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A l’école de la conversation 226 Montesquieu, Pensée 612.

Dans le document Le dialogue d’idées au 18e siècle (Page 65-78)

DEUXIEME PARTIE

1. Un genre mondain

1.1. A l’école de la conversation 226 Montesquieu, Pensée 612.

Nul doute que la conversation ne soit le modèle du dialogue. Du seul dialogue? En réalité, elle est le parangon des ouvrages à la mode. Mais ce qui la disqualifie aux yeux des Lumières, c'est sa frivolité, qui rejaillit naturellement sur les productions du siècle: « Les ouvrages d’aujourd’hui (…) faits sur le modèle de nos conversations (…) brillent presque tous d’une délicatesse entortillée, ou jettent des feux violents qui ne font qu’éblouir »228.

On ne saurait nier la connotation mondaine de la conversation : les auteurs de dialogue s'en accommodent-ils ou au contraire cherchent-ils à la corriger? Il reste que c'est autour de la notion de conversation que se situe une partie du débat sur les formes du savoir et de son acquisition.

Entre Socrate et les Sophistes

Conversation mondaine et conversation savante229.

Le succès du dialogue comme genre est incontestablement lié au triomphe de la conversation. Vain divertissement d'oisif, ou mode socratique du connaître, la conversation est bien l'objet de jugements contradictoires, même si l'on admet que ces deux foyers - le mondain et le philosophique - ne sont pas toujours réfractaires. Au XVIII° siècle, elle est également conçue comme une école pour les honnêtes hommes. Le triomphe des "Modernes", dans les années 1700, leur permet d'annexer la conversation des nouveaux savants comme Fontenelle. Le salon littéraire est le lieu privilégié de cette rencontre. Mme de Lambert écrit ainsi dans ses Réflexions : « On sortait de ces maisons comme des reas de Platon, dont l'âme était nourrie et fortifiée»230. Point de rencontre de toute l'intelligentsia cosmopolite des Lumières, les salons français brilleront au moins jusqu'à l'Empire. Il n'y pas lieu d'insister sur la place capitale qu'ils occupent durant tout le XVIII° siècle231. Il suffit simplement de dire qu'à travers eux, la conversation devient au XVIII° siècle une véritable institution sociale. Celle-ci s'épanouit encore dans ces nouveaux cercles de la sociabilité que sont les clubs et les cercles (ou assemblées), les cafés, les cabinets de lecture232, ou les Académies. Dans son Tableau de Paris (1781- 1788) Sébastien Mercier décrit l'atmosphère intellectuelle qui règne dans ces assemblées, où la hiérarchie des états, tout comme la hiérarchie des genres et des matières, est occultée :

Le goût des cercles, inconnu de nos pères, et copié des Anglais, a commencé à se naturaliser à Paris. Dans ces sortes d'assemblées, on s'instruit en s'amusant; l'histoire, la physique, la poésie, s'y donnent

228 Rémond de Saint-Mard, Lettres sur la naissance, les progrès et la décadence du goût, in Oeuvres, tome 3, 1742, p. 316. 229 Ce chapitre est la version remaniée de mon article « De la conversation à l’entretien littéraire », paru dans Du goût, de la conversation et des femmes, études rassemblées par A. Montandon, C.R.L.M.C, Université de Clermond-Ferrand, 1994 ; et repris dans l’article « Conversation » du Dictionnaire Européen des Lumières, Paris, PUF, 1997, sous la direction de Michel Delon. 230 Anne Thérèse de Lambert, Réflexions nouvelles sur les femmes (1727), Paris, Côté-femmes Editions, 1989, pp. 41-42. 231 Voir, entre autres, Les Salons de conversation au XVIII° siècle, par Feuillet de Conches, P., 1882.

232 Il existe en effet dans ces chambres ou cabinets de lecture en marge de la bibliothèque, une salle réservée à la conversation. Le voyageur Anglais Arthur Young, qui traverse la France à la veille de la Révolution, donne l'exemple d'une société de lecture installée depuis 1759 dans la Maison des Tourelles à Nantes : « Il y a trois chambres, l’une pour la lecture, l’autre pour la conversation, une troisième constitue la bibliothèque ; en hiver on y entretient de bons feux et il y a des bougies », Arthur Young, Voyages en France en 1787, 1788 et 1789, traduction par H. See, P., Colin, 1931, t. 1, Journal de Voyages, pp. 245-246.

la main; c'est une espèce d'académie composée de personnes de tout état, où le goût de toutes les sciences et de tous les arts y fait un heureux mélange, qui doit contribuer à leurs progrès233.

Les Académies provinciales sont l'autre versant de cette géographie culturelle où la conversation occupe une place de choix234. A l'inverse de ce qui se passe dans les salons, la clientèle de ces Académies est exclusivement masculine, érudite ou savante. D'autre part, si la conversation des salons parisiens reste de l'ordre de l'otium, du loisir, elle ne rompt pas radicalement avec les passions de la vie active. La conversation académique en revanche échappe au grouillement collectif de la cité. L'otium studiosum des savants suppose un lieu davantage propice au recueillement, une retraite champêtre loin du tumulte et des affaires du monde. Le décor académique, lieu de la conversation sérieuse s'oppose ainsi à l'espace frivole des salons. Il préserve l'indépendance de l'homme de lettres, du savant et du philosophe, par rapport aux cercles mondains qui sont aussi les cercles du pouvoir. La conversation académique prend place dans un espace fortement intellectualisé, comme le montre cette description d'une petite académie lyonnaise :

Depuis le commencement de cette année nous avons formé ici des assemblées familières pour nous entretenir des Sciences et des Belles Lettres, un jour de chaque semaine. (...). L'endroit où nous les tenons est le cabinet de l'un de nos académiciens; nous y sommes au milieu de cinq à six mille volumes, qui composent une bibliothèque aussi choisie qu'elle est nombreuse. Voilà déjà un secours bien prompt et bien agréable des conférences savantes235.

A côté de ces conférences académiques, la conversation mondaine semble dévaluée, et son allure superficielle et vaine. En réalité, l'espace ouvert du salon, du cercle ou du café est essentiel pour comprendre l'émergence d'une figure nouvelle au XVIII° siècle, qui est celle de l'opinion publique. Cette République des Lettres d'un genre nouveau ne s'encombre d'aucune érudition pour trancher dans les matières de goût et d'esprit, mais aussi dans les sujets de religion ou de politique. Indifférente aux distinctions de classe, de sexe ou de nationalité, la conversation des Lumières présente tous les traits d'une république idéale, dont le rayonnement et l'autorité s'étendra à l'Europe entière. A travers un ton policé et un même code de bonnes manières, elle manifeste une facilité et une liberté de pensée qui séduisent jusqu'aux philosophes.

Vers une réforme de la conversation.

233 Sébastien Mercier, Tableau de Paris, in Paris le jour, Paris la nuit, textes présenté par M. Delon et D. Baruch, Robert Laffont, coll. Bouquins, p. 316, chap. "Palais -Royal". C'est nous qui soulignons.

234 Voir l'ouvrage fondamental de Daniel Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris, Mouton, 1978. (notamment les pp. 25-26).

235 Lettres de l'avocat Brossette à Boileau, 10 mars et 16 juillet 1700, d'après l'édition de Cizeron-Rival, Lyon, 1770, cité par Roger Chartier, "Loisir et sociabilité : lire à haute voix dans l'Europe moderne", in Littératures classiques, n°12, janv. 1990, p. 132. (C'est nous qui soulignons).

Comme l'ont remarqué tous les historiens de l'honnêteté aux XVII° et XVIII° siècles, la conversation est présentée contre les méthodes de l'Ecole, comme un instrument pédagogique moderne apte à former l'honnête homme au commerce du monde. On voit assez vite les limites de cette interprétation mondaine de la connaissance :

Je crois, dit le Chevalier de Méré, que le meilleur moyen pour se rendre habile et savant n'est pas d'étudier beaucoup, mais de s'entretenir souvent de ces choses qui ouvrent l'esprit236.

Il reste que, pour les femmes et les hommes de l'âge classique, la maîtrise du savoir, l'apprentissage de que nous appelons aujourd'hui la "culture", ne passent pas seulement par les livres. Nombreux sont ceux, jusque dans les rangs des philosophes eux-mêmes, qui mettent en cause un mode de connaissance exclusivement livresque. La conversation vaut autant qu'un livre, disent les uns; elle vaut mieux qu'un livre ajoutent les autres237. Ni l'un ni l'autre, tranche d'Alembert dans l'Encyclopédie, car « une conversation ne doit pas plus être un livre, qu’un livre ne doit être une conversation ».238 On retiendra néanmoins cette remarque d'un théoricien de la langue, Laurent Bordelon :

La conversation est le grand livre du monde, qui apprend l'usage des autres livres : sans elle la science est sauvage et ne montre aucun agrément : c'est l'étude qui augmente les talents de la nature, mais c'est la conversation qui les met en oeuvre239.

Est-ce la version mondaine de l'acquisition du savoir et de la connaissance? Pas seulement. Si le critère retenu par Bordelon est bien l'agrément, conformément au principe de plaisir défendu par le siècle240, l'étude et la conversation apparaissent néanmoins comme complémentaires. La conversation des Lumières va ainsi apparaître comme l'objet de nouveaux enjeux. Elle a d'abord une valeur cognitive. Elle permet de vérifier ses propres connaissances, en les soumettant à l'épreuve du discernement et du jugement d'autrui. Bordelon remarque ainsi que « les plus savants perfectionnent beaucoup leurs connaissances dans ce commerce, puisqu’ils y ont l’occasion de découvrir et de résoudre beaucoup de difficultés qu’on ne s’aviserait jamais de se proposer à soi-même dans son

236 Chevalier de Méré, Conversation avec le Maréchal de Clérambault, in Oeuvres, éd. Boudhors, Paris, 1930, p.

237 L'idée n'est cependant pas nouvelle, et on la trouve déjà chez Montaigne : « L’estude des livres, c’est un mouvement languissant et foible qui n’eschauffe poinct : là où la conférence apprend et exerce en un coup », Les Essais, III, 8; (édition P. Villey, P., PUF, t. II, p. 923). Concernant la conversation mondaine, il faut encore remarquer qu'elle n'est pas systématiquement opposée à la culture livresque. Entre le livre et la conversation, il n'y a pas toujours séparation, mais continuation : la discussion naît bien souvent de la lecture, et la prolonge. Inversement, la lecture apparaît parfois comme une activité dialogique : « la lecture des bons auteurs est une autre sorte de conversation qui produit le même effet encore plus sûrement », (le P. André, « Discours sur le goût », Oeuvres, t. 3, P., 1767, p. 397). De ces conversations « à livre ouvert », la peinture et la gravure d'époque en portent le témoignage.

238 Encyclopédie, article « Conversation, Entretien ».

239 Laurent Bordelon, La langue, P., 1705; chap. I, De la Conversation.

240 Cet agrément s'affiche parfois de façon triomphante, comme un pied de nez aux docteurs poussiéreux : « tant il est vrai que l’Entretien des bons esprits est une Ecole où l’on apprend avec plaisir ce qu’ils [les savants] ont appris avec peine », Laurent Bordelon, op. cit.

cabinet »241. L'orientation transitive du savoir s'accompagne d'un mouvement réflexif de retour sur soi. Vecteur de connaissance, la conversation a encore pour vertu de rendre problématique l'instruction acquise par l'étude des livres :

Il m'est arrivé souvent de reconnaître dans la conversation mon ignorance sur certaines vérités que je m'imaginais avoir apprises dans mon étude particulière; aussi ne me suis-je jamais plus sûr de ce que j'ai appris seul, qu'après l'avoir limé sous la correction critique de gens plus habiles que moi242. De rituel policé, la conversation devient un véritable travail de polissage. C'est Shaftesbury lui-même qui le dit « toute politesse est une production de la liberté. C’est par cette douce collision que nous nous polissons l’un l’autre »243. Il ne s'agit pas d'un simple jeu de mots. La métaphore de la lime, que Bordelon emprunte à Montaigne, définit assez bien la fonction de la conversation pour les hommes du XVIII° siècle : du choc, du heurt de deux pensées doit surgir la lumière. On la retrouve sous la plume de Formey :

Vous vous entretenez avec un ami, (...) que pouvez-vous faire de mieux que (...) de vous entre- communiquer vos idées, de vous aider l'un l'autre à résoudre les difficultés qui vous embarrassent, d'aiguiser en quelque sorte vos esprits, en les frottant l'un contre l'autre, comme le rasoir sur la pierre244.

Cet art du dialogue éristique rencontre un grand succès chez les lettrés comme chez les philosophes. Dans la conversation des Lumières, la politesse n'exclut pas la divergence d'opinion, et l'interlocuteur représente le moment de la contradiction nécessaire. En refusant le modèle de la conversation purement mondaine, le dialogue des idées apparaît en même temps comme un moyen élégant de repousser la tentation du système, et ce mode de penser sied aussi bien à Diderot qu'à Voltaire, à Hume qu'à Shaftesbury. A travers lui, en effet se manifeste un double refus du dogmatisme dans la forme et du dogmatisme dans le propos. Cette valorisation du dialogue représente d'autre part un moment d'une réflexion épistémologique plus large : parce qu'elle encourage toutes les formes de la connaissance et de la diffusion du savoir, la philosophie des Lumières trouve dans la conversation le modèle d'une pratique élégante autant qu'utile. Comme l'a fait remarquer David Hume, le gain est réciproque : bénéfique pour le grand public, cette ouverture sur le monde profitera aussi au philosophe :

241 ibid. 242 ibid.

243 Shaftesbury, op. cit., Première partie, p. 11.

244 Formey, Les lois de la conversation, discours sur le sujet proposé par l'Académie des jeux floraux pour l'année 1746 (cf supra). Dans le Tableau de Paris (1781) Mercier reprend la métaphore en privilégiant l'effet (l'étincelle) sur la cause (le frottement de la pierre) : « on ne saurait croire combien un tel exercice donne de la pénétration à l’esprit ; (…) ce choc d’une conversation animée fait jaillir une foule de brillantes étincelles », Tableau de Paris, éd. cit., p. 317.

...le savoir a été tout autant le grand perdant à rester confiné dans de petit groupes et dans les universités, et à être séparé du monde et de la bonne compagnie. De cette manière, toute parcelle de ce que nous appelons les « Belles Lettres » est devenue entièrement barbare en n'étant cultivé que par des hommes dépourvus de toute élégance et de goût dans leur dans leur vie et leurs manières, et sans cette liberté et cette facilité de pensée et d'expression que seule peut donner la conversation245. Cette coupure entre les savants et les honnêtes hommes a eu des conséquences néfastes sur la vie mondaine elle-même. Privée de nourriture spirituelle, celle-ci s'est considérablement appauvrie. Aussi Hume est-il l'un des premiers à faire valoir la nécessité d'une réforme :

Il semble que le divorce entre les et les hommes de salon a été le grand défaut du siècle dernier, et qu'il a eu une très mauvaise influence aussi bien sur les livres que sur la vie mondaine : car quelle possibilité a-t-on de trouver des sujets de conversation aptes à distraire des créatures douées de raison, si l'on a pas recours parfois à l'histoire, à la poésie et, au moins, aux principes les plus évidents de la philosophie? Notre propos doit-il consister entièrement en une série ininterrompue de commérages et de remarques essentiellement futiles246 ?

Des connaissances générales, de l'érudition, des principes de philosophie : pour Hume la conversation se rapproche ainsi du dialogue au sens philosophique. Ce sera également l'idéal de Mme de Staël un demi siècle plus tard : « l’objet vraiment libéral de la conversation, ce sont les idées et les faits d’un intérêt universel »247. Même si, pour de nombreux auteurs, les principales vertus de la conversation restent celles de la civilité mondaine248, l'instruction apparaît comme l'autre versant de ce commerce exemplaire. L'abbé Morellet écrit un Eloge de Mme Geoffrin (égérie de tous les philosophes) intitulé De la Conversation où il rappelle que « les deux principales fins de la conversation sont d’amuser et d’instruire les autres »249. Il y fait notamment la liste des « vices qui gâtent la conversation ». Parmi ceux-ci, il faut nommer le despotisme ou esprit de domination (déjà honni par Montaigne250), le pédantisme, l'esprit de contradiction et la dispute. La meilleure synthèse de ces

245 David Hume, Of Essay writing (1742), "Pourquoi écrire des essais?", in Essais esthétiques, tome I, traduction et introduction par Renée Bouveresse, Vrin, 1973, p.25-26.

246 Ibid; éd. cit., p. 26.

247 Mme de Staël, De l'Allemagne, éd. Simone Balayé, Paris, Garnier-Flammarion, 1968, Ière partie, chap. XI, , pp. 93-94. 248 Ainsi, pour l'abbé Trublet, l'agrément d'une conversation vient de ce qu'elle renforce le lien social. Parce qu'elle naît d'abord du « besoin de compagnie », la valeur proprement intellectuelle de la conversation est subordonnée à sa fonction sociale: « Si le plaisir de la conversation avec ceux qui y ont le plus d'esprit ne venoit que du prix réel & intrinsèque de ce qu'ils y disent, ce plaisir serait bien médiocre et bien inférieur à celui de la lecture ». De même, pour le Père Buffier, « les hommes ne subsistent que par le commerce qu’ils entretiennent ensemble, et par le besoin mutuel qu’ils ont les uns des autres ». L'instruction, pour l'auteur du Traité de la société civile, reste accessoire. En matière de conversation, c'est le délassement de l'esprit qui est premier : « Son but est plutôt le délassement de l’esprit que son instruction. Ce qui n’empêche pas qu’une instruction qui n’ôte rien au délassement ne rende la conversation beaucoup plus aimable ». Traité de la société civile (1720), livre II, chap. V.

249 Abbé André Morellet, Eloge de Mme de Geoffrin, P. 1812. C'était déjà l'idée du P. André, dans son Discours sur l'art de converser : « Heureux de qui l’esprit, agréable et facile/ Sait passer doucement du plaisant à l’utile/ De l’utile aussitôt revenir au plaisant/ Egayer l’un par l’autre, et plaire en instruisant »; in Oeuvres, t. 2, P., 1766-1767.

observations se trouve sans doute dans le discours de l'académicien berlinois Formey, sur le « sujet proposé par l'Académie des Jeux Floraux pour l'année 1746 », et qui s'intitule : Combien les lois de la

conversation sont précieuses et combien elles sont négligées251. Formey dégage les trois lois qui président selon

lui à l'exercice de la conversation. Il faut y voir « un principe d'instruction », « un lien de société », « une source de plaisir ».

Ce catéchisme de la parole échangée est assez souple pour ne mécontenter personne, Rousseau excepté. Le Discours sur les Sciences et les arts (1750) déclamera avec force contre la corruption des moeurs et la décadence du goût, associés aux progrès des arts et des techniques, sans qu'il soit explicitement question de la conversation. C'est l'art de plaire, et plus généralement la politesse qui sont vilipendés. Pour l'auteur du Discours, la politesse est le masque souriant et trompeur du vice252. Mais, la critique de la conversation ne tardera pas à venir, parce que politesse et conversation vont de pair. A travers elles, c'est toute la trajectoire d'une civilisation qui est en cause. Ainsi, dans la Nouvelle

Héloïse, Saint-Preux décrira à Julie les effets de ce poison subtil qu'est la conversation parisienne253.

Par delà la conversation comme feu d'artifice de l'esprit, c'est d'abord le système de l'honnête homme et la réhabilitation de l'ancienne civilité que Rousseau rejette, parce qu'elle lui apparaît comme le lieu des sophismes et du mensonge. S'il tombe d'accord avec ses contemporains pour dire que le XVIII° siècle est l'âge d'or de cette culture de la conversation, c'est pour le déplorer et non pour s'en réjouir. On pourra objecter que la position de Jean-Jacques, pour exemplaire qu'elle soit, n'est guère représentative de l'intérêt que manifeste le siècle pour la conversation, puisque de Marivaux à Voltaire, de Diderot à Mme de Staël254, les Lumières françaises aiment à se retrouver dans ce miroir spirituel et bavard. Pourtant, en condamnant le principal ressort des relations mondaines, l'auteur de

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