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L'émergence de la figure du projet dans les politiques urbaines en France et en Italie

1. Le projet urbain, ou le retour du politique en urbanisme

1.5 Le projet urbain aujourd'hui en France

En France, les expériences du courant urbano-populaire ont fait l'objet de deux types de réappropriation. Le premier type concerne les modes d'appréhension de la ville existante et de ses traces. Il est surtout le fait des milieux de l'architecture et de l'urbanisme. Ici, ce qui est retenu du courant urbano-populaire, c'est la gestion du rapport entre la ville et le projet architectural, le retour à la composition urbaine, le dépassement de l'horizon réglementaire en 34 . On retrouve le même esprit dans le programme "Banlieues 89" que Roland Castro lancera dans les années 1980 : c'est chaque lieu qu'il faut valoriser en tant que lieu unique et possédant, de ce fait, sa propre magie.

35 . A partir de 1992, cinq types de programmes ont été adoptés : les Programmes Intégrés et les Programmes de Requalification Urbaine visant essentiellement la réhabilitation de quartiers d'habitat social ; les Programmi di

Recupero Urbano (PRU) destinés à des zones frappées par un processus de désindustrialisation ; les Contrats de

Quartier qui concernent eux aussi les quartiers d'habitat social mais comportent, au-delà des interventions physiques, des actions de requalification économique et social et mettent l'accent sur la participation ; les Programme de Requalification Urbaine et de Développement Durable du Territoire (PRUSST), enfin, qui étendent le champ d'action à des questions environnementales et concernent des zones plus vastes. A noter que ces programmes font l'objet de concours, au cours desquels les directions du Ministère des Travaux Publics sélectionnent les projets locaux sur la base du respect de critères de contenu et de méthodes. Pour une

urbanisme36. Le volet processuel et participatif des démarches de projet urbano-populaire a, lui, trouvé des prolongements du côté de la Politique de la Ville.

La première dimension, formelle, du projet urbain, a trouvé un prolongement dans le cadre des débats organisés par le Ministère de l'Equipement autour de l'atelier "Projet Urbain"37 animé par Ariella Masboungi et des architectes comme Christian Devillers, Antoine Grumbach ou Bernard Huet. On retrouve dans les travaux de l'atelier le souci d'un décloisonnement des savoirs, d'un urbanisme partant d'une analyse de l'existant et prolongeant les traces de la ville et de la qualité des espaces publics. Les réflexions de cet atelier ont permis de capitaliser un certain nombre de principes opérationnels que l'on retrouve dans la mise en œuvre des projets urbains de certaines villes françaises comme Rennes, Amiens, Nantes et, depuis peu, Marseille. On peut citer parmi ces principes la nécessité d'organiser "la soudure entre les différentes composantes de la ville, la lutte contre les coupures urbaines physiques et fonctionnelles"38, la volonté d'agir prioritairement sur l'espace public comme moyen de recoudre les tissus urbains, de développer un travail interdisciplinaire, de promouvoir les partenariats public-privé comme moyen de communiquer dans la durée les intentions de la maîtrise d'ouvrage publique aux opérateurs, la nécessité de mettre en place des structures de maîtrise d'œuvre sur la longue durée afin de gérer les rapports entre le projet général et les interventions concrètes sur le temps long, l'impératif de partage des partis d'urbanisme généraux pour donner une continuité à l'intervention39, la nécessité d'innover en matière de formulation et de représentation des projets afin de permettre ce partage, etc.

Ces principes ont été, en partie, consacrés par la loi Solidarité et Renouvellement Urbain du 13 décembre 2000. Cette loi remplace le dispositif SDAU-POS40 par le couple

présentation des politiques de régénération urbaine en Italie, cf. Laino, G., Padovani, L., "Le partenariat pour rénover l'action publique ? L'expérience italienne", Pôle Sud, n°12, mai 2000, pp.27-46.

36 . On retrouve cette focalisation sur l'aspect formel du projet dans les écrits d'architectes et notamment l'ouvrage de P. Panerai et O. Mangin, Projet Urbain, Marseille, Parenthèses, 1999, mais aussi dans les réflexions issues de l'Atelier Projet Urbain du Ministère de l'Equipement, cf. infra.

37 . Cet atelier, mis en place à l'initiative de Jean Frébault, directeur de l'Architecture et de l'Urbanisme au début des années 1990, reflète aussi une transformation de la posture de l'Etat. Celui-ci, après les transformations induites par les lois de décentralisation, manifeste sa volonté de ne pas être uniquement spectateur des innovations locales en matière d'aménagement et d'urbanisme, mais aussi partenaire des réflexions et promoteur d'un système d'échanges d'expérience. Sur ce point, cf. Ingallina, op. cit., p. 101 et s.

38 . Masboungi, A., "Projet urbain. De la planification au dessin urbain. De l'intention aux réalisations", ronéo, non daté, non paginé.

39 . "Le projet doit être porteur de rêve, d'ambition. Il doit être 'intense' pour pouvoir mobiliser, fédérer. Il se doit porteur d'idées simples pour être partagé dans la durée sans être totalement dénaturé. Il est une référence pour l'action. Pensé non comme une image finie mais un processus d'action sur le tissu urbain. L'homogénéité n'est plus dogme. Une nouvelle valeur de l'hétérogénéité se révèle et s'étend au-delà du tissu urbain et de l'approche esthétique aux fonctions, aux modes de vie, à la mixité, ...", in Masboungi, op. cit.

40 . Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme –document de planification stratégique et non opposable aux tiers à l'échelle des agglomérations- et Plan d'Occupation des Sols –document opposable au tiers, élaboré à

SCOT-PLU (Schéma de Cohérence Territoriale et Plan Local d'Urbanisme). Le précédent système était marqué par une conception rationnelle et synoptique de la planification. Les plans étaient surtout des outils de régulation du développement économique, ils se contentaient de prévoir l'ampleur et les orientations de ce développement, de fixer des normes encadrant l'initiative des acteurs privés et de programmer les investissements publics. Ce dispositif correspondait à un urbanisme d'extension, de fonctions et d'interdiction. Il avait vocation à réguler une urbanisation en tache d'huile par la fixation de normes juridiques d'usage du sol concernant des grandes zones souvent libres de construction. Avec le nouveau dispositif, on passe à un urbanisme de projet visant à promouvoir et encadrer l'intensification du développement urbain sur certains espaces stratégiques. La démarche est davantage qualitative que quantitative : il s'agit de définir autant une qualité des espaces publics, du bâti et du paysage urbain que de délimiter des zones fonctionnelles. Du coup, sa formalisation n'est plus uniquement juridique –sous la forme d'un plan-masse et d'un règlement- mais aussi sensible et évocatrice visuellement –sous la forme d'axonométries et de visions paysagères41. La loi SRU prévoit ainsi des modes de représentations diversifiées, accessibles, négociables car le projet urbain, contrairement au plan, n'est plus un produit fini, mais un processus continuel d'ajustements. On entend ainsi remédier au pêché de rigidité des POS qui, faute de pouvoir être adapté à l'évolution des conditions de leur mise en œuvre, était mis en révision dès leur adoption. Les PLU sont davantage le fruit d'un consensus provisoire et toujours amendable autour de partis généraux d'urbanisme qui peuvent ensuite être mis en œuvre de manière variable. Le PLU procure donc a priori beaucoup moins de sécurité juridique mais, en compensation, il constitue un cadre propice à la mise en œuvre d'un urbanisme conçu comme gestion de processus, un urbanisme qui ne se limite plus à la fixation des règles d'utilisation des sols mais qui comporte aussi –et surtout- des moments de débats, de négociation, de construction d'une vision partagée entre une pluralité d'acteurs et d'intérêts. Un urbanisme plus politique, serait-on tenté de dire. Il s'agit de reconnaître le caractère vivant et imprévisible de la ville sans renoncer à la volonté de la gouverner, mais ici gouverner l'évolution de la ville ne se résume pas à la détermination de l'usage des sols, mais aussi à la gestion du processus de construction et de mise en œuvre du projet.

l'échelle communale, fixant par zones l'affectation des sols et prescrivant des règles d'urbanisation et de construction-, dispositif hérité de la Loi d'Orientation Foncière de 1967.

41 . "Il s'agit de passer d'un travail en 'nappe', c'est-à-dire précis sur la totalité du périmètre concerné à des polarisations sur des points (ou morceaux de ville) situés dans un périmètre large, focalisant sur ce qui paraît souhaitable ou réaliste d'aménager en priorité et souple sur ce qui révèle d'un avenir plus lointains. Cela signifie

Le retour sur la genèse du projet urbain permet de tracer les premiers contours de l'idéal-type du projet. Sur le plan des méthodes de construction de la ville et des méthodes d'action, le projet urbain se caractérise par :

- l'affiliation à une idéologie anti-fonctionnaliste, l'appréhension du territoire comme un territoire de pratiques sociales davantage que comme le support neutre de fonctions,

- la critique des savoirs sectoriels et professionnels et de leur cloisonnement,

- la volonté de dépasser les modes rigides de codification des objectifs politiques en matière d'urbanisme, de ne pas soumettre le projet à la procédure, de ne pas le figer et le rendre abscons par la codification juridique42, associée à une critique sévère du droit

- la construction participative et délibérative des partis d'aménagement,

- la conception de la construction de la ville comme un processus long, inscrit dans le temps et ne se limitant pas au moment de l'élaboration du plan,

- le souci de la gestion,

Et sur le plan des contenus également :

- poursuivre les traces de la ville plutôt que les nier, réhabiliter plutôt que rénover, - pratiquer un urbanisme de substitution intensif plutôt qu'un urbanisme d'extension, - rompre avec le principe de l'autonomie en concentrant l'effort sur l'espace public43.

l'abandon d'une vision totale (correspondant à une conception de la ville finie encore très prégnante), et le renoncement à un plan de masse précis couvrant tout le territoire concerné", in Masboungi, op. cit.

42 . Les promoteurs du projet urbain se livrent souvent à une critique acerbe du droit de l'urbanisme. Pour Christian Devillers, architecte urbaniste et animateur de l'Atelier Projet Urbain, "le projet n'est pas une procédure mais une démarche" inspirée par une critique en règle de l'urbanisme réglementaire et du plan réglementaire d'affectation des sols et de leur incapacité à produire de la forme urbaine, in Le projet urbain, Paris, Editions du Pavillon de l'Arsenal, 1996, p. 12. Cette critique est celle de la Loi d'Orientation Foncière (LOF) de 1967 et de la procédure des SDAU et des POS qu'elle institue. La LOF, indique C. Devillers, "répondait à la croissance urbaine et à la modernisation de la France, mais elle n'était pas fondée sur une pensée spatiale. […] Ce qui fonde le droit de l'urbanisme, qui limite la propriété juridique, c'est ce qu'on appelle la garantie juridique. […] Elle impose qu'un règlement urbain se limite obligatoirement à ce qui peut s'écrire en droit. Or ce qui peut s'écrire en droit ne peut pas représenter l'espace réel. En effet, le texte représente mal l'espace et le droit s'accommode mal de la complexité et de la polysémie des lieux. Le juridique évacue donc le spatial" (Ibid., p. 20-21). L'auteur renouvelle plus loin sa charge contre l'urbanisme réglementaire : "Les règlements de POS ou de PAZ [Plan d'Aménagement de Zone, outil graphique réglementaire de la ZAC, ndlr] évacuent l'espace concret, limitent la règle à quelques notions juridiques et produisent du vide plutôt que du rapport. Si l'on avait fait Venise avec un POS, ce serait une banlieue pavillonnaire" (ibid., p. 44).

43 . L'exemple ici ayant été donné par Barcelone qui, sans grands moyens, a réussi la régénération de son centre-ville à partir d'un soin porté aux espaces publics, conçus non plus comme résidus où se juxtaposeraient les fonctions mais comme des espaces mixtes où elles cohabitent.

2. Le projet dans les politiques de requalification urbaine et de