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LE DIRE D'EXPERT ENCADRE PAR LES METHODES D'ELABO RATION DE CONSENSUS

III LA PROSPECTIVE EXPLORATOIRE ET NORMA TIVE : DE L'APPROCHE PARTICIPATIVE AU DIRE

3. LE DIRE D'EXPERT ENCADRE PAR LES METHODES D'ELABO RATION DE CONSENSUS

1. Le mode opératoire requis pour la réalisation des matrices d'analyses structurelles

La prospective fait couramment appel à des experts, à des opinions d'expert, soit individuellement, soit à travers des méthodes destinées à éliminer les points de vue extrêmes, et aboutir à une sorte de discours consensuel d'expert.

Ces méthodes ont tout en commun le souci d'effacer les effets de subjectivité, afin de faire émerger un point de vue à la.fois rationnel et partagé par un groupe d'experts. La plus réputée parmi toutes ces méthodes est celle que l'on utilise pour construire les Matrices d'Analyse Structurelles. Nous ne développons pas ce point, déjà examiné en détail dans le chapitre précédent.

On insistera seulement sur le fait qu'il s'agit d'un outil séduisant parce qu'il permet de rationaliser les systèmes de représentation d'un groupe de personnes, c'est-à-dire de donner une image collective débarrassée des «scories» de la subjectivité de chaque individu. Séduisant également, car il possède une indéniable vertu pédagogique et de débat. Quand, en effet, vingt personnes débattent sur la question du choix des variables causales pertinentes (par rapport à l'objet du débat), il est certain qu'une dynamique collective de réflexion peut se mettre en place. De même, dans le remplissage de la matrice, réfléchir sur les degrés d'influence d'une variable sur une autre, présente une indéniable vertu de catalyse de la réflexion collective.

`l'outefois, on insistera sur la nécessité d'être très prudent, et de ne pas trop donner d'importance à ce type de méthode. D'abord parce que, selon l'expression--anglo-saxonne colorée - «garbedge in, garbedge out» - la qualité du résultat dépend largement de la qualité des variables stratégiques supposées avoir une influence sur l'objet choisi par le groupe de référence.

Or, même en supposant que le groupe de référence soit composé de gens bien au fait du problème - ce qui n'est pas toujours évident - la première question de fond est de savoir .. comment sélectionner le groupe de référence: doit-il être composé de sous-groupes

homogènes ou non, d'acteurs et de spécialistes, et selon quelle proportion?

Ensuite, dans le travail de sélection des variables, l'hétérogénéité des variables susceptibles d'influer un objet, n'est pas un problème facile à maîtriser. De même, il peut y avoir des variables en apparence très influentes, d'autres moins. Mais entre les apparences et la réalité, il y a bien des différences que le travail de groupe n'est pas forcément propice à démystifier.

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n'agissent pas selon les mêmes processus, n'interagissent pas de la même manière avec l'objet. Il paraîtrait déraisonnable d'imposer un concours de vitesse en athlétisme à des coureurs qui n'appartiennent pas au même genre, par exemple entre des coureurs dont le poids varie du simple au triple, ou dont l'écart d'âge va du simple au quadruple. C'est pourtant bien ce que l'on fait dans les choix des variables, qui se retrouvent sur une même liste, selon des critères plus ou moins fantaisistes, et alors que par leur nature ou leur structure, elles ne sont guère compatibles les unes avec les autres.

Ensuite, dans les combinatoires de variable à variable, l'estimation du degré d'influence d'une variable par rapport à une autre, traduite par une notation allant de 0 à 3, ou de 0 à 5, voire de 0 à 10 selon les cas, n'a le plus souvent rien de bien rationnel, et tient davantage au jeu dans le genre «Je te donne du trois. Non, c'est du huit... Bon, faisons un compromis à

six.», qu'à une appréciation scientifique digne de ce nom.

Ainsi, si l'on demande de mesurer l'influence des procédures d'aide au développement européen sur une économie locale par une note allant de 0 à 5 ou 10, tout d'abord, selon les domaines et les procédures, elle peut être faible ou forte, ce qu'une indication globale ne mesure pas correctement. Ensuite, c'est la façon dont elle influe sur l'économie locale, qui compte davantage qu'un impact en soi, ce qu'une mesure sommaire ne saurait exprimer. De plus, l'effet d'entraînement est la plupart du temps lié à d'autres facteurs. Par exemple, à équivalence de domaine, la qualité de la structure administrative, chargée de la préparation des dossiers et la qualité des acteurs désignés pour leur mise en oeuvre, compte autant sinon plus que la procédure en elle-même. Or, dans une matrice d'analyse structurelle, il convient d'éliminer les variables qui agissent par l'intermédiaire d'autres variables tierces, pour donner un minimum de lisibilité aux effets d'influence. Ainsi, on élimine l'essentiel. Ensuite - et cela a déjà été signalé - les matrices d'analyse structurelles, par définition, saisissent à un moment donné des facteurs d'influence croisés, c'est-à-dire qu'elles éliminent le coeur de la démarche prospective, qui est d'intégrer la temporalité et l'histoire. Autre point: la tendance, le tropisme des groupes de travail à sur-représenter les variables internes par rapport aux variables externes, parce que l'on saisit toujours mieux ce que l'on vit au jour le jour, et parce que les causalités externes sont plus difficiles à saisir, à mesurer. Ainsi, pour «redresser» le poids des facteurs externes il faudrait logiquement accroître le , nombre de spécialistes «extérieurs» dans les groupes de travail, ce qui donne la mesure

d'un certain bricolage...

Ces critiques de fond doivent être associées aux conditions matérielles ou psychologiques du remplissage des petites cases. Nous avons pu vérifier nous-mêmes que dans un groupe, l'influence d'une ou de deux personnes peut être largement prépondérante sur les autres de sorte que, contrairement aux apparences, il est possible de produire une matrice qui soit en fait celle de Monsieur Dupont ou de Madame Durand, alors qu'en apparence il s'agit d'un travail qui exprime un point de vue collectif. De même, selon qu'un groupe remplit les cases après un bon petit déjeuner ou avant un repas salutaire, la qualité des croisements et

1(apport Final "La Méthodologie de Ca Prospective Régionale' " 153 des notations de causalité peut varier de façon très significative. Il vaut mieux savoir à l'avance que remplir une matrice fait plus souvent penser à un parcourt du combattant qu'à une partie de plaisir. Notons à ce sujet qu'une matrice à 10 variables, peu pertinente, demande une bonne journée de travail. Une matrice à 50 variables demande plusieurs jours, et il est préférable d'avoir un bon cadre de détente à proximité.

De façon plus générale, la sophistication informatique, destinée à traiter les résultats manuels, est souvent une manière de masquer le caractère peu rigoureux du coeur de la démarche... Tout cela doit inciter à la plus grande prudence vis-à-vis de ce type de méthode.

2. La méthode Delphi ,

Une méthode fréquemment utilisée et qui consiste à réunir un panel d'experts sur un sujet, est celle de la méthode Delphi, décrite dans l'ouvrage de Michel Godet, De l'anticipation à l'action (page 155). On renvoie dans ce texte pour sa présentation fondée sur la mobilisation d'un groupe d'experts, à qui l'on pose toute une série de questions sur un sujet donné, en demandant aux experts de donner des notes sur la plus grande probabilité de réalisation de tel phénomène.

«La méthode Delphi procède par interrogation d'experts à l'aide de questionnaires successifs afin de mettre en évidence des convergences d'opinions et de dégager d'éventuels consensus. L'enquête se fait par voie postale et de façon anonyme afin d'éviter les effets de "leaders" Les questions portent, par exemple, sur les probabilités de réalisation d'hypothèses ou d'événements. La qualité des résultats dépend étroitement du soin avec lequel ont été établi le questionnaire et choisis les experts. JI)

Un premier questionnaire permet de repérer les médianes et la distribution des réponses; un second questionnaire a pour objectif d'obtenir une justification des réponses marginales ou situées hors de la zone médiane, ce qui a pour effet quasi-mécanique de faire «rentrer dans le rang» les réponses marginales, car comme l'indique justement Michel Godet, il est plus facile de justifier un point de vue que tout le monde partage qu'un point de vue isolé. Cette démarche est complétée par un troisième questionnaire, destiné à opposer les réponses extrêmes et à critiquer les réponses extrêmes.

« 7'elle qu'elle vient d'être décrite, la méthode Delphi, qui permet d'obtenir une convergence des opinions autour de valeurs centrales, nous paraît bien adaptée pour préparer le consensus nécessaire à certaines prises de décision (investissements technologiques à hauts risques économiques ou sociaux). Mais convergence ne signifte pas cohérence, un consensus ne donne pas nécessairement une bonne prévision (tout le monde peut se tromper en même temps). L'histoire des erreurs de prévisions enseigne plutôt qu'il faut se méfter des idées dominantes, le point de vue juste est souvent minoritaire. Bref, si le Delphi, dans sa version classique, paraît adapté aux applications normatives, il risque d'être plus trompeur qu'utile pour les applications prévisionnelles. »

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Nous ne pouvons qu'approuver cette analyse, et aller sans doute au-delà, car cette machine à fabriquer du consensus paraît dangereuse, ne serait-ce que parce que l'on sait bien qu'il existe, dans chaque milieu professionnel, des tendances, des consensus implicites, dont la rationalité n'est pas toujours évidente: une logique probabiliste inhérente à ce type de démarche, dans un contexte d'incertitude forte, ne peut qu'aboutir à des résultats contestables. Disons que les «Delphi» ne sont que des pis aller par rapport à d'autres méthodes.

4. PROSPECTIVE EXPLORATOIRE ET NORMATIVE, PARTICIPATIVE