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En réalité dans la pratique de l'établissement des scénarios les temps des processus, leurs vitesse, durée et délais, ne sont pas réellement considérés. Ce constat n'est pas particulier à la méthode soumise à examen ici, et qui a le grand mérite d'exister. Il est général. Nul ne peut affirmer que les images prospectives dessinées sont celles de la France de 2015 ou 2010 ou 2020, pas plus que celles de la Lorraine le sont de 2003 ou celles de Midi-Pyrénées

Xapport Final "La Méthodologie de [a Prospective 1(jgionafe" " 16 quatre types d'hypothèses26.

Type 1. Prévision à contenu déterministe, et quasi mécaniste. C'est le domaine de la certitude. Il s'agit de processus dont les lois de transformations sont connues et quantifiables. Ces lois de la nature sont utilisées et concrétisées par la technologie. Elles sont plus rares dans les sciences de la société. Cependant on peut considérer que des phénomènes démographiques entrent dans ce type: la pyramide des âges pour les 20 prochaines années en France, le pourcentage de personnes de plus de 65 ans, l'annonce de 8 milliards d'habitants sur la planète en 2010, ont le caractère de prévisions.

Type 2. Prévision aléatoire, stochastique. Là aussi les lois de transformation sont connues ainsi que leurs équations conditionnelles. La connaissance des corrélations, des coefficients d'élasticité, permet de prédire les alternatives futures à n'importe quel point du temps avec leurs probabilités de réalisation. Les mots clés de ce type sont "if >then", "si >alors". La prévision des consommations, par exemple, entre dans cette catégorie. Il en est de même, mais c'est plus complexe, de la chaîne des corrélations entre le niveau de vie, celui de l'instruction, la nuptialité, et l'évolution du taux de travail féminin. La plus grande partie du travail des prévisionnistes est de ce type.

Type 3. Certitude qualitative et incertitude quantitative. L'orientation des processus est connue mais ne peut être assortie d'un jeu de probabilités de leur réalisation. Dans le domaine technologique, le développement industriel des artefacts de la supraconductivité entre dans ce groupe. Dans l'aire sociale il en est ainsi de la propagation du Sida, mais aussi des effets d'entraînement de la métropolisation, de ceux d'une autoroute et du TGV...

type 4. Incertitude qualitative et quantitative. Il est impossible de connaître les alternatives des futurs. Cette incertitude peut venir de l'absence de connaissances et d'informations, mais surtout de la nature même de phénomènes de mutations, de rupture, d'écroulement de structures mal identifiées.

L'exemple de la Russie est fascinant à cet égard. L'effondrement du communisme et l'effondrement de l'URSS qui ont échappé à la réflexion prospective, conduisent à une situation chaotique, où coexistent des éléments de stabilité de la structure ancienne, la disparition de relations fortes et cohésives, l'apparition de nouveaux éléments et processus. Le hasard a eu pour nom Gorbatchev et Eltsine, il s'appelle maintenant aussi Jirinovsky en Russie, Berlusconi en Italie. Dans le mixte de stabilité et d'instabilité qui caractérise le chaos, les personnalités qui sont elles mêmes portées par les événements, peuvent faire basculer l'histoire. La situation de l'Algérie est aussi un autre exemple d'incertitude de ce type.

Ces types peuvent s'associer dans les situations, comme c'est le cas en Russie où des processus de type 2 et 3 existent avec des incertitudes de types 4 qui les englobent. La dynamique des processus peut aussi se modifier et passer d'un type à l'autre.

L'expression clé de ce type est "What if?", "qu'est-ce qui se passerait-si?". Car le fait qu'on soit dans l'incertitude la plus profonde, doit inciter, non pas à l'impuissance et à la résignation, mais à se poser des questions. C'est là en vérité la ligne de partage entre prévision et prospective. La prospective concerne les 4 types de dynamiques. Mais pour les 26Cette typologie est inspirée des travaux de Yehezkel Dror dans son article "Statecraft as fuzay gambling with history", FRQ, fall 1993, volume 9, N°3 (réf.28) qui ont été interprétés et la terminologie reformulée tout en essayant de respecter la pensée originale.

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prospectives sociétales, la majorité des anticipations sont des types 3 et surtout 4. Il en

découle des conséquences qui passent le plus souvent inaperçues. Ainsi quand on questionne des experts sur des éventualités futures et qu'on leur demande d'estimer leurs probabilités de

réalisation, d'abord les experts ne diront pas qu'ils ne savent pas, ensuite ils auront

tendance à affecter d'une faible probabilité les fortes incertitudes. Par ailleurs les

économètres construiront des modèles sur la base des variables qu'ils savent quantifier, excluant les autres, qu'on rejettera dans le fourre-tout du facteur résiduel. Mais cela conduira quand même à des prévisions...

La reconnaissance de l'incertitude est essentielle pour la pratique prospective. En

multipliant les interrogations dans la zone de l'incertitude, elle fait surgir d'autres futurs et a des implications dans l'art de conduire les affaires de l'Etat (statecraft). "Un jeu limité de scénarios est dangereux pour cet art, en masquant la nature véritable du choix critique, qui est, dans une large part, un jeu flou avec l'histoire (fuzzy gambling with history)27.

L'analyse critique de la rare méthodologie qui a le mérite d'être explicite soulève des

questions de fond qui sont en "amont" de celle-ci: au niveau de l'ensemble conceptuel qui

la sous-tend. Le problème conceptuel subordonne le problème méthodologique.

Il s'agit de reconstruire un système intellectuel de la prospective retrouvant le champ de

vision de ses fondateurs, une pensée plus complexe, non pour céder à un effet de mode de

la "complexité", mais parce que "la complexité est à la base"27. Ce qui soulève d'emblée

un défi qui sera examiné plus loin: comment concilier une pensée plus complexe avec des outils

méthodologiques simples à utiliser?

Une analyse de contenu des principaux ouvrages généraux de prospective, français et

étrangers, montre que les concepts scientifiques, catégories philosophiques, notions

idéologiques appliqués, sont de l'ordre de 20 à 40. Un sondage réalisé au cours d'un

Séminaire de formation de l'OIPR (Observatoire International de la Prospective Régionale)

révélait que les participants n'avaient à leur disposition que de 3 à 30 concepts. Un exercice

réalisé par un groupe de travail du "Plan Bleu" pour la méditerranée estimait à 70 le nombre

minimum des items constituant le "système intellectuel de la prospective". Parmi les

adjonctions au champ de la prospective courante citons outre les vitesses, durées et délais

des processus, les processus intentionnels et inintentionnels, leurs

convergences/divergences/bifurcations, les contradictions des systèmes, et donc la

dimensions dialectique des analyses, le sens des relations, les influences négatives-

positives-neutres, les relations de causalité, les niveaux d'intégration spatiaux et ceux des

variables considérées, la structure/organisation au sein du système, la cohésion et les

cohérences des systèmes territoriaux, leur autonomie relative, les échelles de description,

l'information prospective et sa typologie, le passage des processus aux projets, la créativité

en prospective...

Un beau chantier à opérationnaliser.

flùapport Final "La 9vfétfwcfofogie de fa Prospective Régionale» Il 18

Au terme de cette analyse il n'est pas aisé de répondre d'une façon abrupte à la question: "Y a-t-il un

progrès méthodologique depuis 20 ans?". Bien qu'une méthode des scénarios ait été forgée par

l'équipe de la Datar au début des années 1970, on peut considérer que la méthodologie mise au point, dans des travaux successifs, par Michel Godet, constitue un progrès méthodologique, en fait il n'y avait pas de référence véritable jusqu'alors. Mais cette méthodologie est en correspondance avec un cadre conceptuel qui demande de sérieuses retouches. En fait pratiquement personne ne fait plus en France des recherches dans ce domaine. Hugues de Jouvenel dépeint cette situation avec une pointe d'humour noir: "le "corps" des prospectivistes s'est à la fois considérablement développé et dissout:

les chercheurs et les décideurs ont progressivement intégré la dimension prospective dans leurs

discours. les "travailleurs du futur" se sont multipliés et diversifiés, là grand alliance d'antan ayant pour une large part éclaté du fait de la spécialisation progressive de chacun et de sa stratégie personnelle en terme de carrière et de pouvoir. Entre la position de "fonctionnaire -rentier" de plus en plus replié dans sa niche et privilégiant la "recherche fondamentale" sur l'action publique et la position du "consultant" courant le cachet, la marge est étroite pour les prospectivistes partisans d'une réflexion engagée sur le devenir collectif"28. Quant à Michel Godet il pense que "les recherches entreprises par M. Karsky et P. Gonod sur la dynamique des systèmes méritent d'être poursuivies car l'on peut espérer qu'il sera possible, du moins pour des sous-systèmes reistreints, de

mieux appréhender la dynamique explosive ou auto-régulée"29. Les articles consacrés à la

méthodologie prospective sont rares dans la Revue Futuribles, qui joue un rôle majeur et

irremplaçable en France30. La partie méthodologique est plus large dans la revue anglaise

Futures3l. Mais il n'y a pas en Europe l'équivalent de la publication de la World Future Society des USA, les "Futures Research Quarterly" qui publient des essais théoriques et méthodologiques. Sans,,,,-" doute ces essais sont d'importance et de qualité inégales, mais ils témoignent d'une préoccupation épistémologique, de l'insertion et de l'articulation des sciences humaines, concernant le statut des "futures studies" 32. La recherche en prospective est donc présente, au moins aux USA, mais elle est isolée et réduite à quelques individus. Aucune institution majeure n'y paraît engagée et les Futuristes américains qui suivent les tendances du marché sont de moins en moins tournés vers un renforcement de la rationalité des analyses et de plus en plus vers l'aspect ludique "visionnaire", des études du futur, la distraction, "l'entertainment".

C'est pourquoi, loin de rejeter la rationalité inhérente à la tentative française de fabriquer des outils de la prospective, il faut, au contraire, développer celle-là et ceux-ci et soutenir les efforts

28Hugues de Jouvenel "Prospective et politique", Futuribles, n0122, juin 1988. " 29Michel Godet "De l'anticipation à l'action" doc. cité réf.8.

30Futuribles "Prospective, prévision, planification stratégique, théories, méthodes et application", N° 71 et 72, novembre et décembre 1983. Hugues de Jouvenel "La prospective: concepts et démarche" N°179, septembre 1993.

31 voir en particulier le numéro spécial "The Knowledge base of futures studies, guest editor: Richard A. SlaughJer", volume 25, n° 3, april 1993. L'article central étant celui de A. Slaughter "Futures concepts".

3211 est exclu de faire ici l'analyse de ces publications, on se bornera à signaler quelques articles de grand intérêt: James Ogilvy "Futures studies and the human sciences: the case for normative scenarios" FRQ, summer 1992, volume 8, N°2; Yehezkel Dror "Statecraft as fuzzy gambling with history", FRQ, fall 1993, volume 9, N°3.

1@pport Final "La Méthodologie de Ca Prospective 9?jgionafe" » 19 de rigueur intellectuelle. C'est dans cette ligne que s'inscrit le présent rapport.

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