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Comme nous l’avons vu précédemment, différentes données de la littérature indiquent que les cellules cancéreuses mammaires humaines sont relativement réfractaires à une apoptose immédiate, suite à une irradiation ou à l’administration de drogues induisant des dommages de l’ADN, aussi bien in vivo que in vitro (Gewirtz, 2000). En revanche, cela ne signifie pas que ces cellules sont radiorésistantes à long terme, en effet leur capacité d’auto- renouvèlement est quasiment perdue après traitement.

Lorsque l’on irradie des lignées de cellules cancéreuses mammaires à forte dose (10 Gray), la première réponse est essentiellement un arrêt prolongé de croissance (blocage en phase G2/M), suivi au bout de plusieurs jours d’une forte mortalité dans un contexte de catastrophe mitotique (Luce et al, 2009). Cette mortalité peut durer plusieurs semaines et s’accompagne d’une forte instabilité génétique. Il a été observé au laboratoire qu’à long terme après irradiation seul un très petit nombre de cellules est capable de proliférer normalement et de donner une descendance, ce qui se traduit selon les lignées étudiées par une efficacité de clonage se situant entre 10-6 et 10-4 après une irradiation de 10 Gy. Ces cellules radiorésistantes « survivantes » ont une importance capitale, car elles sont par définition à la base de la rechute thérapeutique, suite à une radiothérapie. De plus, des travaux réalisés au laboratoire ont montré que la descendance des cellules mammaires irradiées présente une instabilité génétique accrue, alors que les cellules prolifèrent normalement, cette instabilité persistant pendant plus 35 doublements de population. L’instabilité génétique se traduit par l’apparition de cassures chromosomiques spontanées, ainsi que par une proportion importante de cellules polyploïdes dans la population. Là encore, cette instabilité à long terme, que l’on peut définir comme un effet « non ciblé » des radiations ionisantes, indique que les cellules qui échappent à la catastrophe mitotique radio-induite transmettent une prédisposition accrue à acquérir des mutations génétiques. Cette instabilité est donc potentiellement associée à l’acquisition par les cellules instables de nouvelles propriétés en termes d’agressivité et de progression tumorale.

Mon travail de thèse s’inscrit dans la caractérisation des cellules radiorésistantes des cancers du sein, survivant à la catastrophe mitotique, et qui sont à l’origine d’une descendance présentant une instabilité chromosomique persistante. Une des pistes pour aborder la caractérisation de cette sous-population est l’utilisation de marqueurs utilisés dans la littérature pour identifier, au sein des tumeurs, une sous population de cellules de type souches. Les « Cellules Souches Cancéreuses » (CSC) sont définies comme une sous-

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population cellulaire présentant une capacité accrue à induire des tumeurs et à proliférer. Le caractère « souche » serait réversible, et modulé par des mécanismes de type épigénétique. Il est important de noter que ces CSC sont définies comme relativement radiorésistantes, et ont été placées au centre de la résistance thérapeutique et de la récurrence tumorale après traitement (Bao et al, 2006; Phillips et al, 2006). Toutefois, la théorie des CSC est actuellement remise en cause par l’observation d’une plasticité cellulaire plus importante que celle décrite initialement par ce modèle, ainsi que par la confusion résultant du grand nombre de marqueurs proposés, aucun de ces marqueurs n’étant validé pour un usage clinique.

Au cours de mon travail de thèse, j’ai donc étudié plusieurs marqueurs de CSC mammaires afin de caractériser les cellules survivantes à une irradiation à forte dose, pour ainsi clarifier le rôle des CSC dans la radiorésistance et dans l’établissement d’une instabilité génétique radio- induite. Les travaux entrepris au cours de la première partie de ma thèse ayant permis de mettre en lumière l’importance d’un marqueur en particulier, CD24, je me suis ensuite intéressée au rôle de la protéine CD24 en tant qu’acteur à la fois dans le maintien du phénotype « CSC mammaire » et dans la réponse à l’irradiation. Pour réaliser ce travail, j’ai utilisé un ensemble de lignées de cellules cancéreuses mammaires humaines présentées dans le tableau suivant (Neve et al, 2006).

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Ces lignées sont en partie représentatives de l’hétérogénéité des cancers du sein, elles proviennent de différents types tumoraux et présentent des niveaux de tumorigénicité variables chez la souris athymique. Il est intéressant de noter que le taux de cellules CD24-

low

/CD44+, un des principaux marquages utilisés pour caractériser les CSC mammaires, est corrélé avec la tumorigénicité chez la souris athymique et le classement des lignées en sous- types. Ainsi, les lignées de type basal-like et mésenchymateuses présentent la plus forte proportion de cellules CD24-/CD44+. Enfin, des travaux réalisés au laboratoire ont montré que ces différentes lignées présentent toutes un arrêt prolongé en phase G2/M suite à une irradiation à forte dose, une mort tardive débutant au bout de 2 à 4 jours après irradiation, et une forte instabilité génétique, la catastrophe mitotique se prolongeant pendant plusieurs semaines.

La première partie de mon travail a mis en évidence le rôle joué par les cellules CD24-/low dans la transmission de l’instabilité génétique radioinduite différée. De nombreux marqueurs de CSC différents ayant été proposés dans la littérature, nous avons montré que seul le marqueur CD24 permet d’identifier les cellules résistantes à l’irradiation. Ainsi, seules les cellules mammaires de type CD24- survivent et sont sélectionnées après une irradiation γ. Ces cellules pourraient donc être impliquées directement dans la transmission de l’instabilité génétique. Classiquement, on définit les CSC, de même que les cellules souches normales, comme relativement stables génétiquement, grâce à des mécanismes de défense et de réponse au stress plus efficaces (Bao et al, 2006; Diehn et al, 2009). Nous avons donc cherché à savoir si les cellules CD24- potentiellement impliquées dans la transmission de l’instabilité génétique à leur descendance, présentaient une instabilité de base ou radioinduite différente des autres cellules. Nous avons ainsi montré que les cellules CD24- survivantes à l’irradiation sont relativement stables, mais ont acquis la capacité de transmettre une instabilité génétique persistante à leur descendance. Cette instabilité génétique ne s’exprime que dans les cellules descendantes portant le phénotype CD24+, suggérant fortement l’implication de mécanismes épigénétiques. Ce travail a fait l’objet d’une publication (Bensimon et al, 2013).

Suite à ces observations,la seconde partie de mon travail a porté sur la mise en évidence du rôle joué par CD24 dans l’établissement du phénotype de CSC mammaires et dans la réponse à l’irradiation. En effet, si l’expression de CD24, en association avec CD44, est le marquage le plus utilisé et le mieux documenté pour caractériser les CSC mammaires, en revanche son rôle biologique dans les cancers reste pratiquement inconnu. Tout d’abord, les études

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cliniques ne montrent pas de corrélation claire entre l’expression de CD24 et les facteurs histopathologiques de la tumeur, le grade, les métastases, le traitement, la survie globale… De plus, les travaux ayant cherché à modifier l’expression de la protéine CD24 pour déterminer son rôle dans la progression tumorale mammaire humaine sont peu nombreux et contradictoires. Enfin, aucune étude n’a cherché à établir un rôle de CD24 comme acteur de la réponse cellulaire à l’irradiation. Dans ce contexte, nous avons modulé l’expression de CD24 dans 2 lignées mammaires humaines, par surexpression ou inhibition de son ARN messager. Dans un premier temps, nous avons montré que l’inhibition de l’expression de CD24 induisait à elle seule une partie des propriétés biologiques classiquement associées aux CSC: régulation de la prolifération cellulaire in vitro et in vivo, contrôle du taux de ROS intracellulaires et baisse de l’instabilité chromosomique. Ces phénotypes étant classiquement associés à la radiorésistance, nous avons par la suite mis en évidence une modification de la radiosensibilité des cellules transfectées, en termes de mort cellulaire radio-induite et de capacité à générer une descendance après irradiation. Enfin, cette modulation de la radiorésistance apparait liée à la baisse du niveau de ROS intracellulaires dans les cellules CD24- après irradiation. Ces résultats indiquent que CD24 n’est pas uniquement un marqueur de CSC mammaires, mais qu’il peut être défini comme un acteur de ce phénotype, en étant un modulateur important de la réponse à l’irradiation.

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Article I

Le marqueur de cellules souches cancéreuses CD24

-/low

définit une population