés dans les blocs de test varie dans chacune des 5 expériences. Par exemple pour l’expérience sur l’effet de la hauteur, dans le bloc de test /u/, l’auditeur écoutait 6 réalisations de /tu/ (phase 1) puis un enchaînement de 184 syllabes, émises dans un ordre aléatoire (phase 2). Dans cette série, 48 occurrences correspondaient à la référence /tu/, 48 occurrences à la cible /ty/, 48 occurrences à la cible /tø/ et 40 occurrences au distracteur /ta/.

Nombre et pourcentage (entre parenthèses) de stimuli écoutés selon les expériences. [Phase 1 : phonème référent à mémoriser ; Phase 2 : voyelles à comparer au phonème référent émis en phase 1].

Les expériences de discrimination perceptive ont eu lieu dans un espace ouvert au passage, mais calme, servant habituellement de salle de réunion au Centre National de Recherche (CNR) de Padoue en Italie. Les sujets étaient, en présence de l’expérimentateur, assis individuellement face à l’écran d’un PC portable (Figure III.8). Pour des raisons pratiques, ils ont parfois été accueillis par deux et installés en face-à-face dans la salle. L’écoute se faisait au casque binaural Pioneer SE-MJ31. Les stimuli étaient numérisés à une fréquence d’échantillonnage de 44.1 kHz. Le volume sonore était réglé par le participant lui-même, à un niveau qu’il estimait confortable. Pour chaque expérience, les tâches, les listes de stimuli et les touches de réponse sont contrebalancées entre les participants afin d’éviter un effet d’ordre.

Figure III.8 Condition de passation des expériences 1 à 5 au CNR de Padoue, Italie.

La consigne était donnée oralement et à l’écrit en début d’expérience. Elle était aussi affichée à l’écran en début de bloc de test (« Per ognuna delle vocali che senti, dovrai dire: Se è simile alla vocale di riferimento oppure se è diversa dalla vocale di riferimento. A tale scopo saranno attribuiti dei tasti: 1. Diversa, 2. Simile. Per premere sui tasti 1 e 2, non importa quale mano usi. »). Le participant devait classer en cliquant sur l’un des deux boutons désignés du clavier et le plus rapidement possible les voyelles entendues, dans la catégorie ‘semblable à la voyelle référente’ ou dans la catégorie ‘différente de la voyelle référente’.

Figure III.9 Succession des écrans phase 1 puis phase 2 pour les cinq expériences. Le sujet devait presser au clavier l’une des deux touches de réponse, ces dernières étant contrebalancées d’un sujet à l’autre.

Pour ce faire, il devait (Phase 1) mémoriser le phonème vocalique présenté au travers des six réalisations différentes, chacune d’entre elles étant séparée de la suivante par 1seconde de silence, puis (Phase 2) comparer à cette catégorie phonologique référente les stimuli entendus ensuite (entre 150 et 200 stimuli, cf. Table III.2). Chaque réponse du sujet enclenche un ensemble ‘silence de 800 ms - stimulus suivant’ (Figure III.9). À la fin d’une expérience (d’une durée d’environ 12 minutes), le sujet est averti qu’il peut faire une pause ou, à sa guise, en entamer immédiatement une nouvelle.

Avant chaque expérience, le participant effectuait un bref entraînement identique à la procédure décrite ci-dessus, ce qui lui permettait de se familiariser avec le déroulement du test. Pour éviter un risque d’apprentissage, les stimuli de la phase d’habituation différaient de ceux présentés dans l’expérience. Comme indiqué précédemment, les stimuli de la session d’entraînement correspondaient à des voyelles ouvertes et mi- ouvertes produites par Fe1(les scores de réussite aux tests de perception étant moins élevés pour Ho1). La durée de passation par sujet était de moins d’1h15.

L’interface des expériences a été réalisée avec le logiciel E-Prime 2.064. Les réponses des sujets ont été

enregistrées au fur et à mesure de leur passation dans un fichier texte, avec le temps de réaction par sujet à chaque réponse.

III.1.3 Participants

Les expériences se sont déroulées au Nord-Est de l’Italie, à l’Institut des Sciences et des Technologies Cognitives (ISIC) à Padoue en Vénétie.

62 locuteurs natifs d’une variante régionale de l’italien (moyenne d’âge = 21 ± 11 ans, entre 17 et 66ans), pour la plupart bilingues (italien/dialecte), ont participé à l’étude. 41 d’entre eux sont de sexe féminin et 21 de sexe masculin. La majorité des participants était inscrite à l’université de lettres, de langue et de droit de la ville. Les sujets ont passé une, deux ou trois expériences maximum, selon leur rapidité de passation et leur fatigue. Comme dit précédemment, 1h15 était la durée maximale. Certains ont été recrutés pour une partie des tests seulement (Table III.3).

Afin de réduire au maximum les paramètres susceptibles d’influencer les scores de réussite aux blocs de test et pour faciliter l’interprétation des résultats, un certain nombre de caractéristiques inhérentes au parcours personnel des participants a été contrôlé. Par le biais d’un questionnaire rédigé en italien (cf. Annexe VII) élaboré en partie à partir du questionnaire PFC65 et celui du Brain, Language and Computation Lab de Penn State

University66, les participants devaient auto-évaluer leurs compétences en langue, en musique et en phonétique.

L’objectif était de renseigner les aires géographiques et les durées de résidence(s), les périodes et lieux de voyage et de scolarisation, les langues environnantes, les langues acquises ou en cours d’acquisition, les niveaux supposés

64Psychological Software Tools, Pittsburgh, PA 65 www.projet-pfc.net

en compétences orale et écrite en langue française et, plus globalement, dans toute autre langue, les connaissances et aptitudes solfégiques et musicales. Aucun des sujets retenus pour les expériences n’a affirmé souffrir de trouble auditif ou langagier, les éventuels défauts de vision étaient corrigés.

Les participants retenus étaient natifs de l’italien, ayant appris ou apprenant des langues dont les systèmes phonologiques sont dépourvus de voyelles antérieures arrondies ; deux exceptions cependant : pour l’allemand à un niveau maximalement auto-estimé faux intermédiaire (A2 selon le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues ; Conseil de l’Europe et Comité de l’éducation, 2001) et pour le français maximalement auto- évalué à un niveau seuil (B1 selon le CECRL, ibid.). Les participants ont renseigné une pratique instrumentale uniquement de manière imposée durant la scolarité, ou n’ayant pas joué depuis plus de dix ans et dans ce cas, pour une pratique n’excédant pas 2 heures hebdomadaire, ainsi qu’une formation théorique musicale et phonétique auto-estimée faible.

Des informations plus précises concernant les sujets impliqués seront présentés au fur et à mesure dans la section consacrée aux résultats de chaque expérience.

L’ensemble des participants a été retenu pour les analyses des scores de réussite de la tâche de discrimination (Table III.3).

Répartition du nombre de sujets par expérience et informations diverses. Dans la ligne « Nb sujets », le symbole « - » indique un niveau naïf en français : les sujets ont renseigné dans le questionnaire n’avoir jamais débuté l’apprentissage du français de façon formelle ou informelle, ni avoir séjourné dans une zone francophone.

III.1.4 Analyse

Les données recueillies ont été traitées selon deux méthodes de calcul. L’objectif était de déterminer les scores de réussite de la tâche de discrimination des voyelles pour chaque sujet d’une part, et pour notre population globale d’autre part, en tenant compte des modalités expérimentales (consonne prévocalique, durée, hauteur).

Le taux de détection correcte a été calculé pour chaque type de stimulus, c’est-à-dire références /i/, /e/,

/o/ et /u/, cible /y/, cible /ø/, distracteur /a/. Ce taux, analogue à un taux de rappel, renseigne sur les compétences de chaque auditeur à reconnaître la référence qui est une voyelle commune aux deux langues, mais renseigne surtout sur la compétence de l’auditeur à discriminer les cibles et le distracteur. Ainsi, le taux de détection correcte informe à la fois sur le taux de reconnaissance de la cible et sur le nombre de fois où elle n’a pas été reconnue comme différente de la référence. Le taux de rappel de la référence a été calculé comme le ratio entre le nombre de stimuli émis correctement attribués à la catégorie ‘semblable’ et le nombre de stimuli émis appartenant à la catégorie ‘semblable’. Les taux de rappel de chacune des

cibles /y/ et /ø/ et du distracteur ont été calculés comme le ratio entre le nombre de stimuli émis correctement attribués à la catégorie ‘différent’ et le nombre de stimuli émis appartenant à la catégorie ‘différent’. 67

Le score global de réussite de la tâche mesure la compétence générale de discrimination des cibles par

sujet. Le résultat final, exprimé en pourcentage, a été calculé en multipliant le taux de rappel de la cible transformé en pourcentage avec le taux de rappel de la référence.

Les logiciels Excel 2007, SPSS17.0.1, et Statistica Psychologie8.7.0 ont été utilisés pour les analyses statistiques des scores de discrimination de /y/ et /ø/. L’analyse en composantes principales (ACP) a été retenue pour son pouvoir représentatif de la variabilité dans un espace euclidien à P dimensions, ainsi que l’ANOVA lorsque les conditions d’homogénéité et de normalité étaient relevées.

L’ACP présente l’intérêt de synthétiser et d’extraire l’information pertinente dans un jeu de données : elle regroupe les individus testés selon leurs ressemblances et établit des liens entre des variables, mettant en évidence des typologies comportementales et factorielles. Cette méthode d’analyse recherche, parmi l’ensemble des variables observées, celles qui sont les plus discriminantes, autrement dit, celles qui expliquent le mieux la variance entre les typologies d’individus. L’ACP représente chaque individu par un point dans un espace de dimension égale au nombre de variables statistiques initiales considérées. Les axes principaux représentent de nouvelles directions dans cet espace qui permettent de mieux distinguer les individus en regardant leurs composantes sur les premiers axes principaux. Les axes principaux définis par l’ACP sont dirigés par des vecteurs, qui sont les vecteurs propres d’une matrice (ou covariance). Dès 2007 cependant, Kouani, El Jamali et

Talbi présentaient son utilité pour des observations en didactique. L’ACP est généralement recommandée pour

des échantillons N > 100, mais Hair, Anderson, Tatham et Black (1998) n’ont trouvé aucun biais dans les résultats dès lors que l’échantillon observé dépasse 9 sujets par variable insérée dans l’analyse. En effet, l’ACP permet de relever des tendances et c’est aussi pourquoi des statistiques inférentielles étaient également nécessaires dans un but d’observer la significativité de différences de moyennes. L’ACP a été conduite sur un nombre et des types de variables différents selon les hypothèses testées. Par exemple, pour observer l’effet hauteur sur la discrimination des voyelles non-natives /y/ et /ø/, tous contrastes confondus, ont été utilisées [(Variable contraste vocalique (4 modalités /i/ /e/ /o/ /u/) * variable hauteur (4 modalités H1 H2 H3 H5)].

Des régressions logistiques à effet aléatoire ont de plus été utilisées sur les données brutes (celles instantanément recueillies durant la passation des expériences par les auditeurs), permettant de vérifier les résultats obtenus après transformation des données et observations sur des échantillons. Comme ce type d’analyse probabiliste peut prendre en compte simultanément plusieurs variables indépendantes quel que soit le type d’effet recherché, il nous a semblé un excellent moyen de détecter le(s) prédicateur(s) permettant d’expliquer le mieux la réussite de la tâche de perception auditive chez notre groupe de sujets. Parmi les régressions logistiques, des modèles linéaires généraux (GLM : General Linear Model) présentent aussi les avantages cumulés (1) de neutraliser la variabilité inter-sujets et inter-variables, (2) de diminuer l’effet des différentes variables sur la

67 Le taux de détection correct et le taux de rappel de l’ensemble des phonèmes non-natifs (cibles /y/ et /ø/

probabilité de répondre correctement et (3) de considérer que les sujets répondent plusieurs fois, ce qui fait d’eux un bon outil statistique pour nos données qui combinent entre autres scores seuil et plafond, variabilité des profils des sujets testés, variabilité des prédicateurs.

Nous présentons dans la section suivante les résultats de l’étude de perception des voyelles non natives /y/ et /ø/ chez un public adulte italophone. Les modalités spécifiques à chaque expérience seront précisées dans chacune des sous-sections correspondantes.

III.2 Résultats : effets de la hauteur, de la durée vocalique et du contexte

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