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Plaire et instruire

Dans le document Le dialogue d’idées au 18e siècle (Page 78-90)

DEUXIEME PARTIE

1. Un genre mondain

1.2. Plaire et instruire

Diffusion des sciences et sociabilité283.

L'histoire d'un compromis : le savant et l'honnête homme.

Les premières années du XVIII° siècle doivent être envisagées sous l'angle des mutations sociales et culturelles qui marquent la fin d'un règne et la crise des valeurs qui l'accompagne, plutôt que comme une véritable coupure avec la tradition de la culture classique. La fracture chronologique qui marque l'avènement d’un siècle et par laquelle on met une nouvelle fois le compteur des années à zéro, n'a guère de légitimité dans l'ordre de l'histoire littéraire, même si la tendance est encore ici et là aux périodisations un peu trop rigides ou tranchées. La preuve en est dans l'idéal conjoint de rationalité et de sociabilité que les philosophes et les écrivains de la période classique ont en commun avec ceux des lumières naissantes. On sait que les disciples de Descartes ont pu favoriser la recherche d'un public mondain et le développement d'une réflexion exotérique, à l'inverse des libertins érudits. L'autonomie du champ littéraire et l'indépendance intellectuelle n'est pas tant avancée qu'elle n'empêche les philosophes de céder à l'un des principaux clichés de la tradition aristocratique, à savoir le dédain affiché pour les pédants, que l'on associe souvent à l'Ecole et à la tradition scolastique. Ce souci d'ouverture et de compromis propre aux cartésiens prend logiquement forme

280 Galiani, Dialogues sur le commerce des bleds (Londres, 1770). Huitième dialogue, Paris, Fayard, 1984, p. 203. 281 Diderot, Oeuvres politiques, éd. de Paul Vernière, Paris, Garnier, 1963, p. 74.

282 dans laquelle d'Alembert recommande précisément de « n’y point avoir le ton dogmatique et magistral » (article « Conversation, Entretien » de l'Encyclopédie, déjà cité).

283 Ce chapitre et le suivant sont la version remaniée de mon article « Science et sociabilité dans le dialogue de vulgarisation scientifique au XVIIIème siècle », paru dans Diffusion du savoir et affrontement des idées, 1600-1770, Actes du colloque du Festival d’histoire de Montbrison, Montbrison, 1993.

dans la recherche de nouveaux moyens d'écriture. Descartes, comme la majorité des philosophes rationalistes, reconnaît la nécessité de plaire en dépit de son refus du fard et des ornements de la rhétorique. Il est conscient du fait que le philosophe doit adapter sa méthode et son style en fonction du public :

Vous pouvez avoir deux desseins, qui sont forts bons et louables, mais qui ne requièrent pas tous deux la même façon de procéder. L'un est d'écrire pour les doctes (...) l'autre est d'écrire pour les curieux qui ne sont pas doctes284.

La nécessité de communiquer leurs recherches au grand public obligent donc les savants à toute une série d'aménagements du discours théorique, à une mise en forme qui relève bon gré mal gré de la littérature. Les Mémoires de Trévoux, au milieu du XVIII° siècle, résumeront parfaitement la question : Quand on observe, dans un laboratoire de physique, quand on démontre, dans le secret d'un cabinet, tout est dans la simplicité de la nature et de la raison; mais quand on en vient à communiquer au public le succès des tentatives et l'avantage des nouvelles découvertes, c'est le moment de parler aussi un peu à l'imagination, d'emprunter des couleurs, de peindre en un mot avec grâce. Les sciences sont amies des belles-lettres285.

Docere et delectare : le précepte est ancien et figure en tête de toutes les préfaces, quelque soit le genre

de l'ouvrage. Mais s'il vaut généralement pour ce qui ne s'appelle pas encore la littérature, en ce qui concerne les ouvrages de philosophie ou de science la formule clef de la doctrine classique semble inopportune. Et pourtant, on voit progressivement affleurer dans ces textes réputés difficiles une exigence de lisibilité, en fonction de laquelle il devient nécessaire de changer les épines en fleurs286. Il est particulièrement significatif, à cet égard, que le modèle rhétorique qui vient immédiatement à l'esprit de ces hommes de culture et de science, dont la réflexion solitaire se déploie normalement dans l'espace clos du cabinet de lecture ou du laboratoire, soit la conversation. Descartes lui-même reconnaît avoir imité, dans ses Méditations, la langue naturelle et souple de la conversation :

Aussi me suis-je efforcé de les rendre également utiles à tous les hommes; et pour cet effet, je n'ai point trouvé de style plus commode que celui des conversations honnêtes, où chacun découvre familièrement à ses amis ce qu'il a de meilleur en sa pensée287.

284 Lettre de Descartes à Desargues, citée par P. France dans Rhetoric and Truth in France. Descartes to Diderot, Oxford, Clarendon Press, 1972, p. 50.

285 Mémoires de Trévoux, avril 1751, pp. 796-797. C'est nous qui soulignons.

286 L'expression est du P. Buffier, dans l'Examen des préjugés vulgaires (1704), Avertissement à l'éd. de 1732. 287 Descartes, Oeuvres Philosophiques, éd. F. Alquié, II, p. 1108.

La difficulté et les résistances que ce projet philosophique et littéraire va devoir affronter, c'est la

connotation excessivement mondaine de la conversation. A la fin du XVII° siècle en effet, les théoriciens de

l'honnêteté définissent les critères d'une urbanité et d'une sociabilité où la conversation figure en première place. C'est à elle qu'il revient de former l'honnête homme au savoir et au commerce du monde. Si cette pratique à la fois intellectuelle et sociale peut raisonnablement se présenter comme un instrument pédagogique moderne contre les méthodes de l'Ecole, le problème vient de ce qu'elle prétend se substituer à l'étude longue et profonde que requiert toute connaissance véritable :

Je crois, dit le Chevalier de Méré, que le meilleur moyen pour se rendre habile et savant n'est pas d'étudier beaucoup, mais de s'entretenir souvent de ces choses qui ouvrent l'esprit288.

Le dialogue de vulgarisation suppose une conception totalement distincte du savoir et de la connaissance, de même qu'il renvoie à une autre représentation du philosophe ou de l'homme de science. Pour qu'il pût voir le jour, il fallait qu'une réflexion globale sur la science et sur la manière de l'enseigner l'ait précédé. C'est pourquoi, sans doute, entre 1670 et 1680, on a vu s'affronter deux opinions distinctes sur la façon dont on doit former les savants, toujours dans des ouvrages en forme de dialogues : à l'ancien idéal social et culturel de l'honnête homme défendu par le Père Bouhours dans les Entretiens d'Ariste et d'Eugène (1671), où l'échange des connaissances s'accommode d'un vernis de philosophie et de science et où le lieu de vérité du discours vient plus de la condition sociale du parleur que d'une procédure rationnelle,289 s'oppose une nouvelle exigence de rigueur méthodologique et scientifique telle qu'elle peut s'affirmer dans les Entretiens sur les sciences du Père Lamy (1684), qui sont en même temps une critique du "bel esprit".

Une science à visage humain.

Les dialogues se signalent très souvent par la mise en place d'un protocole de lecture où l'auteur définit avec précision la figure du destinataire. L'intention est commune à toute démarche pédagogique: comme le souligne le P. Buffier, c'est en fonction du lecteur que l'écrivain adapte sa méthode et son style290. Les Entretiens sur la pluralité des Mondes s'adressent ainsi à une figure moyenne, un lecteur averti mais non point savant, qui ressemble de près au portrait déjà esquissé de l'honnête homme. Il s'agit ensuite de trouver le langage proportionné à ce public :

J'ai voulu traiter la Philosophie d'une manière qui ne fût point Philosophique; j'ai tâché de l'amener à un point, où elle ne fut ni trop sèche pour les Gens du monde, ni trop badine pour les Sçavans291.

288 Chevalier de Méré, Les Conversation de D.M.D.C.E.D.C.D.M.(du Maréchal de Clérembault et du Chevalier de Méré), Paris, 1669. Première conversation, p.48.

289 Voir les remarques de J.-Cl. Chevalier : « les Entretiens d'Ariste et d'Eugène du Père Bouhours soit la littérature et l'idéologie », dans Langue et langages de Leibniz à l'Encyclopédie, édité par Michèle Duchet et Michèle Jalley, U.G.E. coll. "10/18, 1977.

290 Dans l'Avertissement qu'il donne à ses Eléments de métaphysique à la portée de tout le monde. Rédigés en 1725, ils parurent dans le Cours de Sciences en 1732.

Ce langage et cette manière, c'est d'abord un certain registre : mondain et badin chez Fontenelle, bourgeois et domestique chez Pluche. Mais c'est encore et surtout la saisie d'une tonalité propre. Susciter le désir de savoir, présenter la matière des connaissances sous un jour favorable, non pas d'un air docte, mais rieur et enjoué. Fontenelle le premier, donne à l'activité intellectuelle une connotation ludique. La théorie cartésienne des tourbillons n'est pas nécessairement limpide pour une belle marquise : « Mais il se trouve heureusement dans ce sujet que les idées de Physique y sont riantes d’elles-mêmes… » proclame la Préface des Entretiens sur la pluralité des Mondes. La forme du dialogue en épouse le contenu : la « manière riante » du vulgarisateur (p.16), rencontre le système « riant » (p.44) de Copernic. Le lecteur trouvera les mêmes attraits aux Entretiens Physiques du P. Regnault : « Rien d'austère dans sa philosophie. Elle était naturelle, également grave et enjouée ». Au panthéon allégorique de la vulgarisation, la science offre la figure aimable et douce d'une déesse souriante et pleine d'agrément.

La notion essentielle qui revient dans ces textes est la notion de plaisir. Une rapide enquête menée sur les incipit des dialogues fait apparaître en effet la récurrence du terme292. Voici un passage de la

Pluralité des Mondes où le mot envahit et sature la page, de quelque manière qu'on le décline :

Je ne jurerois pourtant pas que cela fût vrai, mais je le tiens pour vrai parce qu'il me fait plaisir à croire. C'est une idée qui me plaît, et qui s'est placée dans mon esprit d'une manière riante. Selon moi, il n'y a pas jusqu'aux Vérités à qui l'agrément ne soit nécessaire. Et bien, reprit-elle, puisque votre folie est si agréable, donnés-la moi (...) pourvu que j'y trouve du plaisir. Ah! Madame, répondis- je bien vite, ce n'est pas un plaisir comme celui que vous auriés à une Comedie de Molière; c'en est un qui est je ne sçai où dans la raison, et qui ne fait rire que l'esprit. Quoi donc, reprit-elle, croyés- vous qu'on soit incapable des plaisirs qui ne sont que dans la raison? Je veux tout à l'heure vous faire voir le contraire, apprenés moi vos Etoiles293.

Cette accumulation pléthorique célèbre le mariage de la jouissance et de la connaissance. Elle culmine dans la dernière phrase du premier soir, qui se clôt sur ce mot magique : « et enfin il fut résolu que nous nous en tiendrions [au système] de Copernic, qui est plus uniforme et plus riant (...). En effet, la simplicité dont il est persuade, et sa hardiesse fait plaisir »294.

On retrouvera la même fréquence du mot dans le premier dialogue des Entretiens Physiques de Regnault, au premier entretien du Spectacle de Pluche295. Ce qui est en jeu, ici, c'est une certaine représentation de l'activité intellectuelle placée sous le signe de la jouissance. C'est aussi la volonté

292 Un relevé précis des occurrences donne : plaisir (7), plaire (2) et plaisant (2), pour le seul Premier Soir.

293 Op. cit., p. 16. La première phrase appellerait un plus long commentaire. Elle montre les limites de cet hédonisme cartésien propre à Fontenelle et au courant mondain; elle rappelle d'ailleurs une expression des Entretiens d'Ariste et d'Eugène du Père Bouhours : « Mais dites-moi, mon cher Ariste, de tant d’opinions différentes, laquelle est-ce qu’il vous plaît le plus ? », Seconde édition, à Paris, 1671, p. 23.

294 Op. cit., p. 45

permanente de susciter chez l'élève la curiosité et le désir d'apprendre. Dans le dialogue de Paulian qui a pour titre La Physique à la portée de tout le monde, le Disciple avoue sincèrement au Maître : « Avant de vous entendre, j’avais envie d’apprendre la physique, maintenant, rien n’est comparable au désir dont je suis enflammé »296.

Tous ces auteurs n'oublient cependant jamais que la vulgarisation, pour enjouée et plaisante qu'elle soit, est une affaire sérieuse. On notera seulement que l'histoire du genre suit d'assez près l'évolution des systèmes philosophiques. D'un vulgarisateur à l'autre, on change non seulement de méthode mais aussi de présupposés.

Les Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle commencent par une rêverie contemplative et la présence de la marquise paraît peu propice à la spéculation scientifique. C'est d'abord dans les yeux de sa charmante élève que le maître regarde les étoiles et le ciel miroiter et s'y réfléchir. Mais la marquise manifeste très vite un vif désir de connaissance. En même temps qu'il se livre au jeu des hypothèses et aux écarts d'une imagination féconde, Fontenelle entend soumettre les phénomènes au contrôle de la raison. L'adoption des thèses cartésiennes ne permet pas seulement de renverser les vieux préjugés cosmologiques ou de vulgariser le système de Copernic. Il favorise aussi le doute méthodique et le refus de s'en tenir aux apparences. Témoin, la métaphore de l'opéra, pour décrire le travail critique de la raison dans le lent dévoilement de la connaissance :

Sur cela je me figure toujours que la Nature est un grand Spectacle qui ressemble à celui de l'opéra. Du lieu où vous êtes à l'Opéra, vous ne voyés pas le Théatre tout-à-fait comme il est; on a disposé les Décorations et les Machines pour faire de loin un effet agréable, et on cache à votre vûë ces roues et ces contrepoids qui font tous les mouvements297.

Aussi le narrateur ajoute-t-il, en s'adressant à la marquise quelques pages plus loin : « je n'ai qu'à tirer le rideau et à vous montrer le monde ».

Dans son Spectacle de la nature, l'abbé Pluche semble donner la réplique à Fontenelle. Il adopte l'attitude opposée et refuse les explications mécaniques des cartésiens. Il affirme vouloir s'en tenir « à l’effet des machines » :

Pour nous, nous croyons qu'il convient de nous en tenir à la décoration extérieure de ce monde, et à l'effet des machines qui forment le spectacle.

Les raisons de Pluche sont d'ordre plus philosophique que scientifique. Ce refus d'interroger l'origine et les causes des phénomènes relève moins d'une position anti-rationnelle que d'une mise à distance de la métaphysique et des spéculations abstraites qui ne mènent à rien. On ne doit certes pas négliger la dimension apologétique de l'ouvrage. L'auteur prend bien souvent prétexte l'observation de l'univers matériel pour y trouver la preuve de l'existence de Dieu. Il reste qu'aux yeux des principaux

296 La Physique à la portée de tous le monde, Paris, 1780. Premier entretien, p. 9. 297 Entretiens sur la Pluralité des Mondes, éd. citée, Premier soir, p.17.

personnages, la science cesse d'être une curiosité désintéressée, pour se mettre au service de la société. Les plus belle pages du Spectacle de la Nature sont peut-être celles où le travail du naturaliste met en évidence le rapport étroit qui existe dans la chaîne des êtres entre les productions de la nature et celles de l'homme. L'activité de l'ouvrier, du tisserand peuvent être légitimement comparés à celles du vers à soie ou de l'araignée298. Cette réflexion annonce l'intérêt croissant que l'on portera aux arts mécaniques et qui s'affichera clairement dans les planches de l'Encyclopédie. La science, désormais, inspirera les arts et les techniques.

Un système de références au féminin.

Les Entretiens sur la pluralité des Mondes, modèle du genre sur le plan littéraire, ne représentent plus au milieu du XVIII° siècle qu'un état ancien et dépassé de la réflexion scientifique. Il serait cependant dommage d'enterrer trop vite Fontenelle. Ses dialogues inaugurent un discours pédagogique où la poésie n'est pas simplement un outil précieux ou mondain, mais tend à prendre une dimension herméneutique. La lecture traditionnelle des Entretiens sur la pluralité des Mondes - à laquelle, d'ailleurs, les Lumières ont amplement contribué - tend à enfermer le langage poétique dans une pure fonction ornementale, à la périphérie du savoir scientifique. La poésie incontestable de l'ouvrage serait ainsi conçue comme un ajout superfétatoire, qui parasite la réflexion sérieuse et authentique que le texte semble par ailleurs vouloir offrir à l'intelligence du lecteur.

Il importe de voir le rôle essentiel donné ici à l'imagination. L'idée est nouvelle au XVIII° siècle. Alors que chez Descartes ou Malebranche, elle faisait plutôt figure de folle du logis299, chez Fontenelle et bien plus encore chez Diderot, l'imagination acquiert une réelle valeur heuristique. Elle permet de se livrer au jeu parfois fructueux des hypothèses, comme en témoigne le Rêve de d'Alembert. La poésie et le travail de l'imagination produisent alors des métaphores et des images qui peuvent être génératrices de savoir. Dans le cadre de la vulgarisation proprement dite, où il s'agit moins d'élaborer un savoir nouveau que d'enseigner celui déjà constitué, ces métaphores illustrent l'essentiel du processus pédagogique. Elles représentent la tentative faite pour traduire dans un langage intelligible par tous des vérités obscures, pour créer un système de références qui soit commun au savant et au profane. A cet égard, on remarque que la modalité principale du discours de vulgarisation est l'analogie, que Michel Foucault a identifiée comme la forme privilégiée d'appréhension du réel à l'âge classique. Les interlocuteurs et disciples des dialogues ont souvent un rôle actif dans ces raisonnements analogiques. Ainsi, la marquise de Fontenelle participe-t-elle à la vulgarisation, lorsqu'elle compare les lois de la dioptrique cartésienne et celles de l'organisation sociale :

Il en irait donc de la même manière, dit la marquise, que lorsque nous sommes frappés de l'éclat des conditions élevées au-dessus des nôtres, et que nous ne voyons pas qu'au fond elles se ressemblent toutes.

298 Spectacle de la Nature, éd. citée, tome I, Entretien II, p. 39-40, et Entretien III, pp. 60 à 90.

299 Voir par exemple les Entretiens sur la métaphysique et sur la religion de Malebranche (1688), où elle est qualifiée de « folle qui se plaît à faire la folle », (Premier entretien).

C'est la même chose, répondis-je300.

La marquise n'a pas à discuter le bien-fondé d'une théorie. Son accord n'est pas requis, seulement son adhésion. Fontenelle expose les résultats d'une science dont les cadres sont établis et la dame n'est pas en mesure de distinguer le vrai du faux. Mais ce n'est pas non plus un assentiment aveugle que son interlocuteur attend d'elle : cette attitude anti-rationnelle relèverait davantage de la croyance, et Fontenelle précisément vise moins à susciter la croyance qu'à la combattre -rappelons que le système copernicien n'est pas encore connu du grand public. Contre l'opinion généralement reçue (le géocentrisme), Fontenelle engage une démonstration qui est avant tout l'exposé d'un nouveau système (l'héliocentrisme). Dans cette perspective, la fonction du dialogue est aussi de montrer la réciprocité des points de vue et des voix : au narrateur, la voix philosophique, à la marquise la voix mondaine. Le système copernicien présenterait ainsi une cohérence interne et externe, puisqu'il apparaîtrait à la fois comme un mode d'interprétation du monde social et du monde physique.

Ces interventions permettent en outre de penser le statut nouvellement conféré à l'interlocuteur féminin. C'est à la femme en effet qu'il revient d'assurer la médiation entre jouissance et connaissance, entre sociabilité aristocratique et discours scientifique. Chez Fontenelle comme plus tard chez Algarotti, la présence de la femme et le discours galant qui l'accompagne contribuent à une

érotisation de la connaissance:

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