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2.3 Garanties nucléaires

2.3.1 Physique de la bombe nucléaire

Une bombe nucléaire est un dispositif explosif dont la libération d’énergie repose sur des réactions nucléaires. Dans sa forme la plus simple, le seul processus significatif libérant de l’énergie est la fission, on parle alors de bombe dite « A », ou atomique10, ou encore

simplement nucléaire (par opposition à thermonucléaire). Les bombes plus complexes mettent également en jeu la fusion, et en général, dès qu’une bombe met en jeu la fusion, on parle de bombe « H », ou thermonucléaire, bien que cette appellation puisse recouvrir plusieurs solutions techniques différentes. La fission est forcément utilisée au départ pour déclencher l’explosion.

L’échelle d’énergie des réactions nucléaires est supérieure d’un facteur un million à l’échelle d’énergie des réactions chimiques. La puissance d’une bombe nucléaire s’exprime donc typi- quement en kilotonne, abréviation de kilotonne équivalent TNT, qui est l’énergie libérée par l’explosion d’une kilotonne de TNT11. Cette unité d’énergie est utilisée pour les grandes

explosions, nucléaires d’abord, mais maintenant aussi volcanique ou météoritique, et vaut précisément 4,184 × 109J12. Avec une énergie par fission de 200 MeV, cela correspond à

1,3 × 1023fissions et donc à la fission totale de seulement 51 g d’235U. Comme l’efficacité

d’une bombe nucléaire ne permet pas de fissionner l’intégralité du matériel fissile, le cœur de la bombe fait typiquement plusieurs kilogrammes et le dispositif total plusieurs centaines de kilogrammes voire plusieurs tonnes (pour une puissance de plusieurs dizaines de kilotonnes). Les bombes thermonucléaires montent facilement à des énergies de l’ordre de la mégatonne (équivalent TNT).

Une bombe nucléaire est donc d’abord un dispositif cherchant à libérer un maximum d’énergie nucléaire par une réaction de fission en chaîne exponentiellement divergente. Pour réaliser pratiquement une telle réaction, il est nécessaire et suffisant d’assembler une masse supercritique, visant keff(t) > 2. Les dispositifs thermonucléaires utilisent ensuite la chaleur

générée pour démarrer des réactions de fusions qui peuvent à la fois libérer une quantité significative d’énergie et générer un flux supplémentaire de neutrons rapides augmentant considérablement le nombre de fissions. Pour construire une arme nucléaire, la maîtrise de la bombe à fission pure (ou bombe « A ») est donc indispensable. Les principaux problèmes à résoudre sont :

1. garder le matériel fissile subcritique avant la détonation ;

2. mettre le matériel fissile dans un état supercritique sans démarrer la réaction ;

3. introduire un flux neutronique initial significatif dans la masse supercritique à l’instant de sa configuration optimale ;

4. maintenir la masse supercritique ensemble jusqu’à ce qu’une part significative du ma- tériel ait fissionné.

10. Cette appellation abusive, puisqu’une réaction atomique est chimique, est une appellation grand public où « atome, atomique » et « noyau, nucléaire » ne sont pas bien distingués.

11. Le trinitrotoluène ou TNT est un explosif classique de référence, aussi bien pour les militaires que pour

les civils. Il est en effet connu et utilisé depuis le XIXesiècle et bénéficie donc d’études approfondies et d’un

très large retour d’expérience.

12. L’énergie libérée par le TNT étant sujette à variation selon la configuration ou la pureté, on définit le gramme équivalent TNT comme 1000 calories, soit 4184 J [67]

Le premier point peut se résoudre en séparant le matériel fissile en deux morceaux, et le troisième avec une source de neutrons : source polonium-béryllium (par la réaction

210Po(α,n)9Be) aux débuts, tube à neutrons dorénavant. Le point quatre impose une réaction

nucléaire plus rapide que l’onde thermo-mécanique résultant de la détonation. Pratiquement, la phase de fission en chaîne sera stoppée par la dispersion du matériel au bout d’environ une milliseconde.

La deuxième contrainte est de loin la plus complexe à respecter. L’idée est bien d’atteindre un état supercritique avec keff(t) > 2, ce qui n’est possible que sans modération, en minimisant

les fuites neutroniques et avec quelques isotopes possédant des sections efficaces favorables. La minimisation des fuites demande la géométrie sphérique et la minimisation des captures stériles demande une grande pureté du matériel fissile, qui doit être chimiquement le plus pur possible, et sous forme métallique, si possible non alliée. Dans la pratique, 2 isotopes seulement sont utilisables : un seul naturel, l’235U, et un seul artificiel, le 239Pu. L’uranium

233 serait également utilisable, mais il faut le produire à partir du thorium 232, ce qui n’a jamais été tenté à l’échelle industrielle nécessaire à la fabrication du combustible militaire. L’235U doit être extrait de l’uranium naturel où il est présent à hauteur de seulement 0,7 %.

Le 239Pu doit être produit par irradiation neutronique du l’238U. Comme les isotopes à un

nombre pair de neutrons (fertiles) fissionnent beaucoup moins facilement lors de l’interaction avec un neutron que les isotopes à nombre impair de neutrons (fissiles), toute contamination de l’235U avec l’238U ou du 239Pu avec un autre isotope du plutonium réduit l’efficacité de la

réaction (voir les masses critiques dans le tableau 2.2).

Isotope Masse critique (kg) Période (ans) n spontanés (kg−1s−1)

233U 16 1,6.105 1,2 235U 48 7.108 0,010 238U >10000 4,5.109 13.6 238Pu 10 88 2,9.106 239Pu 9 2,4.104 650 240Pu 37 6,6.103 1,0.106 241Pu 13 14 49 242Pu 89 3,8.105 1,7.106 241Am 57 430 1500

Table 2.2 – Masse critique, période et neutrons spontanés des principaux actinides [50,

68, 69].

Dès que le matériel atteint l’état critique, la réaction en chaîne s’enclenche, produit de la chaleur et s’oppose à la montée de la criticité. Il faut donc passer de l’état subcritique à l’état supercritique en un temps minimal, dicté par les neutrons résiduels issus des fissions spontanées13. Or les fertiles ont une probabilité de fission spontanée supérieure aux fissiles

du même élément (voir tableau 2.2). Plus encore que la quatrième contrainte, les neutrons

13. Le flux neutronique issu des cascades cosmiques est certes présent et incompressible, mais il est très faible, bien en deçà du flux issu des fissions spontanées dans un cœur de bombe nucléaire.

résiduels imposent une cinétique très rapide : le temps nécessaire pour atteindre la supercri- ticité doit être petit devant la période d’émission des neutrons spontanés. L’235U ayant une

émission de neutrons très faible, sa masse critique émettant moins d’un neutron par seconde, il offre le plus de souplesse d’utilisation. Par contre le239Pu demande que la cinétique soit de

l’ordre de la microseconde pour rester petit devant un neutron spontané toutes les 5 millise- condes dans une masse critique. Dans les 2 cas, une contamination d’un autre isotope accroît considérablement l’émission de neutrons et complique sérieusement le deuxième problème.

Ces contraintes donnent lieu à 2 solutions techniques, toutes deux déclenchées par explosif classique pour atteindre la cinétique nécessaire : séparer le matériel en deux avant de le rapprocher brutalement (bombe dite à insertion, figure 2.19a) ou imploser le matériel mis sous forme de boule creuse (bombe dite à implosion, figure 2.19b). La première solution, plus simple techniquement, est moins efficace à tout point de vue, à tel point que la lenteur du processus empêche l’utilisation du239Pu et ne permet pas le passage vers la bombe thermonucléaire. Elle

n’a d’ailleurs presque jamais été mise en œuvre, le seul cas attesté restant les quelques bombes de type « Little-Boy » fabriquées par les États-Unis pendant l’année 1945 et dont la première a été utilisée sur Hiroshima. Des pays proliférant ont (Afrique du Sud) ou auraient (Pakistan) également utilisé cette solution. La seconde demande une grande maîtrise technique pour arriver à imploser la boule de façon homogène, mais la cinétique passe sous la microseconde ce qui permet l’usage du239Pu et améliore significativement l’utilisation du fissile : la compression

du matériel par l’implosion en augmente la densité, ce qui minimise la masse nécessaire à la supercriticité et augmente le taux de combustion du fissile.

(a) Schéma de principe d’une bombe par insertion (b) Schéma de principe d’une bombe parimplosion

Figure 2.19 – Les deux principes de détonation d’une bombe nucléaire [50]

2.3.2 Fabrication du combustible militaire