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Les membres des organisations féministes des années 1920 envisageaient plusieurs projets sociaux car elles considéraient qu’elles avaient le devoir de servir la société au bénéfice du « progrès » du pays. Sans être et sans se présenter comme des associations de bienfaisance, elles considéraient cependant qu’elles avaient un rôle à jouer dans le « progrès » social. C’est le cas de l’ « Ateneo Femenino » qui comme on l’a déjà vu, dans ses statuts annonçait qu’« elle admettra dans son sein l’étude de tous les problèmes sociaux » et que toutes les associations « qui travaillaient pour le bien public » trouveraient de la collaboration dans cette association181. Plusieurs projets

cuando le han sido negados los bienes de la fortuna y de la belleza; cuando ha dejado de ser joven; cuando no se ha casado.

Adviértase que el elemento femenino más preparado por el momento en Bolivia es el normalista. Todo ese grupo de mujer llegó a las aulas talvez con la amargura de la desigualdad dentro de su propio sexo y así comenzó la ruda lucha y ¡oh, prodigio!, muchas descubrieron, caído el tupido velo que envolvía sus mentes, un hermoso y nuevo campo de acción que se les ofrecía. » Eco Femenino, n°4 janvier 1924, La Paz. Hemeroteca de la Universidad Mayor de San Andrés, La Paz – Bolivie.

181 Indice n°3, s.d.,1928. Collection privée de Martha Nardín Rivas, belle-fille de María Luisa Sánchez

sociaux furent donc envisagés par ces organisations, et notamment par l’« Ateneo Femenino » qui de par sa durée de vie fut l’association la plus active de toutes.

La base sur laquelle se réalisaient et se justifiaient certaines des actions sociales de ces organisations était la valeur chrétienne de la charité. Celle-ci était considérée comme une vertu très importante particulièrement chez les femmes, qui avaient comme mission servir avec « abnégation » la société. Plusieurs des articles des revues féminines – féministes, mettaient en avant le rôle de service que la femme devait entreprendre au sein de la société et exaltaient des vertus « féminines » telles que l’« abnégation » et l’« amour ». C’est sur ces bases idéologiques et chrétiennes que se fondaient et se justifiaient les actions sociales des féministes de l’époque.

Le plus souvent les actions réalisées par ces organisations étaient ponctuelles, et ne relevaient donc pas de projets à long terme. C’est le cas par exemple, de la soirée littéraire – musicale réalisée par les membres du « Centro Artistico et Intelectual de Señoritas de Oruro » le 22 décembre 1922 pour collecter des fonds au bénéfice des orphelins du Chili suite à un tremblement de terre qui avait provoqué la destruction de plusieurs villages dans ce pays182.

Par ailleurs, les revues publiaient des informations sur les actions de charité réalisées par les membres de leurs associations, comme par exemple l’organisation d’une société de charité pour la « Protection de l’Enfant et des personnes âgées », réalisée par Isabel v. de Haillot (voir annexe A n°20), membre de l’ « Ateneo Femenino », au sein de l’école « Lindaura Campero » qu’elle dirigeait183.

D’autres actions, non pas de charité, mais d’aide financière à d’autres institutions furent réalisées par l’« Ateneo Femenino » avec des buts patriotiques. Ainsi, par exemple, la collecte de fonds réalisée entre décembre 1927 et janvier 1928 pour le « Comité Pro-Aviation Chaco ». Ces fonds étaient destinés à contribuer au financement de l’aviation de la Bolivie qui serait mobilisée dans le cas d’une guerre éventuelle contre le Paraguay pour protéger le territoire du Chaco (Sud-Est du pays). En effet, les différends frontaliers avec le Paraguay commencèrent à la fin de 1926, et

182 Feminiflor, n°18, décembre 1922, Oruro. Hemeroteca de la Universidad Mayor de San Andrés, La

Paz – Bolivie.

183 Eco Femenino, n°14, juillet 1925, La Paz. Hemeroteca de la Universidad Mayor de San Andrés, La

la possibilité d’une guerre fut envisagée alors. Cependant, le Président à l’époque, Hernando Siles, résolut ces problèmes et évita la guerre en 1929. Ces conflits frontaliers conduisirent finalement les deux pays à la guerre en 1932 comme on le verra plus tard.

À part ces actions sociales souvent de charité et parfois patriotiques, l’« Ateneo Femenino » envisagea des projets sociaux à plus long terme. Ainsi, les projets présentés par Eduviges v. de Hertzog (voir annexe A n°15) à la Seconde Conférence Panaméricaine de femmes à Lima en 1925 sur l’éducation secondaire des femmes, l’alphabétisation des indigènes et la création d’une Banque Protectrice des femmes travailleuses, qu’on a déjà étudiés.

D’autres projets furent envisagés, tels que la création d’une Ligue Antialcoolique pour combattre le vice de l’alcool qui était vu comme une plaie dans la société184, ou encore la création de Comité d’Hygiène Sociale destiné à combattre la prostitution. En outre, des projets récréatifs furent conçus tels que la création de parcs scolaires pour les enfants.

On ne sait pas si ces derniers projets furent finalement réalisés ou pas ; il est probable que non par manque d’argent.

Pour mener à bien ses actions sociales, l’« Ateneo Femenino » était affiliée à diverses associations féminines telles que la Société de Bienfaisance de Dames (« Sociedad de Beneficiencia de Señoras »), la Société Protectrice de l’Enfance et la Ligue d’Employées de Commerce et de l’Industrie. Les représentantes de ces associations faisaient partie de la Direction de l’« Ateneo Femenino » en tant que membres du Conseil.

Si les organisations féministes des années 1920 envisageaient des œuvres de charité, de bienfaisance et des projets sociaux, c’était d’abord parce qu’elles considéraient qu’un des principaux rôles des femmes dans la société était le service voué aux autres. Les femmes devaient donc faire preuve de charité et d’abnégation envers la société. Ce service ne devait pas s’arrêter là car les féministes boliviennes considéraient qu’elles devaient contribuer en tant que femmes au « progrès social »

184 Eco Femenino, n°4, janvier 1924, La Paz. Hemeroteca de la Universidad Mayor de San Andrés, La

pour le bénéfice du pays en général. Leurs projets s’inscrivaient donc dans les visions patriotiques de « progrès » qu’elles formulaient dans leur revue. Leurs associations ne devaient pas servir uniquement à lutter pour la cause des femmes mais elles devaient être aussi utiles et profitables à la communauté et à la nation afin de contribuer au « progrès de la patrie ». D’où la conception de projets à plus long terme tels que l’alphabétisation des indigènes.

Étudier les fondements idéologiques des organisations féministes des années 1920 en Bolivie, implique également étudier leurs demandes : comment celles-ci étaient formulées et quelle logique les liait afin de comprendre exactement quels étaient leurs objectifs et comment envisageaient-elles l’émancipation des femmes. Cela implique d’étudier de même comment ces organisations se concevaient et s’inscrivaient elles mêmes au sein de la société et du pays : quel était le rôle qu’elles considéraient qu’elles devaient jouer au sein de leur communauté. D’où l’étude des projets sociaux qu’elles envisageaient soit comme des œuvres de charité, soit comme des œuvres patriotiques pour contribuer au « progrès » non seulement de la société mais aussi de la patrie. De leur position de classe privilégié, ces femmes agissaient d’après les principes et valeurs chrétiens de la charité et de la compassion : l’aide au plus pauvre et au plus défavorisé. De par leur appartenance à l’élite intellectuelle et économique du pays, ces femmes partageaient les visions et idées courantes à l’époque sur l’intégration des indigènes à la nation. Sous des conceptions totalement paternalistes et guidées par des valeurs de charité et de compassion, ces femmes envisageaient l’intégration des indigènes au pays à travers l’alphabétisation et la « civilisation ». Aucune réforme de changements sociaux plus profonds ne fut jamais proposée ou envisagée par ces femmes qui partageaient le modèle libéral politique et économique qui s’était imposé à la fin du XIXe siècle dans le pays.

Les organisations féministes des années 1920 eurent une durée de vie assez courte tout comme les revues qu’elles publiaient. Elles furent des associations éphémères, dissoutes quelques années après leur création. Le peu de temps dont elles disposèrent limita énormément leur capacité d’action, qui la plupart du temps fut réduite à la publication de revues féminines - féministes. La seule organisation qui eut une durée de vie longue fut l’« Ateneo Femenino », ce qui lui permit de devenir une organisation plus solide intégrée au mouvement féministe international et ayant créé un réseau féministe en Bolivie. Sa durée de vie lui permit également de réaliser

plusieurs actions concrètes telles que la participation aux Congrès Internationaux de femmes, l’organisation d’un Congrès National de femmes ou encore la réalisation de projets de modification de lois afin d’obtenir les droits civils des femmes. Ce fut finalement cette organisation qui guida le mouvement féministe des années 1920 en Bolivie.

Les femmes qui composaient ces organisations appartenaient toutes à l’élite sinon économique au moins intellectuelle du pays. Il s’agissait d’un secteur de la population féminine extrêmement restreint et réduit. Il est difficile d’avancer des chiffres, faute à l’existence de ceux-ci, mais l’on peut déduire en réfléchissant aux chiffres postérieurs, qu’il s’agissait d’un nombre infime de femmes organisées afin de lutter pour la cause féminine. L’influence et la diffusion de leurs publications étaient donc réduites aux cercles intellectuels de l’époque. La seule fois où une union avec les femmes des classes populaires fut tentée, fut un échec en raison des différences culturelles et sociales abyssales entre ces deux secteurs de la population.

Malgré le caractère éphémère de ces organisations, la plupart des femmes qui les fondèrent et en formèrent partie ne disparurent pas de la lutte pour la cause féminine dans les années suivantes. Une grande partie d’entre elles jouèrent un rôle important dans la Guerre du Chaco et fondèrent ou s’intégrèrent aux nouvelles organisations qui surgirent dans les années 1930 dans un contexte de guerre et de post guerre totalement différent à celui des années 1920.

II) Femmes et mouvement féministe

pendant et après la Guerre du Chaco

(années 1930)

A) L’impact de la Guerre du Chaco dans la société

bolivienne

a) L’impact politique, social et culturel de la Guerre du Chaco

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