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2.3 Garanties nucléaires

2.3.3 Non-prolifération

La non-prolifération désigne l’ensemble des actions et mesures visant à empêcher la pro- lifération nucléaire, c’est-à-dire la propagation de la possession des armes nucléaires. La non- prolifération vise à la fois la maîtrise des armes détenues par les États pour empêcher leur utilisation en dehors de la doctrine nationale, la prévention du transfert de technologies ou d’armes nucléaires entre États et la surveillance des États non détenteurs de l’arme nucléaire. Le Traité de Non-Prolifération nucléaire (TNP) est un traité international signé par 189 États qui donne le cadre juridique de la non-prolifération au niveau mondial [70]. Il proclame le droit à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire tout en interdisant la prolifération et en préconisant le désarmement. L’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), une organisation internationale autonome sous l’égide de l’ONU, est chargée de contrôler son application, dans les limites de ses possibilités essentiellement diplomatiques.

Le TNP singularise 5 États, qui à la fois ont procédé à un essai nucléaire avant 1968 (date de la signature du traité) et sont les membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU : les États-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie (l’URSS à l’époque), le Royaume- Uni, la France et la Chine. Ces 5 États sont reconnus comme États Détenteurs de l’Arme Nucléaire (EDAN), les autres sont tous considérés comme États Non-Détenteurs de l’Arme Nucléaire (ENDAN). Les EDAN conservent le droit de posséder des armes nucléaires actives mais doivent travailler au désarmement et contre la prolifération. Les ENDAN n’ont pas le droit de posséder d’armes nucléaires, et ne doivent pas chercher à en acquérir. Les États non signataires du TNP ne sont évidemment pas tenus de le respecter. Tout État peut en sortir quand il le souhaite, comme le fit la Corée du Nord le 10 janvier 2003.

Quatre États non signataires sont connus pour détenir un arsenal nucléaire. L’Inde et le Pakistan ont tous deux réalisé des essais nucléaires reconnus comme tels par les autres États, et affirment posséder des armes nucléaires actives (c’est-à-dire vectorisées et opérationnelles). La Corée du Nord affirme avoir réalisé 2 essais nucléaires, mais la réussite de ceux-ci et la capacité coréenne à transformer ces essais en armes est toujours sujet de débat : concrètement, si le caractère nucléaire des tests n’est plus remis en cause, les explosions ont sans doute raté pour cause de prédétonation. Israël ne communique pas au sujet de l’arme nucléaire, mais est connu pour posséder un réacteur nucléaire et un complexe de fabrication de combustible nucléaire. Le nombre de bombes israéliennes varie selon les auteurs de quelques dizaines à quelques centaines, et le caractère actif ou inactif (sans vectorisation ou inopérationnel militairement) de ces bombes reste discuté.

Aspects techniques

Dans la fabrication d’une bombe nucléaire, l’étape la plus complexe est de loin la fa- brication du combustible. Cette étape nécessite des installations industrielles coûteuses et spécifiques et des personnels scientifiques et techniques de haut niveau, une infrastructure uniquement accessible à des États. La non-prolifération se concentre donc depuis toujours sur le contrôle des matières fissiles et plus généralement de tous les éléments lourds à partir du thorium, avec une attention toute particulière pour l’uranium enrichi et le plutonium.

L’enrichissement de l’uranium est donc une activité très surveillée, les procédés développés pour l’enrichissement civil pouvant assez facilement être étendus pour permettre l’enrichisse- ment militaire. En particulier, les EDAN cherchent à contrôler l’enrichissement, par exemple

en garantissant l’approvisionnement en combustible civil des ENDAN en échange de l’aban- don de tout programme d’enrichissement. Bien que des activités civiles puissent utiliser du combustible enrichi dans des proportions militaires (réacteur de recherche à haut flux par exemple), la tendance actuelle est de limiter l’enrichissement de l’uranium civil à 20 %, tout enrichissement supérieur entraînant suspicions voire condamnations internationales (voir fi- gure 2.20b).

Le cas du plutonium est plus complexe : il ne peut être produit qu’avec un réacteur nucléaire, mais en même temps il est forcément produit lors du fonctionnement d’un réacteur nucléaire (à part les quelques réacteurs de recherche à haut flux fonctionnant avec de l’uranium très enrichi). Dans le cas des États ne possédant pas de filière nucléaire, il faut donc s’assurer qu’aucun réacteur nucléaire n’est construit sans être déclaré. Dans le cas des États possédant une filière nucléaire civile, il faut s’assurer que le plutonium produit n’est pas extrait et détourné à des fins militaires. Un des rôles de l’AIEA est justement de s’assurer du recensement des activités nucléaires civiles, de leur contrôle et du devenir des combustibles usés, notamment par des inspections.

Diversion

La diversion regroupe l’ensemble des stratégies qui peuvent être mises en œuvre pour détourner ou soustraire au contrôle des matières fissiles, ou conduisant à un usage militaire. Les filières nucléaires étant très coûteuses et complexes, seuls des pays stables et volontaires ont pu les mettre en œuvre. Tous ces États surveillant très étroitement les matières fissiles, le seul acteur envisageable aujourd’hui est un État cherchant volontairement à proliférer (une organisation non étatique est hors sujet). Dans ce cas, même si le discours vis-à-vis des autres États peut chercher à dissimuler la direction militaire du programme nucléaire, les opérations sur les sites nucléaires sont explicitement tournées vers la prolifération et les moyens de contrôle de l’AIEA sont refusés. L’engagement dans un tel programme étant essentiellement le fruit de décisions politiques, la diversion a historiquement pris la forme d’un changement brutal de politique nucléaire, passant d’une coopération civile à une autarcie militaire, les installations civiles étant réorientées vers la prolifération (cas de l’Inde ou de la Corée du Nord). Et dans ce cas, la technologie détournée et la filière visée importe peu.

Dans le cas de l’uranium, il peut s’agir de construire une installation cachée d’extraction de l’235U, ou de réenrichir à la suite d’une installation civile. En l’absence de nouvelles méthodes

d’extraction (comme la séparation par laser), ces installations sont difficiles à dissimuler. Historiquement, quelques États tentèrent (ou tentent peut-être, dans le cas en pleine discus- sion de l’Iran) la diversion de l’uranium mais furent rapidement repérés par le renseignement extérieur des autres États (notamment des EDAN).

Dans le cas du plutonium, un point particulièrement important est la filière de réacteur électrogène utilisée, les réacteurs à chargement continu produisant naturellement un pluto- nium proche d’un combustible militaire et posant de sérieux problèmes de prolifération. Côté graphite, tant les UNGG16 français que les RBMK17 russes ont été conçus en gardant en

16. Uranium Naturel Graphite Gaz, le gaz en question étant du CO2. Il s’agissait de la première filière

française de réacteurs civils.

17. Réacteur de grande puissance à tubes de force en russe, une filière à l’uranium légèrement enrichi, modérateur graphite et refroidissement à l’eau légère pressurisée. Le bloc modérateur est traversé de tubes verticaux, les fameux tubes de force, contenant les barreaux combustibles et où circule l’eau de refroidissement.

tête la production de239Pu. Côté eau lourde, les CANDU18 vendus à l’Inde ont directement

conduits à la bombe nucléaire indienne. Un suivi bien plus serré de l’aval du cycle est donc nécessaire avec les filières à chargement continu, et ultimement leur disparition verrait le prin- cipal risque d’utilisation détournée du combustible civil s’évanouir. Dans le futur, le risque de diversion sera un frein certain au déploiement de certains concepts de la génération IV ou à la généralisation de sources intenses de neutrons de spallation, pour éviter la formation d’une nouvelle voie dégagée vers la prolifération.

Les combustibles civils et militaires, bien qu’isotopiquement forts différents, restent in- extricablement liés sur le plan technologique. Si pour empêcher la prolifération par l’235U

une réduction ou une interdiction de l’enrichissement pourrait être souhaitée, les réacteurs civils seraient alors forcément à uranium naturel et rechargement continu donc plutonigènes. Ensuite, les procédés de retraitement des déchets nucléaires (civils) reposent le plus souvent sur la séparation de l’uranium et du plutonium des autres composantes des déchets, fournis- sant donc la technologie vers la prolifération pour le 239Pu. Cela a notamment conduit les

États-Unis d’Amérique à longtemps préconiser l’absence d’enrichissement, de retraitement et de réacteur à uranium naturel pour les ENDAN, en promettant la fourniture de combustible civil faiblement enrichi, position très restrictive peu encline à convaincre les nouveaux entrants dans le nucléaire civil.

Pour autant, il est possible d’imaginer qu’un réacteur à cycle soit détourné de son usage de conception, et opéré pendant seulement quelques mois avant rechargement (pour au moins quelques assemblages). Le spectre, moins thermique qu’un réacteur modéré au graphite, est moins favorable à la production de combustible militaire (plus de 241Pu produits du fait

de résonances épithermiques), mais le risque ne peut être écarté. Même un REP dont le combustible serait fourni par un tiers peut être détourné de sa mission électrogène.

La non-prolifération est donc un sujet complexe et sensible, tant la frontière entre civil et militaire est fine au regard du budget d’un État et d’une échelle de temps de la dizaine d’années. Le point clé reste la volonté politique de se doter de l’arme nucléaire ou d’y renoncer. Le Japon par exemple maîtrise l’enrichissement, le retraitement, le réacteur et la fusée, mais ne développe pas d’armement nucléaire du fait d’une forte volonté sociétale et politique, inscrite dans la constitution. À l’inverse, la Corée du nord après s’être retirée du TNP a procédé à deux tests nucléaires malgré une économie en ruine et un embargo international.

(a) Plutonium (b) Uranium

Figure 2.20 – Composition isotopique des combustibles militaire et civil typiques [52] 18. CANada Deutérium Uranium, la seule filière industrielle de réacteur modéré à l’eau lourde. Le combus- tible est de l’uranium naturel et le caloporteur de l’eau légère. Hergé s’inspira de photos de CANDU pour ses dessins de réacteurs nucléaires dans « Objectif Lune ».