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Toutes les prospectives ne visent pas à aboutir à un projet. On se reportera pour s'en

convaincre dans le Chapitre II à la partie C modélisation et types de prospective). Mais

les prospectives "stratégique" et "d'aide à la décision" tendent vers ce but. Or il a été

constaté précédemment qu'entre ces prospectives et le projet il y a un vide. On

rappelera aussi que le projet, notion pourtant usuelle, n'avait pas jusqu'à ces derniers

temps fait l'objet d'une réflexion approfondielol. Les propositions qui suivent tendent à

combler ce trou méthodologique.

Deux considérations sont essentielles:

Le temps des projets courants. Il n'est pas celui de la prospective, c'est-à-dire 15 à 20

ans ou plus. Il n'est pas non plus celui de la navigation à vue, du management "au jour le

jour". A l'exception des grands projets d'infrastructure qui sont généralement du ressort

de l'Etat, la plupart des projets où les acteurs visualisent leurs possibilités d'action, ont

un horizon de l'ordre de 5 ans. Ce temps de la perspective concrète correspond aussi

souvent, approximativement, à celle de la vie politique: durée d'une législature, de

Rapport Final "La 9vfétfiocfoCogie de la Prospective ?égiona?e" » 85 Conseils régionaux, éventuellement durée d'un mandat présidentiel si la Constitution est révisée pour l'abréger. Ces temps sont comparables dans d'autres pays, malgré des différences.

Ces constats impliquent la capacité de l'analyste de tenir compte des temps sociaux, des processus inintentionnels en cours, et des temps des processus intentionnels constituants du projet.

Les systèmes d'objectifs des acteurs. La pratique montre que c'est la partie la plus négligée de la réflexion prospective. On en a traité à deux reprises dans le chapitre I "les types de prospective, le type "stratégique" et dans "les principes", mais il convient d'approfondir la question.

On partira d'une observation d'expérience: il y a un grand déséquilibre dans les exercices prospectives entre les efforts, le temps et les dépenses affectés à la compréhension du système et à sa modélisation explicite ou implicite, et l'attention consacrée à la connaissance du système d'objectifs des acteurs. Rarement les fins poursuivies sont exprimées sous forme d'un ensemble hiérarchisé. Or pour relier les prospectives "stratégique" et "d'aide à la décision" au projet deux conditions apparaissent nécessaires:

1 identifier la structure du système d'objectif 2 réunir les objectifs et les moyens.

L'identification de la structure du système d'objectif

La description du système-objectif peut se faire en considération de ses niveaux. C'est ainsi que Jacques Melese 102 distingue: les finalités, qui sont le plus souvent exprimées en termes éthiques, les buts, qui assignent une mission opératoire aux finalités, les objectifs proprement dits qui précisent les buts en leur assignant des temps de réalisation et des quantités. Bien sûr ces appellations sont conventionnelles, l'essentiel est de comprendre ce qu'elles renferment et leur différence de substance. Leur traduction pose toujours un problème, en anglais par exemple, elles sont exprimées par aims, goals et targets. En espagnol, objectivo désigne généralement le niveau le plus élevé dans la hiérarchie, celui des finalités...La méthode peut être développée en rattachant à chaque objectif les moyens qui lui sont spécifiques . Ainsi on peut dresser un "arbre" du système-objectif avec ses prolongements vers les moyens d'action. Cette méthode a été utilisée sous la forme "d'arbre de pertinence" par les militaires américains, et ensuite par d'autres, pour définir des armes nouvelles correspondant aux missions qu'elles devaient accomplir 1°3. Elle peut également s'avérer utile pour décrypter, par exemple, la signification des programmes politiques, mais cet usage est à notre connaissance rarissime...

102j Melese "L'analyse modulaire des systèmes de gestion", Hommes et Techniques, 1972.

103 voir à ce sujet Robert U Ayres "Prévision technologique et planification à long terme", Hommes et Techniques, 1972, en particulier l'arbre de pertinence militaire et spatial de la société Honeywell.

?,apport Final "La 9vfétlÏoaowgie de [a Prospective ?égiona?e Il 86 Une autre piste de travail provient d'un livre récent de Ralph L. Keeney 104. Ici le système-objectif est structuré par l'identification de l'objectif global fondamental (overall fundamental objective) qui peut être une combinaison de plusieurs objectifs fondamentaux spécifiques. Là aussi on établit un arbre hiérarchique des objectifs. Mais, à la différence de la méthodologie précédente les objectifs font l'objet d'une évaluation quantitative subjective, basée sur des jugements de valeur. Cette partie de la méthodologie a du reste des traits communs avec celle développée depuis longtemps par les militaires français pour une évaluation volontariste de leurs programmes de recherchées. Il n'est pas possible dans le cadre de cette étude de définir les concepts et la méthodes de calcul employées. On se bornera à indiquer que le terme "value" a en fait un double sens. Il caractérise des "valeurs", au sens des finalités, buts et objectifs, et des "valeurs" quantifiées, nommées "attributes". Un "attribute" est "le degré selon lequel un objectif est achevé et mesuré". Mais, et c'est la deuxième caractéristique fondamentale pour passer de la prospective aux projets, la méthodologie de Keeney unit les objectifs et les moyens.

La réunion des objectifs et des moyens

L'arbre des objectifs est complété par un réseau d'objectifs de moyens finaux ( means-ends objectives network). On peut alors articuler en un réseau global les deux réseaux, celui de l'objectif fondamental, et celui des objectifs des moyens finaux. On peut s'étonner que le qualificatif "objectifs" soit accolé aux moyens. Il y a là de quoi choquer un esprit cartésien, bien que depuis longtemps les partisans d'une nouvelle méthode intellectuelle

aient recommandé la mise en pratique d'une dialectique des fins et de moyens 106 . Ceci

mérite une explication.

Il y a une claire distinction entre objectifs fondamentaux et moyens finaux objectifs. Les premiers sont la base de la modélisation quantitative. "Leur hiérarchie indique le jeu des objectifs pour lesquels une estimation ("attribute") doit être définie. Le modèle quantifié (value model) est alors développé pour évaluer les conséquences107 de ce jeu d'objectifs".

Les seconds indiquent "les objectifs qui doivent être considérés en développant un modèle qui relate les alternatives106 à leurs conséquences".

104Ralph L. Keeney "Value-Focused Thinking, a path to creative decisionmaking"Harvard University press, 1992.

105voir De l'Estoile "la programmation de la recherche appliquée" Le progrès scientifique N° 118, 1968.

106C°est ainsi que Michel Crozier dans "La société bloquée", Seuil 1970, écrivait: "Plus nous avançons dans la connaissance des paramètres qui définissent un champ d'action, moins nous avons besoin d'être rigides dans nos définition d'un problème, et plus nous sommes capables d'accepter que les moyens ne doivent pas être séparés des fins et que la vue la plus rationnelle est celle qui compare des ensembles fins-moyens". Dans le même ordre d'idée l'analyse systémique de l'approvisionnement en eau du bassin parisien démontrait que le véritable objectif était les moyens de lutte contre la pollution. Voir à ce sujet Pierre Frédéric Tenière-Buchot "Le modèle Popole", Seideis, 1972.

P,apport Final "La Méthodologie de [a Prospective ?égiona?e Il 87

Les relations entre les niveaux des objectifs fondamentaux et ceux des moyens finaux

objectifs sont différentes. Dans le réseau des objectifs fondamentaux les relations sont

hiérarchiques. Dans celui des moyens finaux les relations entre niveaux sont causales.

L'objectif de bas niveau est un moyen (et donc un facteur causal) de l'objectif de niveau

plus élevé. mais tous les facteurs de causalité, tels qu'ils pourraient apparaître, par

exemple, dans des matrices d'interdépendance ou des mappings, n'entrent pas forcément

dans le réseau des moyens-objectifs. L'articulation des deux réseaux aboutit en conséquence à sélectionner les éléments pertinents d'un système-objectif.

Le qualificatif de "final" dans moyens finaux est justifié par le procès de structuration du réseau. Comme celui-ci peut indéfiniment se prolonger vers le bas par une décomposition de plus en plus fine des facteurs, il faut s'arrêter à un moment. Ce moment est où suivant la pensée de Ackoff1 08, la poursuite de la structuration du réseau arrive à des alternatives. "Le point naturel d'arrêt est la spécification d'alternatives ou de classes d'alternatives". Dans cette conception les conséquences sont "les descriptions des impacts des alternatives décrites en termes du degré selon lequel les objectifs sont atteints".

De l'anticipation au projet

La méthodologie décrite ci-dessus ouvre des perspectives opérationnelles de passage

de l'anticipation au projet.

planche hors texte 6 "Nouvelle méthodologie prospective: des modélisations

systémique et d'anticipation aux projets", symbolise cette perspective.

C@1IIl(Cn1!Il?nI1J)!Dl

Aux modules proposés précédemment il faudrait ajouter un module "hiérarchisation des

objectifs et des moyens" constitué des deux réseaux des "objectifs fondamentaux" et des

"objectifs des moyens finaux". La construction de ces réseaux prendrait appui sur certains

modules: les modules 1 à 4 , et les configurations positionnelles activées des acteurs" à un

premier niveau de détermination de la hiérarchisation des objectifs et moyens; les modules 5

à 10, et éventuellement les modules 11 et 12, pour une détermination plus élaborée, et aussi

plus opérationnelle. L'information subirait une sorte de rotation pour être utilisée dans un

procès décisionnel.

Les modules et configurations systémiques correspondantes ne contiendraient pas toute

l'information suffisante. Il en est ainsi concernant la structuration, la hiérarchie du système-

" objectif, qui doit faire l'objet de la méthodologie spécifique évoquée plus haut. Il en est ainsi

également de l'identification des moyens-finaux, les matrices ou les mappings n'étant pas

susceptibles, à moins de devenir impraticables, d'analyser les éléments et leurs relations au

niveau plus fin requis par le projet. Par contre des éléments et relations indispensables pour la

compréhension du système, et donc le contexte du projet, deviennent inutiles dans le cadre

du réseau des objectifs. Le niveau opérationnel est celui de "l'alternative".

L'assemblage modulaire entre la modélisation systémique et celle du système-objectif devrait

permettre d'aboutir selon le niveau de la modélisation systémique à deux niveaux de projets

9.(apport Final "La 9vfétfioioCogie de [a Prospective Régionale" n 88

alternatifs.

Au premier niveau de la modélisation systémique (modules 1 à 4) correspondraient des

projets alternatifs résultant de la révision critique des processus en cours en fonction du

système-objectif.

Le second niveau de la modélisation systémique (modules 1 à 10 ) permettrait en incorporant

les configurations "relationnelle développée", "temporalisée", et celle des "types

d'incertitude", d'aboutir à des projets alternatifs plus denses, pensés à moyen terme, tandis

que le module des "chaînes de processus" devrait ouvrir la voie à l'analyse des conséquences

des alternatives. Il va sans dire qu'il faut expérimenter ces voies qui paraissent ouvrir de

nouvelles possibilités.

Q

Telle est dans ses grandes lignes la nouvelle méthodologie proposée, qui constitue en fait, au stade actuel, une hypothèse générale de travail dont une partie a été expérimentée et conduit à des outils opérationnels, une autre devant être développée.

Annexe cartographique