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RESULTATS ET DISCUSSIONS

CHAPITRE 8 Harmonisation de la géologie régionale du bassin genevois

8.1 Les défis majeurs d’une harmonisation

8.1.1 Projet Suisse : HARMOS

Le service géologique suisse (swisstopo) s’est confronté à la problématique de l’hétérogénéité de la donnée notamment avec les cartes géologiques produites au cours du siècle dernier par des géologues régionaux. Accompagnées d’un livret explicatif décrivant la stratigraphie, la tectonique et la morphologie, ces cartes ont été découpées en 220 feuilles et regroupées dans l'Atlas géologique de la Suisse64 (GA25, swisstopo). Réalisées à l’échelle 1: 25'000, elles constituent un socle de connaissances capital pour les géologues suisses mais ne suffisent plus à répondre aux nombreuses problématiques associées à la gestion du sous-sol tels que les risques naturels, l’utilisation et la protection des eaux souterraines, l’extraction des matières premières, la production d'énergie ou les projets d'infrastructures. Les géologues cherchent aujourd’hui à disposer de cartes et de modèles géologiques 3D dynamiques dans lesquels les données sont régulièrement mises à jour de manière automatique ou semi-automatique.

Pour assurer cet accès libre et ce type de consultation de la donnée, il a tout d’abord fallu numériser l’ensemble des cartes et les intégrer sur une plateforme en ligne, en l’occurrence celle de swisstopo65 qui était prédisposée à cet usage. A cette étape, les données restaient toutefois des connaissances figées et aucune mise à jour ne pouvait être assurée en temps réel pour suivre l’avancée des connaissances. Prenons pour exemple la région genevoise. Elle est composée de trois feuilles : la feuille n° 12 de Dardagny-Vernier-Chancy-Bernex datant de 1938 (Parejas, 1938), la feuille n°48 de Genève de 1965 (Lombard, 1965)et la feuille n°46 de Coppet de 1964, (Jayet, 1964). Ces cartes n’avaient jamais pu être mises à jour. La figure ci-dessous (Figure 77) représente l’effort réalisé pour recréer du lien entre les différentes sources d’informations et illustre ainsi parfaitement l’hétérogénéité des légendes et des données décrites dans chacune des feuilles. Pour répondre à l’attente des géologues actuels, Swisstopo a dû investir beaucoup

64 https://www.swisstopo.admin.ch/fr/connaissances-faits/geologie/donnees-de-base/cartes-geologiques.html

65 Plateforme en ligne de de partage des données géologiques suisses : https://map.geo.admin.ch/

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d’énergie et effectuer un lourd travail de cartographie pour numériser puis vectoriser ces cartes géologiques tout en harmonisant les légendes et les unités géologiques (swisstopo, 2017, 2013).

Ces investissements se sont faits à travers la création du projet GeoCover. Les jeux de données géologiques vectorielles réalisés deviennent directement utiles pour des analyses territoriales et environnementales sur lesquelles on peut, dès lors, se baser pour mettre en place les systèmes d’information régionaux. La première version de ce travail (GA25-V) est aujourd’hui une version originale non standardisée, dont seule la structure des données est homogène, les données en elles-mêmes n’étant pas harmonisées. La deuxième version (GA25-V2) - disponible pour l’ensemble des cartes géologiques du GA25 d’ici 2019- sera une version standardisée et entièrement harmonisée.

Figure 77: Cartes géologiques des régions genevoises diffusées sur la plateforme de partage de swisstopo (Source : https://map.geo.admin.ch)

Lancé en 2011 par swisstopo, le projet HARMOS, , vise ainsi à répondre à ce besoin d’harmonisation des différentes légendes cartographiques du GA25 et renforce le souhait du service géologique national de n’avoir plus qu’une seule légende standardisée pour les unités lithostratigraphiques, et ce, pour l’ensemble de la Suisse (Strasky et al. 2014; Strasky et al.

2016). Selon les lignes directrices pour la nomenclature stratigraphique de Remane et al. (2005), plus de quarante géologues experts dans le domaine de la stratigraphie ont réuni leurs connaissances pour atteindre cet objectif. Issus de l’Université, de compagnies privées ou d’organisations gouvernementales, ces experts se sont rencontrés plusieurs fois pour confronter

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leurs résultats. Ils ont finalement validé leur détermination avec le soutien du Comité Suisse de Stratigraphie (CSS). La Suisse a été divisée suivant les domaines géologiques alpins principaux représentés par des experts régionaux respectifs comme l’illustre le tableau ci-dessous (Table 5) : le Jura, le Bassin Molassique, l’Helvétique, les Préalpes, le Pennique, l’Austroalpin et Sudalpin et enfin la couverture définie par le Quaternaire (Figure 78). Ce travail d’harmonisation a dû être accompli en l’espace de trois ans. Certains compromis ont été nécessaires pour satisfaire aux attentes initiales. Si les premières élaborations du nouveau cadre lithostratigraphique ont conduit à clarifier de nombreux problèmes de corrélation, elles ont également soulevé une série de nouvelles questions et ont particulièrement souligné le manque de connaissances pour certains endroits cruciaux et intervalles de temps (Morard, 2014). Des interrogations auxquelles il n’a pas été possible d’apporter de solution dans le temps imparti.

Table 5 : Tableau des experts ayant participé à la mise en place d’HARMOS (Strasky et al. 2016b).

L’ensemble des résultats d’harmonisation obtenus dans ce projet sont déjà partagés en ligne sous forme d’un lexique lithostratigraphique de la Suisse (strati.ch66). Les unités lithostratigraphiques définies pour le projet sont décrites de façon très précise sur la plateforme de swisstopo. Suivant le niveau de détail d’information de chaque unité, il est possible d’y trouver : la représentation et le statut, la nomenclature (incluant les variantes historiques), la synonymie, la description (incluant les épaisseurs), les composants (lithologie, minéralogie, fossiles), la hiérarchie et la succession, l’âge, la géographie, la paléogéographie et la tectonique, les références ainsi que le matériel et divers autres éléments. L’ensemble de ces informations est déterminé avec la rigueur stratigraphique de mise. De nombreuses formations avec des emplacements des stratotypes ont ainsi été définies dans toute la Suisse et dans ses pays limitrophes (Graf and Burkhalter 2016; Jordan 2016; Jordan et al. 2016; Jost, Kempf, and Kälin 2016; Menkveld-Gfeller et al. 2016; Pictet, Delamette, and Matrion 2016; Pietsch, et al. 2016;

Strasser et al. 2016). Suite à ces différentes publications, les informations de chaque formation géologique seront complétées sur le lexique en ligne et directement liées aux ensembles de données des cartes géologiques du GA25. Les cartes et le lexique en ligne interagiront et pourront renseigner toute personne souhaitant obtenir une information sur la lithostratigraphie suisse, quel que soit son vocabulaire initial. En améliorant la qualité et les accès à ses données géologiques et, en particulier lithostratigraphiques, l’objectif de swisstopo est de fournir une base fondamentale pour la communauté suisse des géologues et d’offrir des outils plus performants pour partager ces connaissances.

66 https://www.strati.ch

141 Figure 78: Dépliant des unités lithostratigraphiques de la Suisse définis dans le cadre du projet d’harmonisation des

cartes géologiques GA25 (swisstopo, 2014)

Cette démarche d’harmonisation de la lithostratigraphie de la Suisse a également pu être appliquée, en adaptant l’échelle, à des projets annexes comme GeoMol-CH et GeoQuat. Portés par swisstopo, ceux-ci visent à intégrer des informations géologiques diversifiées dans des modèles géologiques 3D. Swisstopo a profité de l’élan créé par le projet européen GeoMol-EU67 (The GeoMol Team, 2015)- qui a fourni un modèle géologique 3D sur l’ensemble du bassin molassique alpin du nord (Autriche) au sud (France) - pour constituer un modèle géologique 3D plus détaillé du bassin molassique suisse: GeoMol-CH. Douze horizons sismiques (quatre dans la Molasse et huit pour le Mésozoïque) ont été pointés dans ce nouveau projet, puis prédéfinis et harmonisés à l'échelle nationale. Modélisé par l'Université de Genève, le bassin genevois est, en ce qui le concerne, décomposé en huit horizons sismiques, comme illustré dans la Figure 79 ci-dessous (Clerc 2016a). Les modèles régionaux ont été assemblés par swisstopo et sont disponibles sur leur plateforme de partage des modèles géologiques 3D68. Ces collaborations entre cantons ont permis de constituer un socle de données et d’interprétation homogène complet sur l’ensemble des lignes sismiques présentes dans l’Atlas sismique du bassin molassique suisse (Sommaruga et al. 2012). Elles ont largement contribué à la construction d'un savoir fondamental sur le sous-sol du plateau suisse. Les projets régionaux ont adopté l’approche de la modélisation étape par étape permettant ainsi de maintenir une nomenclature cohérente et des corrélations à chaque échelle considérée.

67 Projet GeoMol-EU : http://www.geomol.eu/

68 Visualiseur 3D de swisstopo : https://viewer.geomol.ch/webgui

142 Figure 79: Corrélations stratigraphiques entre les projets HARMOS et GeoMol (modifiée d’après swisstopo, 2016)

Le projet GeoQuat, lui, se concentre sur les unités meubles du Quaternaire de l'ensemble du territoire suisse et vise, en premier lieu, à construire un système d’information national pour gérer correctement les données superficielles peu profondes dans le pays. Cela permettrait de réaliser, en second lieu, des modèles géologiques 3D dans des unités quaternaires, intégrant des propriétés géotechniques et tenant compte des incertitudes déjà paramétrées (Gaehwiler 2017;

Volken et al. 2016). GeoQuat cherche à mettre en place une méthodologie exemplaire abordant tous les enjeux de la modélisation afin de faciliter son application dans tous les cantons. Ayant déjà archivé et catalogué, de manière détaillée, les données concernant les dépôts quaternaires dans la région à travers son système d'information cantonal (SITG), le canton de Genève a été désigné comme territoire privilégié pour porter un projet pilote. Actuellement en cours, ce dernier est conduit en étroite collaboration entre le canton de Genève et swisstopo.

HARMOS à Genève ?

Les résultats d’harmonisation obtenus à l’échelle nationale sont d’une importance fondamentale dans la mesure où ils explorent et mettent en lumière des pistes pour l’élaboration concrète d’un système de données harmonisé à grande échelle. Les nombreux échanges avec les porteurs du projet chez swisstopo (A. Morard et P. Baland) ont permis de bien comprendre les résultats des différents projets mis en place dans le cadre d’Harmos et également d’identifier les limites de la transposition des problématiques et solutions nationales à un cas régional comme celui de Genève. Le passage d’une échelle nationale à une échelle régionale fait émerger de nouvelles problématiques qu’il est important d’identifier attentivement pour y répondre efficacement.

Comme illustré ci-dessus, le bassin genevois est constitué des trois cartes géologiques différentes (GA25). Les unités représentées sur ces cartes sont principalement des dépôts glaciaires et périglaciaires du Quaternaire et des dépôts essentiellement détritiques originaires de l’orogénèse alpine à l’Oligocène : la Molasse. Cependant, les objectifs de la future base de données du canton de Genève consistent à intégrer les données de surface (cartes géologiques) et celles du sous-sol (forages, lignes sismiques,…) dans une seule et même base de données géologiques. Comme on a déjà pu le voir dans d’autres chapitres, le sous-sol du bassin genevois est un empilement d’unités géologiques allant du Permo-Carbonifère au Quaternaire dont

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certaines affleurent sur les hauts topographiques environnants (Jura, Vuache, Salève). C’est avec le domaine du Jura que les unités géologiques du bassin genevois ont donc été corrélées. La plupart des formations crétacées de ce domaine ont été caractérisées en France voisine, à proximité du bassin de Genève (Strasser et al. 2016). Ainsi, les corrélations entre la coupe lithostratigraphique de référence du bassin genevois aujourd’hui (Charollais et al. 2013) et la nomenclature HARMOS discutée ici, sont implicites pour cette période de temps (Figure 80).

Figure 80 : Colonne stratigraphique du Vuache (d'après Charollais et al., 2013) corrélé avec la stratigraphie HARMOS (Morard, 2014).

Néanmoins, en ce qui concerne les unités géologiques jurassiques et plus anciennes, les correspondances ne sont pas si évidentes car les stratotypes ont été référencés plus à l'Est et présentent des différences de faciès significatives par rapport à la zone étudiée. Notons qu’en dépit de l’absence d’une nomenclature régionale révisée et appropriée pour ces unités, des corrélations ont été proposées mais ne peuvent être employées qu’avec prudence. De plus, le canton de Genève utilise et réfère, depuis de nombreuses années, ses dépôts du Quaternaire selon la classification des sols genevois (GADZ, 1997). Or cette approche géotechnique, de laquelle sont issues toutes les données du bassin genevois, ne se corrèle pas - ou avec difficulté - à la lithostratigraphie harmonisée de swisstopo. Malheureusement, nonobstant le constat du décalage entre la classification des sols genevois utilisée à ce jour et la nomenclature vers

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laquelle tendrait la majorité des géologues aujourd’hui, il n’a malheureusement pas été possible de réaliser la mise à jour complète de ces données dans le cadre de mon projet de thèse. Cela s’explique essentiellement par le fait qu’il semblait prématuré de proposer au canton de Genève, d’adopter directement des résultats de projets nationaux au système de gestion de données régionales. En effet, l’ensemble des acteurs genevois du sous-sol peu profond a, pour l’instant, l’habitude de travailler avec les types et niveaux de références qui répondent à leurs besoins. La mise en place, sans transition ni concertation, d’une nouvelle nomenclature créerait de la confusion. Il a donc été choisi, dans un premier temps, de conserver la classification actuellement en place. L’étude de celle-ci doit être approfondie afin de dégager des pistes d’évolution vers une nomenclature qui serait, au moins partiellement, plus universelle. Ce travail est présenté et étudié au 3.2 de ce manuscrit (Etude sédimentologique et stratigraphique).

Le projet pilote GeoQuat en cours à Genève permettra cependant, d’ici 2018, de redéfinir en détail, l’ensemble des dépôts meubles du Quaternaire en accord avec la nomenclature de swisstopo. Il est d’ailleurs fort probable que GeoQuat apporte de nouveaux éléments d’ici la mise en place de la base de données du canton de Genève. Aussi est-il important d’anticiper leur intégration. C’est donc dans cette direction là que se sont donc construites les réflexions et recherches de ce travail de thèse.

Pour conclure sur la possibilité d’une application directe des résultats d’Harmos au contexte régional genevois, retenons que les solutions d’harmonisation proposées par swisstopo répondent aux besoins du projet GeoCover, mais ne permettent pas de satisfaire tous les besoins du canton de Genève. Adopter, aujourd’hui, une telle nomenclature en remplacement de celle qui existe, pourrait s’avérer contre-productif en créant de la confusion par rapport aux usages actuels. Cela reviendrait aussi, et surtout, à perdre un niveau d’informations considérables en risquant de dissocier totalement dans la base de données les futures informations d’exploration du territoire et la richesse des connaissances du passé. Il est donc indispensable de s’attacher à tisser un lien de communication étroit et fonctionnel entre ces différentes catégories de données et d’apporter une attention particulière à la phase de transition dans laquelle nous nous trouvons. Relativement récent, le projet HARMOS n’a pas encore pu être suffisamment confronté, de manière générale, aux problématiques régionales pour pouvoir être adopté intégralement et immédiatement. Cependant, il s’agit d’un niveau d’information très important à intégrer aux futures infrastructures du canton de Genève. Par ailleurs, rappelons que la Confédération demande aux cantons de centraliser certaines de leurs données géologiques dans les infrastructures nationales, ce qui implique d’assurer les correspondances nécessaires. Un attribut spécifique figure d’ailleurs dans la future base de données du Canton de Genève pour répondre à ce besoin. Des corrélations entre la nomenclature de Harmos (swisstopo) et celle adoptée pour la future base de données du canton de Genève (présentée ci-après -3.2) sont maintenant proposées pour accompagner les géologues dans la transition vers un système plus harmonisé. Certains experts du groupe Jura-Ouest (A. Strasser et J. Charollais) ont également appuyé ce choix qui permet au Canton de garder et de définir son propre niveau de détail, tout en assurant la connexion avec les données nationales (symbolique de la poupée russe). C’est dans cette même logique que sont donc développés les modèles géologiques 3D du canton de Genève (Clerc, in prep). Les niveaux d’importance régionale sont y détaillés, tout en garantissant les corrélations avec les modèles à l’échelle nationale.