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Le projet dans les politiques de requalification urbaine et de développement local en Italie

L'émergence de la figure du projet dans les politiques urbaines en France et en Italie

2. Le projet dans les politiques de requalification urbaine et de développement social

2.2 Le projet dans les politiques de requalification urbaine et de développement local en Italie

En Italie, il n'existe pas de dispositif national comparable à la Politique de la Ville française, ce qui s'explique sans doute par l'absence d'un problème socio-territorial généralisé comparable à la crise des grands ensembles d'habitat social français. Cependant, on peut repérer dans certaines politiques territoriales italiennes certains traits typiques de la démarche de projet telle qu'elle est pratiquée dans le cadre de la Politique de la Ville.

2.2.1 Démarche de projet et nouvelles pratiques trans-sectorielles

D'abord, la pratique de l'intersectorialité, de la négociation et de la contractualisation a fait son apparition dans les politiques urbaines italiennes ces dix dernières années. La fabrique des politiques publiques italiennes est historiquement marquée par une très forte sectorialisation débouchant sur des impasses décisionnelles bloquant, notamment, l'avancée des grands projets d'infrastructures. Dans la seconde moitié des années 1980, de nouveaux instruments tels que l'accord de programme ou la conférence de services sont institués afin de remédier à ces situations de blocage63. Il s'agit de formes de coopération inter-sectorielle institutionnalisées qui, sur des objets ponctuels ou des opérations complexes, permettent d'opérer une médiation rapide entre une pluralité d'intérêts publics afin d'accélérer les processus de décision et de mise en œuvre. Il s'agit d'articuler, sur un projet concret (Coupe du Monde de Football en 1990, Jubilé en 2000), les interventions des différents segments

le niveau de la maîtrise d'œuvre, de l'opérateur qui gère l'élaboration et la négociation des objectifs intermédiaires.

63 . Bobbio, L., "Produzione di politiche a mezzo di contratti nella pubblica amministrazione italiana", Stato e

Mercato, n°58, aprile 2000 ; Salone, C., "Logiche reticolari e politiche territoriali", Urbanistica Informazioni,

sectoriels, de fixer des échéances et de rappeler chacune des parties prenantes à ses engagements64.

L'application du Programme d'Initiative Communautaire Urban dans les villes italiennes va aussi avoir pour effet de développer la pratique de l'intersectorialité. Pour sa mise en œuvre, certaines communes vont constituer des structures ad hoc, dirigées par un chef de projet investi d'une délégation politique expresse et ayant la possibilité de mobiliser et de rappeler à l'ordre la pluralité des administrations sectorielles de la commune. Ces structures ont parfois été explicitement mises en place afin de s'attaquer aux bastions technico-sectoriels des administrations communales et pour insuffler une pratique de l'intersectorialité65. S'inspirant des prescriptions européennes en matière d'action intégrée, le Ministère des travaux publics met en place en 1998 une procédure de financement de projets intégrés impliquant l'intervention d'une pluralité de secteurs administratifs : les contrats de quartier. Là encore, il s'agit de garantir la faisabilité des interventions dans les quartiers dégradés par une construction négociée et incrémentale des objectifs de l'intervention impliquant les différentes administrations concernées ainsi que les habitants.

Ces innovations permettent de dépasser certains des blocages classiques de l'action administrative en Italie. On l'a vu, l'intervention publique sur les villes a été très souvent entravée par la résistance d'intérêts sociaux divers. Face à ces résistances, le réflexe de la puissance publique consistait le plus souvent à renforcer les ambitions du plan à et à encadrer plus strictement les transformations urbaines. Cette réaction débouchait, le plus souvent, sur une totale inanité des documents d'urbanisme et, dans bien des cas, à leur contournement dans le cadre d'arrangements occultes. Face à ces blocages, les dispositifs de projets intégrés tels que les Contrats de Quartiers misent davantage sur la construction de cadres procéduraux favorables à la construction de réseaux de négociation66 et de coopération, aux ajustements mutuels entre les parties et à la construction de consensus opératoires. Dans ces dispositifs de projet, l'objectif est d'assurer la faisabilité des interventions en faisant intervenir les intérêts et groupes en présence dans la définition des problèmes et dans l'élaboration des lignes d'action.

64 . Les décisions de ces instances intersectorielles permettent de déroger au système de renvois, d'accords préalables et d'approbations qui caractérise les processus administratifs italiens. Dans le domaine de l'urbanisme, le système des accords de programmes permet à plusieurs administrations publiques d'agir en dérogation des plans en vigueur.

65 . Cf. plus loin le Projet Spécial Périphéries de la Commune de Turin.

66 . Une des nouveautés portée par la vague de contractualisation qu'évoque Luigi Bobbio (in Produzione di politiche a mezzo di contratti nella pubblica amministrazione italiana", art. cit.) est le caractère explicitement négocié des décisions prises dans le cadre des politiques contractuelles. Ceci constitue une rupture avec les pratiques traditionnelles de l'action administrative italienne qui associait "autoritarisme des règles écrites" et

Les interactions entre différents types d'intérêts, d'acteurs et de groupes permettent la construction d'un projet partagé qui, mieux qu'un plan construit de manière bureaucratique et hiérarchiquement imposé, permet d'impulser des changements effectifs.

2.2.2 Pactes territoriaux et mobilisation des ressources locales

D'autres initiatives italiennes à base de projet ont en commun avec la Politique de la Ville française la volonté de valoriser les ressources propres, de réhabiliter ou de renforcer

l'identité locale des territoires en difficulté et de constituer ces territoires en acteur collectif.

Cette orientation est très nette dans le cas des pactes territoriaux. Promus par le CNEL (Conseil National de l'Economie et du Travail) et son président d'alors, Giuseppe De Rita, et le Ministère du Trésor et du Budget pour pallier l'absence de politique globale de développement du Sud consécutive à la dissolution de la Cassa per il Mezzogiorno67, ces pactes visent à créer une dynamique de développement dans les régions du Sud de l'Italie à partir de la mobilisation des ressources locales.

La réflexion sur les pactes territoriaux part d'une critique acerbe du système de la

Cassa et du modèle de développement qui a sous-tendu les politiques de développement des

régions méridionales de l'après-guerre : celui de l'industrialisation à marche forcée conduite par l'Etat et les entreprises du système des Partecipazioni Statali. Pour De Rita, ce modèle s'est traduit par la négation et la déstructuration des sociétés locales, de leur identité et de leurs modes propres de régulation et a généré des processus corrupteurs de prolifération bureaucratique, sans régler la question nationale italienne ni celle du sous-développement du

Mezzogiorno68. La nouvelle politique de développement du Sud doit, au contraire, reconnaître et valoriser la capacité d'auto-organisation des sociétés locales. Certaines d'entre elles ont en effet réussi, à l'abri de toute intervention publique, à se développer à partir de la mobilisation des ressources et des acteurs locaux, de modes originaux de concertation entre forces sociales et intérêts. Il s'agit, par les pactes territoriaux, de reconnaître "constitutionnellement" cette

"laxisme dans leur mise en œuvre", in Cassese, S., Lo Stato introvabile. Modernità e arretratezza delle istituzioni

italiane, Roma, Donzelli, 1998, p. 80.

67 . Créée dans l'après-guerre et jusqu'à sa dissolution suite à des scandales financiers, la Cassa per il

Mezzogiorno a mené une politique de développement économique du Sud de l'Italie basée sur une

industrialisation forcée et l'implantation notamment de grands complexes industrialo-portuaires, pétrochimiques, sidérurgiques. Elle constitua un élément essentiel du dispositif clientéliste mis en place par la Démocratie Chrétienne dans l'Italie méridionale. Pour une description éclairante des mécanismes de développement du Sud italien jusqu'à la fin des années 1980, cf. Trigilia, C., Sviluppo senza autonomia : effetti perversi delle politiche

nel Mezzogiorno, Bologna, Il Mulino, 1994.

68 . De Rita, G., Bonomi, A., Manifesto per lo sviluppo locale : dall'azione di comunità ai Patti territoriali, Torino, Bollati Boringhieri, 1998.

richesse et cette complexité sociale et diversité de modes d'accès au développement69. Mis en place à partir de 1995, les pactes territoriaux accordent un rôle central aux acteurs locaux, élus locaux, associations, syndicats, organisations patronales, PME, banques. Ils doivent s'associer dans une démarche d'interprétation des ressources locales, de l'identité économique, sociale et culturelle afin d'en tirer des stratégies de développement. Une inspiration forte des pactes consiste à concevoir l'identité locale comme vecteur essentiel de cohésion des systèmes d'acteurs et d'efficacité des politiques locales.

2.2.3 Projet et revalorisation du leadership politique local

Comme en France, la question du rôle du leadership politique local dans les démarches de projet s'est rapidement posée en Italie. Dans un premier temps, ce sont les dimensions de coordination inter-institutionnelle, d'élaboration consensuelle et interactive de diagnostics qui sont au cœur des préoccupations des promoteurs des démarches de projet. Mais bientôt, à la faveur des lois successives qui instituent l'élection directe des maires et des présidents des Conseils régionaux, le rôle des élus locaux dans les nouvelles politiques de régénération urbaine comme dans les pactes territoriaux a été réévalué.

La loi n°81/1993 stipule en effet que les maires sont élus au suffrage universel direct séparément des conseils municipaux70. Les maires ont pu ainsi établir un rapport direct avec les électeurs. Selon un paradoxe qui n'est qu'apparent, la personnalisation de la politique locale a renforcé les démarches de projet. La plus grande stabilité des exécutifs, la clarification des circuits d'imputation –associées aux décisions en matière de simplification bureaucratique- ont permis que ce développe un leadership politique des projets. Outre le fait qu'elle accroît leur contrôle sur les appareils administratifs locaux, l'élection directe fait des maires et présidents de région les animateurs des efforts collectifs de construction des problèmes et des diagnostics territoriaux, des agents médiateurs capables de construire les coalitions nécessaires à la mise en œuvre des politiques urbaines. Dans un contexte où l'effectivité de l'action ne dépend plus tant de la capacité à imposer des règles formelles mais davantage de la capacité à rendre l'action collective et les coopérations possibles et pérennes,

69 . "Dans la société exagérément atomisée, […] les sujets collectifs doivent savoir réanimer leur capacité de faire histoire, en s'ancrant au tissu de cohésion sociale dont ils sont l'expression et la représentation et qui reste aujourd'hui le plus grand facteur de compétitivité de notre pays"; "Et dans un tel processus de valorisation, la responsabilité centrale revient naturellement aux structures opérant parmi les forces entrepreneuriale et syndicales, dans l’associationnisme, dans les collectivités locales", in De Rita, Bonomi, op.cit., p. 32 et 33.

70 . Vandelli, L., Il governo locale, Bologna, Il Mulino, 2000. Cette disposition concerne également les présidents de province et a été étendue, pour les élections de 2000, aux présidents de région. Cf. Caciagli, M., Baccetti, C., "Dernière étape avant Rome ? Les élections régionales du 16 avril 2000", Pôle Sud, n°13, novembre 2000, pp. 121-136.

les chefs des exécutifs, dotés d'une nouvelle légitimité politique, deviennent des acteurs centraux. Les leaders politiques retrouvent donc une place essentielle dans les dispositifs de projet à travers leur capacité à structurer le cadre des interactions.

Quelles sont les caractéristiques des démarches de projet pratiquées dans les politiques de requalification urbaine et de développement social qui permettent d'affiner l'idéal-type du projet? Elles prolongent la volonté de forte contextualisation de l'action publique urbaine présente déjà dans le projet urbain. Le territoire est le lieu d'appréhension des problèmes et de construction des objectifs. La territorialisation permet de dépasser une approche sectorielle des politiques urbaines et de développer des routines de coopération transversale entre métiers, administrations, etc. Si l'impératif de mobilisation des ressources locales était déjà présent dans le projet urbain, à travers notamment la nécessité affichée de reprendre les traces et typologies existantes de la ville, il est systématisé dans les politiques de requalification urbaine et de développement social. Ici, les ressources locales ne sont plus simplement exprimées en termes de caractéristiques physiques de la ville, mais également en termes organisationnels, relationnels, cognitives voire politiques et identitaires. Le projet apparaît clairement comme une forme d'action qui vise autant à constituer un stock renouvelable de ressources de ce type qu'à construire des lignes d'action et les mettre en œuvre. Notamment, le

projet est une forme d'action dans laquelle les processus de construction d'un réseau d'acteurs et d'accumulation sont contemporains du processus de construction des objectifs.

Dès lors, le processus de projet se veut aussi un vecteur d'intégration politique. La démarche de projet, en organisant des dispositifs interactifs d'interprétation du territoire, de

construction collective des problèmes et d'élaboration/actualisation des objectifs, vise à

constituer le territoire en acteur politique, à produire des identités et à intégrer les acteurs à travers des processus d'action collective. Mais ceci n'exclut pas une activité proprement politique d'intégration de ces processus d'action collective. La conduite de projet nécessite aussi l'intervention d'une activité de direction politique, d'un leadership institutionnel qui cadre les interactions, les situe dans une vision stratégique d'ensemble et pérennise les coopérations en suscitant l'émergence d'un sentiment d'appartenance.