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le prolongement monologique de l'entretien Il s'agit de compléter le débat d'idées par un commentaire extérieur Le procédé peut servir le dessein pédagogique de l'auteur Dans ce cas, il n'a

Dans le document Le dialogue d’idées au 18e siècle (Page 186-188)

TROISIEME PARTIE

3) le prolongement monologique de l'entretien Il s'agit de compléter le débat d'idées par un commentaire extérieur Le procédé peut servir le dessein pédagogique de l'auteur Dans ce cas, il n'a

pas d'incidence sur la dialectique du texte qu'il ne fait qu'enrichir et qu'exploiter. Ainsi Mirabeau, dans les Entretiens d'un jeune prince avec son gouverneur, accole à chacun des dialogues un bref résumé mnémotechnique :

On trouvera peut-être les précis, les résumés, les préambules trop fréquents; mais le Dialogue, qui seul, au défaut d'une Fable ou d'un Roman, anime un long tissu d'instruction, et peut leur donner quelque vie, prolonge néanmoins, délaye et ferait à la longue perdre le fil des déductions. On a donc

627 Notons que dans le second dialogue de La Manière de bien penser, les citations occupent le tiers du volume du texte! Sur le rapport de la citation au dialogue, voir l'article de Bernard Beugnot, « Dialogue, entretien et citation à l'âge classique », Revue canadienne de littérature comparée, 3 : 1, Winter 1976, p. 39-50.

cru devoir ramener souvent la série des vérités majeures par des précis qui rappellent la marche des développements, et qui semblent même ajouter à la vraisemblance628.

L'auteur pense remédier à la discontinuité inhérente au dialogue par un complément didactique en forme de synthèse ou de bilan théorique. Dans Euthanasie ou mes derniers entretiens avec elle sur

l'immortalité de l'âme, Meister recourt à un procédé similaire. Il fait suivre le dialogue d'un supplément

théorique baptisé Observations et Recherches relatives à l'objet de ces entretiens, et cet ajout est ainsi justifié : « ces principes et ces raisonnements y sont développés avec plus d’étendue et plus de méthode qu’ils ne pouvaient l’être sous la forme dialogique suivie dans l’ouvrage même ». C'est donc pour compenser le défaut de méthode que Meister étaye sa thèse à l'aide d'un discours monologique. Certains entretiens sont d'ailleurs implicitement désignés comme le résultat d'une réflexion théorique antérieure; comme si l'ouvrage que le lecteur avait sous les yeux existait virtuellement, avant d'être un dialogue, sous la forme d'un traité ou d'un essai. A la fin du Dialogue adressé à Mylord Shatesbury de l'abbé Batteux, le narrateur s'étonne de l'aisance avec laquelle son ami traite un tel sujet. Celui-ci lui répond :

J'étais prêt sur la matière : il y a longtemps que je m'en occupe; et je veux bien vous dire entre nous que tout récemment je me suis amusé à écrire un Essai sur le sujet de notre entretien.

Il sort alors un fragment de l'essai de sa poche et le lit. Ce morceau constitue, selon les propres mots du narrateur, l' « épilogue » au dialogue... On retrouve le même procédé dans la troisième suite du douzième dialogue des Leçons de clavecin de Diderot, lorsque Bemetzrieder tire de sa poche « trois petits cahiers » sur les différents systèmes de musique qu'il demande à lire sans être interrompu629. Mais c'est sans doute chez Sade que l'irruption du texte écrit est la plus déroutante. A la fin du cinquième dialogue de la Philosophie dans le boudoir, Eugénie dispose d'un savoir-faire suffisant pour mener à bien ses propres expériences érotiques : « Eh bien ! ma bonne, demande-t-elle à Mme de Saint-Ange, es-tu contente de ton écolière ? … Suis-je assez putain maintenant ?… Mais vous m’avez mise dans un état, dans une agitation… ». Après une partie de plaisir où les « fouteurs » sont encore plus nombreux qu'à l'accoutumée, la jeune fille éprouve soudain le besoin compréhensible de se reposer. Parce que sa curiosité ne se borne pas aux seules questions qui ont trait au sexe (ou bien parce que chez Sade, la révolution sexuelle a partie liée avec la révolution politique), Eugénie cherche une légitimation philosophique à ses actes et à ceux de ses amis. Comme elle cherche à savoir « si les moeurs sont vraiment nécessaires dans un gouvernement », Dolmancé brandit une brochure fraîchement imprimée qui a pour titre : Français, encore un effort si vous voulez être républicains. La lecture de cette brochure, fort longue, constitue la fin du cinquième dialogue, mais elle occupe aussi plus d'un quart de l'ouvrage. Le passage de la pratique à la théorie correspond aussi à une passation de pouvoir. Augustin, le valet, qui prenait une part active à la débauche, est prié de sortir (preuve que les principes républicains ne sont pas bons pour le petit peuple), et c'est le chevalier qui est chargé de lire

628 Mirabeau, Entretiens d'un jeune prince avec son gouverneur, éd. citée, Préface, p. XVI-XVII.

la brochure. On notera au passage l'ironie des termes : le chevalier est désigné comme lecteur en vertu de « son bel organe » (il s'agit ici de la voix), après qu'Augustin fût appelé à participer à l'orgie par l'attrait que constitue son « superbe membre ».

Mais il est des stratégies plus retorses, parce qu'elles travestissent la voix de l'auteur, plus inquiétantes aussi dans la mesure où elles indiquent un échec du dialogue et une reprise en main. Les Entretiens sur

divers sujets d'histoire, de littérature, de religion et de critique de La Croze (1740), opposent un narrateur

chrétien à un juif. Non content de dérouler de façon totalement monologique les interventions des personnages respectifs, l'auteur annexe une longue « dissertation » au dialogue. Commence alors une vertigineuse mise en abîme dont on a du mal à comprendre la fonction, si ce n'est d'imposer diversement au lecteur le point de vue de La Croze par un système de relais narratifs : en effet, cette « Dissertation sur l’athéisme et les Athées modernes », composée par le narrateur chrétien du dialogue, comprend elle-même une « lettre de Gaspar Scioppius sur la mort de Jordanus Brunus » [Giordano Bruno], suivie d'une seconde « lettre d’un athée allemand nommé Mathias Cnusen ». Le plus étonnant, c'est que l'ouvrage se clôt pratiquement sur cette lettre et oublie totalement l'entretien comme forme et l'interlocuteur comme personne630. A bien y regarder, on découvre que la structure de l'ouvrage est en fait incohérente. Tout se passe comme si le narrateur modifiait brutalement le contrat dialogique, pour s'adresser en quelque sorte par dessus l'épaule de son interlocuteur à un destinataire plus large qui serait le public : « Mais il est temps que je finisse cette dissertation (…). J’ai moins en vue de divertir les Lecteurs que de les instruire ». Le coup de force de l'auteur consiste à sortir arbitrairement de la conversation, pour imposer sa voix et son système.

4) le centon : en lieu et place d'un dialogue, l'auteur fait un montage de citations, de fragments

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