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Mise en place d’une double comparaison de politiques alimentaires territoriales

L’opérationnalisation de cette thèse repose sur une double comparaison : « horizontale » et « verticale ». Nous qualifions la première d’« horizontale » dans la mesure où il s’agit d’étudier simultanément les politiques alimentaires de collectivités territoriales à la même échelle d’action publique, c’est-à-dire avec les mêmes compétences, les mêmes périmètres d’actions, les mêmes règles du jeu politique, etc. (Figure 2Figure 2 : Comparaison « horizontale »). La seconde comparaison, que nous qualifions de « verticale », repose sur l’analyse comparée de ces politiques mais entre différentes échelles d’action publique d’une même région35. Cette comparaison permet

notamment de conserver un même « cadre agricole » (spécialisation productive de la région, configuration politique locale du secteur agricole) tout en faisant varier les échelles de gouvernance et donc les capacités politiques quant à la régulation locale de ce secteur (Figure 3). L’analyse multi-niveaux ou la comparaison « verticale » repose donc sur l’idée de comparer l’action de différents niveaux de gouvernance afin d’évaluer leur degré de collaboration, d’indifférence ou d’obstruction (Poupeau, 2017). Ce type d’analyse permet d’étudier l’influence différenciée des échelles d’action politico-administratives sur la problématisation et la mise en politique d’un fait social. Il permet aussi de comparer les ressources budgétaires et humaines, les compétences légales et les instruments de politique publique que ces différentes échelles d’action déploient pour traiter d’un même problème public. Par la comparaison multi-niveaux on peut ainsi interroger les règles de fonctionnement démocratiques et administratives de différents échelons

35 Par « région », nous faisons référence à la région administrative soit l’ensemble des collectivités et des

administrations territoriales qu’elle comporte. Nous utilisons en revanche le terme de « Région » lorsque nous nous référons à l’entité politique régionale de celle-ci, le conseil régional.

politico-administratifs par le prisme de l’émergence d’un nouveau problème public, ici l’alimentation. Enfin, cette comparaison verticale des politiques alimentaires territoriales nous permet de relativiser les changements de politiques publiques qu’elles induisent, c’est-à-dire d’attribuer un poids relatif aux transformations observées de la régulation publique locale du secteur agricole. Nous schématisons comme suit la double comparaison déployée dans notre thèse :

Figure 2 : Comparaison « horizontale » Figure 3 : Comparaison « verticale »

Cette comparaison croisée permet d’aborder l’ensemble des variables d’intérêt que nous avons précédemment isolées : profils des entrepreneurs de cause de l’alimentation, configurations politiques locales du secteur agricole, capacités politiques des échelles d’action, variables partisanes et politiques, ressources budgétaires et humaines alloués aux politique, etc. L’étude de leur variation (d’une région à l’autre et d’une échelle de gouvernance à l’autre) au regard de l’évolution de la régulation locale du secteur agricole, permet ainsi de déceler les facteurs d’immobilisme ou de changement de politiques publiques relevant de différents contextes : institutionnel, légal, agricole, partisan, etc.

Dans les deux types de comparaison, nous analysons les politiques publiques locales de l’alimentation selon trois entrées privilégiées qui dérivent des variables explicatives du changement de l’action publique retenues. Notre grille d’analyse comparative s’articule ainsi autour de variables liées à la problématisation des enjeux alimentaires, aux acteurs en interactions quant à l’élaboration et à la mise en œuvre de ces politiques et enfin aux dimensions opérationnelles de ces dernières, que cela soit en termes de ressources allouées, de services mobilisés en interne ou d’instruments de politique publique déployés.

La sélection d’échelles d’action régionales et urbaines a été motivée par plusieurs raisons. La grande majorité des travaux sur les politiques agricoles françaises et leurs évolutions se

concentrent traditionnellement sur les instances de gouvernance européennes ou nationales, échelles historiques d’élaboration et de mise en œuvre de ces politiques. Jusqu’aux années 2010, les quelques pouvoirs déconcentrés en matière d’agriculture était détenus par les conseils départementaux, de par leur clause de compétence générale et leur proximité avec les chambres d’agriculture départementales36. Les départements administraient alors les deux tiers des dépenses

publiques locales dans le domaine agricole (Berriet-Solliec & Boinon, 2000) et représentaient ainsi le principal guichet des acteurs locaux du secteur (Hobeika, 2016). Cependant, la réforme territoriale engagée entre 2014 et 2015 est venue modifier profondément cette situation puisque suite à la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République), la clause de compétence générale a été retirée aux conseils départementaux qui ont perdu par la même occasion leur légitimité d’action sur le secteur agricole. Échelon de gouvernance historique de l’organisation du secteur agricole au niveau local, le département s’efface ainsi progressivement de sa régulation publique. Ainsi, si nous avions sélectionné initialement cette échelle de gouvernance au sein de notre travail de thèse, nous en avons finalement délaissé l’analyse au profit de l’étude des conseils régionaux et des centres urbains, échelles de gouvernance moins classiques dans la littérature sur les politiques agricoles, mais aujourd’hui de plus en plus structurantes dans la régulation locale du secteur.

Suite à la loi Maptam de 2014, les conseils régionaux sont en effet devenus des instances majeures de l’administration du secteur agricole à l’échelle locale grâce notamment à l’obtention de l’autorité de gestion des fonds européens agricoles pour le développement rural (FEADER). Ces fonds constituent le « second pilier » de la PAC et en financent la partie dite « verte », soit 20 % du budget total de la politique agricole commune qui s’élevait en France à 9,1 milliards d’euros pour la programmation 2015-202037. Leur allocation dépend pour une large partie du cadre

national et pour le reste, d’orientations politiques propres aux Régions ; le tout est consigné au sein des programmes de développement rural régionaux (PDR ou PDRR). Ces documents sont élaborés par les conseils régionaux qui doivent à cette occasion expliciter leur stratégie de développement agricole et les modalités de mise en œuvre de ces aides (Pacquet, 2014). Cette régionalisation des fonds européens de politique agricole commune a fait l’objet de plusieurs thèses ces dernières années (Trouvé, 2007, Ansaloni, 2015; Benoit, 2015). Progressivement, les conseils régionaux se sont ainsi affirmés comme chefs de file de la régulation publique du secteur agricole à l’échelle territoriale, sous l’action combinée d’un triple processus politique comprenant

36 Rapport Inventaire et classification des politiques régionales et départementales de développement rural,

Inra, Enesad, Cemagref, juillet 2001, 165 p.

la régionalisation de la PAC, le renforcement des compétences économiques des Régions (Berriet- Solliec & Trouvé, 2010) et la perte de compétences des conseils départementaux. C’est pour ces raisons que l’étude de politiques alimentaires élaborées et mises en œuvre à ces échelles de gouvernance régionales nous a paru nécessaire pour analyser les évolutions de la régulation publique locale du secteur agricole.

Les compétences « agricoles » des villes ont été réduites à peau de chagrin au cours du XXe siècle.

Pourtant l’émergence en France de politiques alimentaires urbaines au cours des années 2000 s’est accompagnée d’une remise à l’agenda des questions agricoles au sein de leurs gouvernements. Ainsi, pour certains auteurs, la construction de « politiques agri-alimentaires » urbaines serait même un moment politique clé dans la reconstruction du lien ville/campagne (Bonnefoy & Brand, 2014; Brand & Bonnefoy, 2011). Les initiatives alimentaires urbaines, largement étudiées sous l’angle de la mobilisation sociale, des nouveaux agencements de marchés ou de l’agriculture urbaine, le sont beaucoup moins concernant leurs répercussions politiques sur la manière d’administrer le secteur agricole. Autant de raisons qui ont motivé notre choix de retenir des centres urbains comme cas d’étude dans notre recherche. Par centres urbains nous entendons métropoles et villes de grande taille : en effet, ces deux types de collectivités territoriales offrent des possibilités d’intervention sur le secteur agricole différentes selon les compétences légales de chacune. Nous avons voulu en étudier les différents potentiels.

Ainsi, les conseils régionaux de par le poids politique qu’ils ont gagné concernant la régulation publique du secteur agricole et les conseils métropolitains ou municipaux de par leur regain d’intérêt envers les enjeux des systèmes alimentaires, apparaissent comme les deux échelles locales de gouvernance les plus pertinentes pour répondre à notre question de recherche. L’analyse comparée de l’élaboration et de la mise en œuvre des volets agricoles des politiques alimentaires de ces collectivités territoriales constitue donc le premier angle de notre démarche comparative. Relativiser leur action publique au vu de leurs compétences respectives et à l’aune d’une analyse multi-niveaux en constitue le second. La sélection et la double comparaison de cas d’étude régionaux et urbains est l’une des originalités de cette thèse dans la mesure où nous considérons simultanément deux dimensions du « local » alors que les politiques territoriales sont plus fréquemment étudiées et comparées uniquement de manière horizontale. Par ailleurs, les entretiens que nous avons pu mener auprès d’acteurs d’autres administrations locales (Draaf, ARS) ou d’autres collectivités territoriales (conseils départementaux, communes, pays) nous ont permis d’appréhender les politiques alimentaires territoriales étudiées dans le paysage plus global de l’action publique alimentaire et agricole menée en région et présentée au chapitre 2 de cette thèse.