• Aucun résultat trouvé

Prolongement de l’action de l’État en région : les services déconcentrés de la régulation publique du

Chapitre 2 La régulation publique du système alimentaire aux échelles de gouvernance

B) Prolongement de l’action de l’État en région : les services déconcentrés de la régulation publique du

Différents acteurs institutionnels entrent en jeu dans la mise en œuvre des politiques agricoles et alimentaires sur les territoires. Nous évoquons ici le rôle des préfectures, puis celui des administrations déconcentrées de l’État que sont les Draaf, les directions départementales et les agences régionales de santé (ARS)

73 Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole

et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, JORF n°0253 du 1 novembre 2018

74 Table ronde de la commission des affaires économiques du Sénat, "Non, non, rien n’a changé" dans les

a) Le rôle des préfectures dans la régulation des affaires agricoles

Les préfectures jouent un rôle important dans la régulation locale du système alimentaire par son action sur l’organisation territoriale du secteur agricole. Elles exécutent les décrets nationaux et fixent de nombreux arrêtés locaux concernant notamment la gestion des schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles, les ordres de priorité en cas de concurrence pour une reprise de foncier ou la délivrance de permis d’autorisation d’exploiter. Ce cadre administratif et légal a un impact déterminant sur l’installation de nouveaux agriculteurs, leur affiliation au régime de protection sociale agricole ou le déroulement de leurs activités. Au-delà de ce cadre règlementaire, la première mission des préfets est le maintien de l’ordre public et la protection des populations. Aussi, le contrôle de la contestation locale issue du monde agricole par exemple, représente un enjeu de premier plan pour les préfectures. Un de leurs agents en Bretagne l’expliquait en ces termes :

Le préfet, dans son action, il a l’ordre public et il a besoin d’un certain nombre de manettes. C’est-à-dire qu’à un moment quand vous avez des problèmes avec des agriculteurs, il faut être capable via les services d’avoir une certaine souplesse de gestion pour arranger certains trucs. […]

C’est quoi cette souplesse de gestion ?

Mettre des moyens spécifiques pour accélérer le calendrier de paiement des aides par exemple.75

Les préfets ont ainsi quelques marges de manœuvre supplémentaires dans la régulation publique locale du secteur agricole. Par ailleurs, les préfectures (régionales ou départementales) sont aussi des interfaces entre l’État et les représentants locaux du secteur agricole, interfaces particulièrement sollicitées par les sections locales du syndicat agricole majoritaire comme l’expliquait un agent du Sgar, le secrétariat général pour les affaires régionales de la préfecture de la région Bretagne :

Vos contacts avec les responsables agricoles, ils se passent à quelle fréquence ?

Il y a des contacts informels et puis il y a des audiences. Par exemple, il y a souvent des mots d’ordre nationaux de la FNSEA. Là par exemple avant le salon [de l’agriculture] il fallait une action dans toutes les préfectures. Donc on a les reçus. Les quatre préfets se sont rencontrés et ils ont reçu les quatre FDSEA en même temps. Ils nous ont dit

75 Entretien avec le chargé de mission développement durable, agriculture, agroalimentaire et économie

quelles étaient leurs inquiétudes, leurs difficultés et on en fait une petite synthèse et on envoie au ministre avant le salon par exemple. […]

Qui y a accès à vos audiences ?

On reçoit tout le monde. Par contre on constate que la FNSEA sollicite beaucoup les autorités préfectorales pour des rendez-vous réguliers. Ça, les autres le font moins. Nous on est pas là pour assurer l’égalité de la représentation, on reçoit tout le monde, mais eux sont beaucoup plus proactifs.76

Cette représentation auprès des préfectures assure aussi aux membres des sections locales de la FNSEA des contacts réguliers de nature moins formelle avec les agents préfectoraux qui, pour se forger une opinion sur certains dossiers agricoles locaux, reconnaissaient faire souvent appel à ces élus syndicaux.

b) Actions des administrations déconcentrées d’État

Placées sous l’autorité du préfet de région, les Draaf sont les administrations déconcentrées en région du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Concernant les enjeux agricoles, elles ont pour mission d’appliquer et d’animer les politiques nationales et européennes, de coordonner les aides au secteur agricole (principalement celles de la PAC), d’orchestrer le travail des directions locales de contrôle vétérinaire, d’assurer les contrôles sur la partie végétale de la production territoriale, de gérer les enjeux environnementaux de celle-ci selon la règlementation en vigueur et enfin d’assurer une partie de la production de statistiques régionales. Concernant la gestion des enjeux « purement » alimentaires, les orientations du PNA sont mises en œuvre au sein des « pôles alimentaires » ou des « pôles politiques publiques de l’alimentation » des Sral, les services régionaux de l’alimentation. Les Sral sont des services de taille modeste au sein des Draaf ; le service de l’alimentation en région Bretagne compte par exemple 25 agents à temps plein sur les 640 de l’administration déconcentrée. À l’intérieur de ces derniers, les pôles alimentaires en charge de déployer les actions du PNA sont de taille encore plus modeste et leurs ressources humaines dépendent de l’importance attachée par le directeur des Draaf locales au dossier de l’alimentation : en 2018 on comptait ainsi 0,46 ETP au pôle alimentaire de la Draaf Bretagne. Dans les régions Occitanie et Grand Est, trois agents à temps plein étaient affectés à l’animation du PNA. Concernant les budgets dont disposent ces équipes réduites, leur enveloppe est fixée par les autorités nationales selon un ensemble de critères indépendants du bon vouloir

76 Entretien avec le chargé de mission développement durable, agriculture, agroalimentaire et économie

des Draaf locales77 : en 2017, le pôle alimentaire de la région Bretagne touchait un budget annuel

global de 83 000 euros78, celui de la région Grand Est s’élevait à 240 000 euros79 et celui de la

région Occitanie à 340 000 euros80.

Pour assurer leurs missions, les Draaf s’appuient sur des directions départementales placées sous l’autorité du préfet et du ministère de l’Agriculture. Les directions départementales des territoires (DDT) ou dans les départements littoraux, les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) assurent par exemple une partie de l’instruction des aides socio-économiques de la PAC ou des procédures liées au foncier et aux structures agricoles. Dans la continuité de son action de gestion des risques sanitaires du système alimentaire, l’État met aussi en place des contrôles réguliers des produits agricoles et alimentaires sur les territoires, principalement dans les abattoirs et les unités de production agroalimentaires. Depuis le regroupement d’anciennes structures en 2009, cette mission de « sécurisation » de l’alimentation est assurée par les directions départementales de la protection des populations (DDPP), parfois appelées directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP). Ces structures comptent en moyenne 300 agents par département, agents administratifs, enquêteurs de terrain ou experts vétérinaires. Ces derniers effectuent différentes opérations de contrôle auprès des professionnels de la production, de la transformation ou de la distribution des produits alimentaires. Leur rôle est ainsi de garantir l’hygiène, la sécurité et la qualité des filières et produits alimentaires81. Les DD(CS)PP comportent toutes un service « alimentation » dont le nom

peut varier selon les départements. Ces services sont régis par des orientations publiques données par le préfet de région, par des orientations fixées à l’échelle nationale par la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’Agriculture ou par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’économie, ou encore par des réglementations européennes (paquet hygiène). Ainsi, jusqu’aux années 2010, la seule action publique déconcentrée labélisée « alimentation » se résumait au fait

77 Les crédits du programme 206 action 8 « qualité de l'alimentation et offre alimentaire » sont fixés par

région en fonction des quatre critères suivants : nombre de bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire, nombre d’enfants scolarisées dans le 1er et 2ème degré, nombre d’industries

agroalimentaires et nombre de SIQO. Note de service du ministère de l’Agriculture, 2013

78 Entretien avec le directeur du pôle alimentaire de la Draaf de Bretagne, Rennes, le19/06/2017

79 Entretien avec le chef du service régional de l’alimentation de la Draaf du Grand Est, Strasbourg, le

14/09/2017

80 Entretien avec le chef du pôle « politiques publiques alimentaires » de la Draaf Occitanie, Montpellier,

le 24/10/2017

d’assurer par des contrôles réguliers, la non-toxicité et la conformité des produits agricoles et alimentaires.

La « qualité alimentaire » est alors définie au sein des DD(CS)PP selon l’ensemble des normes sanitaires européennes ou françaises que leurs agents doivent faire respecter aux acteurs locaux des filières agroalimentaires. Cette définition comporte plusieurs facettes, comme la qualité microbienne des produits qui est évaluée via des prélèvements et des analyses en laboratoire afin d’en vérifier le niveau de contamination bactérienne par exemple. La qualité d’un produit alimentaire peut aussi renvoyer à ses qualités organoleptiques, comme par exemple pour les huiles d’olive qui font l’objet de tests gustatifs en laboratoire. Le taux de contamination aux pesticides, qui est appréhendé par le niveau de résidus de pesticides sur les produits, fait aussi partie de la définition de la qualité alimentaire par cette institution de contrôle. Enfin, certains produits comme les fruits et légumes sont aussi contrôlés au moment de leur mise en marché. Il n’est ainsi pas rare de faire jeter des fruits trop abîmés proposés à la vente : ils ne sont pas forcément dangereux, mais ne répondent pas aux standards de qualité et normes de commercialisation prévus par la réglementation. Aux dires d’un chef de service « alimentation » d’une des DDPP enquêtées, la définition de ce qui constitue la qualité d’un produit alimentaire n’a pas beaucoup évolué au sein de ces structures de contrôles. Les plus grandes variations rencontrées ont été celles de l’évolution des taux de résidus de pesticides acceptables ou non selon les produits82. En termes de

moyens humains, le service « sécurité et qualité alimentaires » de la DDPP du département de l’Hérault comptait 25 ETP en 2017, dont 3 cadres. Ces ressources humaines octroyées à l’une des DDPP d’Occitanie comparées aux trois agents dédiés à l’exécution du PNA sur l’ensemble des treize départements de la région, faisaient dire à l’une des enquêtées rencontrées : « On donne

toujours beaucoup plus de moyens pour chasser les bactéries que pour chasser les pesticides »83,

combat qu’elle associait aux politiques alimentaires des territoires. Les comparaisons budgétaires entre le déploiement régional du PNA et le contrôle départemental de la « sécurité alimentaire » sont de la même grandeur d’échelle.

L’animation du PNNS sur les territoires est gérée par un autre organe déconcentré d’État : les agences régionales de santé (ARS). Les budgets du PNNS, nous l’avons vu, sont bien plus élevés que ceux du PNA, ils demeurent cependant eux-mêmes marginaux par rapport aux autres budgets des agences régionales de santé : « On a quand même des budgets et on fait des appels à projets,

82 Échanges avec un chef de service « alimentation » d’une DDPP, par mail, le 31/05/2017

83 Entretien avec la vice-présidente du département du Gard, déléguée à la qualité alimentaire, à

mais bon on doit avoir un budget de 1 ou 2 millions, quand il y a 180 millions ailleurs »84. Tout

comme la gestion des fonds du PNA, l’action principale des agents en charge de mettre en œuvre localement le PNNS s’articule autour de la labélisation de collectivités territoriales, du soutien à des acteurs locaux par l’attribution de subventions ou de la mise en relation des parties prenantes sur leur territoire (Castetbon et al., 2011; Honta & Haschar-Noé, 2011). De manière générale, les collaborations entre les ARS et les Draaf sont rares à l’échelle du territoire national tant sur les enjeux agricoles que sur les enjeux alimentaires. Des conflits peuvent même voir le jour. C’est par exemple le cas avec l’opération « Un fruit à la récré » orchestrée au sein du PNA et consistant en la distribution de fruits lors de la pause matinale des enfants du primaire. Dans certaines régions cette opération est contestée par les acteurs locaux du PNNS pour qui la collation du milieu de matinée est une habitude dorénavant à proscrire, comme l’explique un agent de l’ARS de la région Grand Est : « Par rapport à la collation matinale, on est en décalage avec la Draaf et son

dispositif « un fruit pour la récré », pour nous c'est « pas tous les jours » et ça vient avec une visée pédagogique. Donc nous on leur dit […], mais la mise en cohérence n’est pas facile. Après les deux structures sont assez autonomes, pour ne pas dire autre chose »85. Cette confusion

illustre le fait que le système alimentaire français demeure administré par un ensemble de politiques élaborées en silo, parfois contradictoires, et ce jusque dans les territoires.

2. Régions et collectivités urbaines, les nouveaux acteurs locaux de la

régulation publique du système alimentaire

Les différentes administrations d’État en région présentées précédemment structurent largement le paysage institutionnel local de l’action publique en matière d’agriculture et d’alimentation. Cependant, depuis les années 2000 et de manière plus prononcée depuis les années 2010, de nouveaux acteurs publics locaux font leur apparition. Les Régions notamment, du fait de la régionalisation d’une partie des fonds de la PAC, sont devenues des acteurs incontournables dans la régulation du système alimentaire sur les territoires. De même des collectivités territoriales infrarégionales variées développent des initiatives politiques mêlant aux enjeux de l’alimentation ceux de l’agriculture (sous-partie A). Cependant, tout en disposant d’un certain nombre de leviers annexes qui leur permettent d’intervenir sur une partie des systèmes alimentaires locaux, ces collectivités territoriales n’ont pas de compétences directes en matière d’alimentation et ne

84 Entretien avec la correspondante du PNNS à l’ARS du Grand Est, Strasbourg, le 08/09/2017 85 Ibid.

possèdent que des compétences limitées en matière d’agriculture (sous-partie B). Enfin, les établissements publics ou parapublics qui conseillent les collectivités territoriales sur ces thématiques sont également des acteurs importants dans le paysage de la régulation locale des enjeux du système alimentaire. S’il n’existe pas de structure d’appui officielle concernant les questions proprement alimentaires, les élites agricoles locales occupent une place capitale concernant la régulation territoriale du secteur agricole (sous-partie C).