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LA HIERARCHISATION DES VARIABLES DANS LES ETUDES DE PROSPECTIVE TERRITORIALE

II LA PROSPECTIVE COGNITIVE ET SYSTEMIQUE, BASE DE LA CONNAISSANCE DES TERRITOIRES

5. LA HIERARCHISATION DES VARIABLES DANS LES ETUDES DE PROSPECTIVE TERRITORIALE

Les deux questions du choix des variables significatives, et ensuite de leur mise en relation selon une grille de lecture qui permet alors de hiérarchiser les variables, de les organiser, sont essentielles, car elles commandent l'ensemble du diagnostic et au-delà, la figuration des choix stratégiques. Autrement dit, le choix des variables et la hiérarchisation analytique des facteurs n'est pas neutre par rapport au résultat, et la préparation de décision .. d'orientation des politiques régionales.

Par exemple, selon que l'on privilégie les variables sociétales ou les variables économiques, le diagnostic sera différent; ce qui sous-entend qu'il n'y a pas de diagnostic «en soi», mais que toute analyse dépend étroitement des orientations préalables exprimées (ou non exprimées) par les concepteurs des études. Il y a à notre sens plusieurs types d'orientations analytiques.

1. Première orientation: l'accent est mis soit sur les variables internes à l'objet considéré, soit sur les variables externes.

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2. Deuxième orientation: l'accent est mis soit sur les variables d'entraînement, soit sur les variables dépendantes (ou les variables relais).

3. Troisième orientation: l'accent est mis soit sur les tendances récurrentes ou les tendances lourdes, soit sur les tendances émergentes, avec deux sous-catégories: les tendances émergentes certaines et reconnues, soit les tendances émergentes incertaines et instables.

4. Quatrième orientation: l'accent est mis soit sur les variables vis-à-vis desquelles les acteurs ont peu de capacités d'action ou d'influence - parce que liées à un habitus social et à tout un ensemble de facteurs d'inertie, par exemple les logiques d'«appareil» de la société civile -, soit l'accent est mis sur les variables vis-à-vis desquelles les acteurs, notamment publics, ont une capacité de levier réelle ou virtuelle.

Dans les études auxquelles nous avons participé, nous avons souvent perçu la tendance à sur-représenter les variables internes par rapport aux variables externes. Les variables externes sont souvent affectées du principe «toutes choses égales par ailleurs»: on étudie un territoire comme si le contexte économique, institutionnel... national ou international est une donnée sur laquelle non seulement on ne peut rien (ce qui est le cas en général), mais que l'on n'ose pas trop aborder, peut-être par manque d'information, ou plutôt parce que l'on ne sait pas bien comment les paramètres externes ou d'environnement agissent sur les paramètres internes.

Dans certains cas, on connaît très bien cet effet d'influence sur un terrain sectoriel, par exemple l'aéronautique en Midi-Pyrénées ou la sidérurgie en Lorraine. On le sait parce qu'il existe une «culture sectorielle locale» via les syndicats, les cadres qui travaillent dans la région... Par contre, on évalue souvent beaucoup plus mal l'effet des variables externes pour des paramètres complexes comme l'évolution de la conjoncture économique mondiale et son impact sur la région, ou l'évolution des institutions. Ainsi, à propos du grand débat sur l'Aménagement du Territoire: est-ce que les institutions régionales ne risquent-elles pas d'être remises en cause, et à travers elles, ne risque-t-on pas d'assister à une diminution de la capacité cohésive politique interne aux Régions, au profit de la capacité cohésive politique externe, globale, à traves le renforcement du rôle de l'Etat?

Mais dans la plupart des études de prospective régionale, rares sont les hypothèses sur cette question. Les scénarios de prospective de «Lorraine 2003» qui ont été construits sur un système d'hypothèses binaire entre l'évolution du contexte économique (persistance de la crise ou retour à la croissance) et l'évolution du contexte institutionnel (retrait de l'État ou réactivation du rôle de l'État) ne sont pas très fréquents. Pourquoi? La crainte de déplaire peut-être, la peur de sortir du cadre conceptuel «moyen», susceptible d'être entendu par le personnel administratif et électif moyen... Le manque d'ambition, la peur du risque est l'une des principales raisons de la difficulté des études prospectives régionales à atteindre un véritable niveau stratégique.

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La question centrale est sans doute de savoir si l'on privilégie le poids du passé sur le présent, ou si l'on privilégie le poids des mutations du contexte mondial sur l'objet étudié. Dans un cas, la tendance sera de développer un discours sur l'identité, la permanence, les réseaux de la société locale, alors que dans l'autre cas, la tendance sera de privilégier les dynamiques du changement et de la capacité d'adaptation de la société face aux chaos des contraintes diverses qui soumettent les systèmes locaux à de fortes pressions.

Surestimer la première approche est rassurante sur le court terme, car elle donne l'impression d'une certaine permanence, l'idée que l'on peut construire de nouvelles situations avec les compétences, les savoir-faire... les vocations, hérités du passé. C'est toute la question des «socles» sur lesquels on bâtit une société. Ne pas solliciter cette capacité, ce potentiel acquis, peut donner l'impression que l'on néglige les valeurs héritées, même si, avec le risque que la société locale ne se reconnaisse pas dans le tableau présenté, tant il est vrai que les «mentalités» évoluent lentement, plus lentement que la réalité; et donc rejette les projets qui pourraient résulter d'une présentation fortement tournée vers «l'avenir» ou les contraintes diverses. Inversement, s'appuyer fortement sur le socle produit par l'histoire risque de rendre difficile la recherche des conditions d'adaptation aux contraintes, tout en ayant l'avantage - à court terme tout au moins - de flatter l'ego local, de le rassurer en quelque sorte.

Trouver le bon équilibre entre la sur-représentation du poids du passé et la sur-représentation du poids du futur et des contraintes actuelles est un exercice difficile, qui implique non seulement une assez grande compétence «technique», mais un certain savoir-faire qui va au-delà de la description d'une situation et à la limite une certaine dose de «feeling».

Mais il faut reconnaître que très souvent la tendance à sur-représenter le local - parce que c'est ce que les acteurs connaissent le mieux - résulte d'une médiocre capacité d'articulation des indicateurs locaux avec, par exemple, les indicateurs nationaux. Retard dans le passage d'information du national au local qui fait que le niveau local a du mal à se situer dans un contexte en mutation rapide. Du coup, parce que l'on saisit mal ce mode d'articulation, on a tendance à marginaliser les effets d'impacts positifs, en bien comme en mal.

Par exemple, dans l'ordre économique, l'image que beaucoup d'acteurs ont vis-à-vis de l'Asie du Sud-Est, reste une image de type tiers-mondiste, sous-développée, sur le mode de la seule aptitude à fabriquer des produits de masse de médiocre qualité. Image de plus en plus erronée, mais qui a pour effet de tendre à marginaliser ce type de menace, jusqu'au jour où, soit des produits performants arrivent sur le marché, mais à coût inférieur, avec des effets puissants de déstructuration du tissu économique établi, soit sous forme d'investissements ou de rachat d'unités de production par des entreprises coréennes, en les intégrant à une stratégie mondiale de redéploiement.

1(apport 1"inaC "La hfétÏwcfo?ogie de Ca Prospective P\é gionale n 121 Dans l'ordre constitutionnel, l'actuel débat sur l'Aménagement du Territoire, qui va dans le sens d'un «retour à l'État», peut avoir pour effet d'occulter l'autre pouvoir institutionnel, celui de la Communauté, qui agit comme un acide dans les rouages administratifs intermédiaires, en créant des liens directs entre les acteurs locaux et «Bruxelles» de plus en plus important, dont les acteurs en région perçoivent bien tout le profit qu'ils peuvent en tirer, au détriment, précisément, de l'État... ce qui explique en partie la résurgence d'un État/Nation qui cherche à se relégitimer par une présence forte et accrue à tous les niveaux de la pyramide décisionnelle, face à des acteurs publics régionaux qui n'ont guère de moyens d'action stratégique en propre. De ces deux légitimités en présence, laquelle va s'imposer à terme? Vaste débat qui sort du cadre de cette étude...

6. LE POIDS DES VARIABLES EXTERNES SUR LES ECONOMIES