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Le décor et les choses L'inscription dans l'espace.

Dans le document Le dialogue d’idées au 18e siècle (Page 189-200)

TROISIEME PARTIE

4) le centon : en lieu et place d'un dialogue, l'auteur fait un montage de citations, de fragments empruntés à divers auteurs et cousus entre eux Le principe dialogique est ainsi partiellement

2.2 Le décor et les choses L'inscription dans l'espace.

Espace philosophique.

Soit parce qu'il a un caractère répétitif et qu'il se redéploie à l'intérieur de chaque entretien, soit au contraire parce qu'il change au fil de l'oeuvre et dessine une trajectoire idéale, l'espace du dialogue est en constante redéfinition. Pourtant les changements de lieux ne sont guère significatifs, et affectent assez peu le contenu du dialogue. Dans La Manière de bien penser de Bouhours, les interlocuteurs passent du dehors au dedans, puis du dedans au dehors, sans que cela modifie l'allure des entretiens. Le troisième dialogue prend place dans un décor presque identique à celui du premier, mais l'auteur éprouve néanmoins le besoin de nous le décrire :

A peine eurent-ils gagné un certain endroit écarté où règne un profond silence, et qui a tous les charmes de la solitude, que Philanthe dit à son ami : « Nous voici en sûreté, et apparemment nous ne serons pas aujourd’hui interrompus (…)»632

Lieu ouvert ou fermé, l'espace du dialogue se caractérise dans les deux cas par la même clôture symbolique. Il tend à s'échapper du monde pour devenir havre et refuge, étendue close où la la réflexion se déploie à son aise, loin des activités bruyantes du quotidien qui sont désordre pour l'esprit. Se manifeste ainsi, à travers le dialogue, une volonté de distinguer par la délimitation de l'espace qu'ils met en scène, autant que par les espaces qu'il exclut, le lieu sérieux du lieu frivole, le temps de la spéculation et le temps des plaisirs. A l'opposition déjà soulignée entre univers exotique et Europe policée, s'ajoute une nouvelle opposition entre ville et campagne. Le dialogue donne l'image d'une société hors du monde, c'est-à-dire hors de l'Histoire. Sa principale caractéristique est de constituer une retraite où, comme le dit Mably, « la liberté et la philosophie se trouvent réunies »633. C'est dire clairement les raisons qui motivent le désir d'isolement tant de fois exprimé par les interlocuteurs des dialogues : la retraite permet en premier lieu d'assurer la tranquillité nécessaire à la réflexion théorique ; elle est également le signe de l'indépendance du philosophe à

632 La Manière de bien penser dans les ouvrages d'esprit, Troisième dialogue, éd. citée, p. 241. 633 Des droits et des devoirs du citoyen, éd. citée, p. 3.

l'égard de toute autorité - indépendance qui garantit du même coup l'objectivité de la pensée. Comme pour mieux signifier ce refus des passions, le climat (au sens météorologique) des dialogues est souvent tempéré. A l'image du philosophe, il apparaît comme un juste milieu entre la chaleur et le froid : La Manière de bien penser de Bouhours a lieu sous le soleil d'une matinée d'automne, dont la « chaleur tempéré » permet aux interlocuteurs de se promener sans « nulle incommodité », et les

Dialogues entre Hylas et Philonous de Berkeley se déroulent par une matinée de printemps, sous « la

douce influence du soleil levant »634.

Le cadre traditionnel du dialogue d'idées est donc un lieu neutre où s'affirme clairement l'autonomie du champ de la connaissance, dans une topographie intellectualisée. Il faut insister sur ce fait : le dialogue est une composition en miroir qui propose une légitimation de la société philosophique. Son modèle est d'abord rhétorique, puisque l'entretien façonne en parole le philosophe parfait. Mais il renvoie à une légitimation plus complète qui relève de ce qu'on pourrait appeler une phénoménologie. En effet, cette représentation de l'espace fait également apparaître le souci de fonder un lien social entre le petit nombre de philosophes. Dans les Entretiens littéraires et galans, Du Perron de Castéra remarque que le premier moment du débat consiste à fonder une « académie » dont les membres s'attachent à définir les statuts :

Le caprice et la liberté seront les seules règles de notre Académie : on s'assemblera tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, suivant qu'on le jugera convenable, on parlera de tout, on finira lorsqu'on sera las de parler, ou bien qu'on voudra prendre quelqu'autre plaisir.635

Certes, l'académie selon Castéra est empreinte de caractérisations mondaines. Il reste que la notion d'académie se situe au croisement d'une tradition philosophique et d'une réalité sociale636. Comme l'Académie platonicienne, le dialogue a ses lieux de prédilection. Lieu champêtre comme l'allée des Marronniers dans La Promenade du Sceptique dont Diderot rappelle le modèle :

L'allée des Marronniers forme un séjour tranquille, et ressemble assez à l'ancienne Académie. J'ai dit qu'elle était parsemée de bosquets touffus et de retraites sombres où règnent le silence et la paix. Le peuple qui l'habite est naturellement grave et sérieux, sans être taciturne et sévère637.

Lieux plus intellectuel, comme le cabinet de travail, la salle de lecture ou la bibliothèque, comme dans le second dialogue de La Manière de bien penser638. Mais à l'instar de l'utopie, ces lieux abstraits « sont et ne sont pas » à la fois. Retravaillés par une tradition littéraire et par l'idéologie de l'époque, ils

634 Le Père Bouhours,La Manière de bien penser dans les ouvrages d'esprit, Troisième dialogue, éd. citée, p. 242; Berkeley, Trois dialogues entre Hylas et Philonous, éd. citée, p.2. L'expresion originale anglaise est “the gentle influence of the rising sun” (Berkeley, The Works, Dublin, 1784, t. I).

635 Entretiens littéraires et galans, éd. citée, premier entretien, p. 7.

636 On ne peut que renvoyer une nouvelle fois à l'ouvrage fondamental de Daniel Roche sur les académies, qui sont le lieu du dialogue institutionnalisé.

637 La Promenade du Sceptique, éd. citée, p. 102 (nous soulignons). 638 Voir infra, le chapitre intitulé « la place du livre et de l'écrit ».

participent d'un idéal de sociabilité à partir duquel le philosophe tend à imposer une nouvelle image de son statut et de sa fonction.

La définition de l'espace peut quelquefois dénoter des préoccupations plus concrètes. On a vu comment le choix des jardins de Marly revêtait une signification politique dans le dialogue Des droits et

des devoirs du citoyen de Mably. Remarquons simplement que lorsque les interlocuteurs dessinent les

plans d'une République idéale « où tous égaux, tous riches, tous pauvres, tous libres, tous frères [leur] première loi serait de ne rien posséder en propre », il quittent la symétrie des jardins à la française pour emprunter quelques « allées sauvages » :

Nous fîmes hier notre troisième promenade (...) dans les allées sauvages de l'Etoile des Muses que vous aimez tant, et où Milord lassé de la magnificence et de la symétrie des jardins a bien voulu continuer à m'instruire639.

Tout se passe comme si le rêve d'une liberté républicaine ne pouvait s'inscrire que dans un espace où la nature reprend également ses droits. Mais paradoxalement, le choix de « l’allée sauvage » traduit une nouvelle fois la nécessité de sortir du monde, et de faire l'expérience de la discontinuité pour dire la philosophie.

De la république politique de Mably à la république des lettres, le dialogue s'efforce ainsi de recréer les conditions propices à l'élaboration d'une nouvelle humanité. A mesure que l'on avance dans le siècle, l'espace du dialogue paraît davantage perméable aux conflits extérieurs. Mais il est aussi producteur de conflits, pour autant que celui-ci emprunte des formes et des voies raisonnables : le dialogue est à lui-même ce lieu double, ce lieu ambivalent, où l'idéalisation des formes de l'échange contribue à exhiber le mouvement de la raison critique.

Espace mystique.

Dans les dialogues religieux, la définition de l'espace n'est pas fondamentalement différente, et elle répond toujours à des paramètres idéologiques. On notera d'abord le désir de ne pas s'embarrasser de détails propres à retarder le moment de la discussion. Les remarques concernant le charme des lieux, la beauté du paysage, la douceur de la saison, sont superfétatoires pour ces auteurs pressés d'en venir à une vérité plus brûlante ou plus exigeante. En dépit des déclarations d'intention sur la nature du dialogue, instrument réaliste et plaisant au service de la pédagogie et de la vulgarisation, les éléments formels importent moins que le contenu idéologique. Comme le remarquait le P. Valois à propos de Fontenelle, le discours sur la religion n'a pas besoin de « fleurs » pour qu'on lui reconnaisse une importance capitale. D'autre part, la valeur ornementale de ces descriptions ne s'accorde pas toujours avec l'exigence de rationalité qui sous-tend la démarche apologétique. On voit surgir la crainte, en effet, que le respect des contraintes formelles ne nuise à la rigueur de la démonstration. En ce qui concerne le décor proprement dit, le modèle prégnant est celui de la retraite champêtre, retraite qui, dans le cas des entretiens sur la religion, peut aisément prendre un sens mystique ou spirituel. La ligne de partage que dessine traditionnellement le dialogue d'idées entre ville et campagne, prend un

nouveau relief dans le dialogue apologétique, où la ville représente de préférence l'espace du philosophe mondain, en proie au tumulte des passions et au divertissement pascalien. Ainsi s'exprime Timoleon le sceptique, devant la maison de campagne du sage Theophile :

Qu'elle est agréable cette solitude, et que la simple nature qu'on y voit partout me ferait bientôt oublier toutes les merveilles de Versailles640 !

On peut encore citer le cas des Entretiens sur les vérités fondamentales de la Religion, du Père Valois, où les interlocuteurs sont des marins et des voyageurs, croyants orthodoxes ou hérétiques embarqués à bord du même navire sous la tutelle d'un Missionnaire. Dans ce décor inattendu, exceptionnel dans le genre qui nous occupe, l'Océan représente l'espace infiniment ouvert entre deux horizons et deux rivages; l'espace où l'expérimentation sociale et morale est possible, loin de l'hypocrisie et des masques de la capitale où il règne « une espèce de République cachée, dont les membres dispersés et corrompus infectent tous les Etats… le secte des Libertins »641.

Le décor naturel peut par ailleurs constituer un argument supplémentaire à la défense du christianisme : le spectacle des beautés de la nature amène ainsi une réflexion sur l'harmonie et l'ordre de l'univers qui ne peut être le fait que d'un dessein préétabli et d'une volonté divine. Cet argument, assez traditionnel, est cependant réactivé dans le cadre réaliste et vivant des dialogues où la nature est partie prenante du décor. Alors que dans les Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle, l'observation des étoiles dans le parc de la belle marquise ne donne lieu qu'à des démonstrations astronomiques, les dialogues du Spectacle de la Nature de l'abbé Pluche (1732 et 1739) tirent les leçons des sciences naturelles vers une nouvelle apologétique. Cet ordre de l'univers est encore, pour les chrétiens las des preuves métaphysiques que l'on répète depuis Descartes, la meilleure preuve de l'existence de Dieu. C'est ce que montre l'ouverture des Entretiens sur la Religion de Levasseur :

Thimothée. - Expliquez-moi donc quelle était la cause de votre admiration.

Theophile. - Je contemplai l'Univers, et par la représentation de toutes ses beautés, j'étais charmé de voir les effets d'une puissance et d'une sagesse si incompréhensibles et néanmoins si visibles : est-il possible, disais-je, qu'il y ait jamais eu des athées642?

L'espace du dialogue philosophique est le plus souvent caractérisé par sa clôture et par son autonomie par rapport au reste du monde. Il offre le spectacle d'une humanité qui communie, en dépit des divergences idéologiques, dans une même quête intellectuelle ou spirituelle. Cette clôture, dans le cas du dialogue religieux, peut être soulignée comme pour prendre ses distances à l'égard d'une humanité agitée et bruyante, frivole et inconstante. Les Entretiens sur la métaphysique et sur la

religion de Malebranche sont sans doute le meilleur exemple de cette isolement volontaire que requiert

640 Abbés de Choisy et de Dangeau, Quatre dialogues, sur l'immortalité de l'âme, sur l'existence de Dieu, sur la Providence, sur la Religion (Paris, 1684).

641 P. Yves Valois, op. cit., Premier Entretien, p. 8.

la conscience pour entrer en communication véritable avec Dieu. On assiste en effet dans ces entretiens à un déplacement significatif des interlocuteurs, à un changement de lieu qui correspond en réalité à un changement total de perspective. Rappelons brièvement les faits : Theodore a rejoint Ariste dans sa maison de campagne. Ce dernier invite son ami à l'entretenir de ses « visions métaphysiques ». Theodore accepte mais soumet l'entretien à un singulier préalable : il demande en effet à cesser la promenade et à quitter le plein air des bois et des champs qui servent de cadre à la description inaugurale, afin de trouver refuge dans l'espace intime et secret d'un cabinet :

Mais pour cela il est nécessaire que je quitte ces lieux enchantez qui charment nos sens, et qui par leur variété partagent trop un esprit tel que le mien643.

On le voit, l'entrée dans l'espace clos du cabinet est en réalité une sortie hors du monde. Il ne s'agit pas seulement de pénétrer dans le cabinet de lecture, mais aussi et surtout dans l'intimité de la conscience. Ce dialogue s'inscrit d'emblée dans un refus de l'extériorité gênante, c'est-à-dire du bruit mais également des sollicitations sensorielles :

(...) dans ces lieux je ne puis pas, comme vous le pouvez peut-être, faire taire un certain bruit confus qui jette la confusion et le trouble dans mes idées : sortons d'ici, je vous prie. Allons nous renfermer dans votre cabinet afin de rentrer plus facilement en nous-mêmes644.

La démarche est complexe. Cette fermeture, paradoxalement, n'indique pas un repli solipsiste mais une volonté de projection hors de soi. Les déclarations de Theodore manifestent en effet un souci de réflexivité critique qui satisfait à l'analyse des préjugés et des erreurs communes. C'est ainsi que l'extériorité, d'abord révoquée sous la forme de données matérielles, est fictivement rappelée à travers une mise en scène intellectuelle :

Non, je ne vous conduirai point dans une terre étrangère : mais je vous apprendrai peut-être que vous êtes étranger vous-même dans votre propre pays645.

L'enjeu de cette expérience, c'est le statut de la perception. Pour Theodore, en effet, il faut distinguer le monde vrai du monde des réalités sensibles. Ainsi la sortie du monde matériel correspond véritablement à une entrée dans la Raison : « vous entrerez sans aucun obstacle dans le lieu où la Raison rend ses réponses ». Suit alors le moment le plus saisissant de cette mise en scène. Non content de s'être enfermé dans le cabinet, Theodore demande à Ariste de ne pas laisser entrer la lumière du jour :

643 Malebranche, Entretiens sur la métaphysique et la religion, (1688) in Oeuvres complètes, t. XII, Paris, Vrin, 1984; Premier entretien, p. 29.

644 Ibid, p. 29. Il faut rappeler que l'argument principal de ces Entretiens est de « délivrer l’esprit des préjugés des sens et de l’imagination », (Préface, p. 9).

Ariste. Grâce à Dieu, nous voici enfin arrivés au lieu destiné à nos entretiens. Entrons... Asseyez- vous... Qu'y-a-t-il ici qui puisse nous empêcher de rentrer en nous-mêmes pour consulter la Raison? Voulez-vous que je ferme tous les passages de la lumière, afin que les ténèbres fassent éclipser tout ce qu'il y a de visible dans cette chambre et qui peut frapper nos sens?

Theodore. Non, mon cher. Les ténèbres frappent nos sens aussi bien que la lumière. (...) Tirez seulement les rideaux646.

Car si le trop de lumière est préjudiciable à l'exercice de la raison, le trop de ténèbres nuit également. Le rationalisme de Malebranche barre ainsi radicalement la route aux sens et à l'imagination.

Il semble au bout du compte que cette modification progressive du décor excède le simple déplacement physique des personnages, pour implique une véritable coupure épistémologique. L'espace, dans le dialogue religieux ou mystique, remplit ainsi une fonction bien précise : il définit d'emblée, de manière concrète et sensible pour le lecteur, les conditions d'émergence d'un discours de vérité.

Espace réel.

La présence de realia est assez rare dans les dialogues d'idées. Quand les objets et les choses existent, c'est encore pour marquer l'appartenance du genre à une tradition. Le dialogue ne s'extrait du cadre utopique du locus amoenus que pour emprunter à des scènes de convention, comme la conversation au coin du feu, par exemple, qui ouvre les Entretiens de Guyot Desfontaines. Avec Diderot, en revanche, l'inscription dans l'espace participe d'une pratique matérialiste de la conversation. Ses dialogues sont peuplés de repères concrets qui campent les personnages dans leur vie domestique ou professionnelle. C'est ainsi que l'on voit, dans le Rêve de d'Alembert, Bordeu et Julie déguster un verre de malaga, après que le médecin se soit rendu à une consultation dans le quartier du Marais. Il arrive que Diderot cède à la tentation de la scène de genre, comme celle de la dame à la toilette dans l'Entretien d'un philosophe avec la Maréchale de ***, mais la discussion de fond l'emporte assez vite sur l'esquisse artistique. L'exemple le plus significatif de cet attachement à la vie réelle des interlocuteurs se trouve sans conteste dans Le Neveu de Rameau. Le traitement de l'espace dans ce dialogue permet peut-être de comprendre pourquoi Diderot propose un modèle audacieux d'échange philosophique, dans un espace public (un café) où les contradictions et les paradoxes des Lumières se dévoilent à petite échelle. Si l'on analyse, en effet, les relations qui existent entre la représentation de l'espace dans Le Neveu de Rameau et la tradition littéraire, force est de constater l'originalité déconcertante de Diderot. Ce dernier choisit de faire converser le philosophe et le Neveu dans l'espace moins conventionnel d'un café. Le café, au XVIII° siècle, constitue avec le salon un nouveau lieu de sociabilité qui correspond à l'émergence d'une sphère publique, littéraire et politique647. Mais le café n'est pas un salon, et les choses qui s'y disent, les propos qu'on y hasarde, ne s'accordent pas toujours

646 Ibid; p. 32.

647 Voir J. Habermas, L'espace public, Payot, 1986; chap. II, 4, p. 40-41. Notre titre renvoie explicitement à la notion, développée plus loin, d'Öffentlichkeit.

avec les règles de la société policée des salons et le code d'honnêteté auxquels elle se réfère. Il suffit de le voir : le neveu n'a pas sa place dans un salon, et l'on comprend aisément pourquoi. Cela ne signifie pas que le café soit ouvert à une autre clientèle sociale; il s'agirait plutôt d'une clientèle qui deviendrait autre quand elle est au café. Au contact du neveu, à la table d'un café, tout près du Palais- Royal, la parole assurée de Moi paraît se troubler. On sait déjà, dès le prologue, que notre philosophe ne se présente nullement comme le détenteur d'un savoir constitué. Au contraire - et l'énonciation à venir sera considérablement affectée par la source libertine de cette réflexion et de cette philosophie - Diderot lui ôte, par un jeu de références inédit (la prostitution, le jeu d'échec, les propos de café), toute validité et toute légitimation à priori. Il introduit, d'une certaine manière, un principe d'égalité et de connivence avec son interlocuteur futur, même s'il s'assure la maîtrise du dialogue, par un jeu de relais narratifs.

Telle est l'ouverture du Neveu de Rameau, une promenade, un café : lieux publics, lieux privilégiés du commerce des hommes, de la conversation à bâtons rompus648, de la circulation de l'argent et des

femmes, du croisement des regards. La parole introductive de Moi naît d'abord du spectacle du

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