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2° CSCs des tumeurs solides, controverse et cas du cancer du sein

D’abord mises en évidence dans les tumeurs liquides, les CSC ont par la suite été recherchées dans les tumeurs solides, qui sont comme les leucémies constituées d’un mélange hétérogène de cellules ne possédant pas toutes les mêmes capacités clonogéniques. Des CSC ont été mises en évidence dans de nombreux tissus cancéreux solides : sein, glioblastome, poumon, prostate, côlon… Dans ces tissus, les propriétés supposées des CSC restent les mêmes : capacité de prolifération illimitée et d’auto-renouvèlement, de différenciation, tumorigénicité accrue par rapport au reste de la tumeur (Al-Hajj & Clarke, 2004). Les CSC des tumeurs solides ont la particularité de proliférer au sein d’une niche tumorale, et de pouvoir être influencées par leur microenvironnement (Casarsa et al, 2008; Vermeulen et al, 2012). Leur étude in vitro est donc rendue complexe par le fait que leur comportement peut être modifié par l’absence de niche tumorale. Le test de référence pour identifier les CSC des tumeurs solides reste la transplantation en série de cellules triées dans des souris immunodéprimées, ce qui permet de créer un microenvironnement qui reste malgré tout très artificiel. Ainsi, in vivo, les CSC forment des tumeurs hétérogènes et sont capables en théorie de s’auto-renouveler de manière illimitée. Un second test couramment utilisé, cette fois-ci in vitro, repose sur la capacité de ces cellules à pousser sans support d’adhésion, formant ainsi des « sphères » : mammosphères pour les cellules de sein, et neurosphères pour les cellules de glioblastome (Grotenhuis et al, 2012; Kai et al, 2009).

Limites du modèle des CSC

L’existence de CSC de tumeurs solides a tout d’abord été démontrée dans les cancers du sein, et de manière concomitante dans les tumeurs pédiatriques d’origine neuronale. Actuellement, on suspecte l’existence de CSC dans la plupart des tumeurs solides, la difficulté principale restant toutefois de caractériser ces CSC par des marqueurs appropriés (Visvader & Lindeman, 2008). Je reviendrai par la suite sur les efforts de caractérisation des CSC du sein, et sur la controverse subsistant à propos de ces marqueurs.

Le modèle hiérarchique de progression tumorale, intégrant l’hypothèse des CSC et en opposition au modèle stochastique cité précédemment, suppose que des CSC se divisent en donnant des CSC et des cellules progénitrices, qui elles-mêmes se différencient en cellules matures peu proliférantes formant la masse tumorale et possédant une durée de vie limitée. Certains auteurs remettent en cause ce modèle rigide de progression tumorale, mettant en avant le fait que les CSC des tumeurs solides caractérisées in vitro ont échoué jusqu’alors à

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prédire l’issue clinique des cancers. Une seconde observation qui permet de remettre en cause l’hypothèse des CSC est le fait que la proportion de CSC est très variable d’une tumeur à l’autre et peut être importante. Ainsi dans le mélanome il a été démontré qu’une cellule sur 4 possèderait des propriétés de CSC, or il est généralement admis que les cellules souches, a fortiori les cellules souches cancéreuses des tumeurs solides doivent former une sous population rare au sein de la tumeur (Vermeulen et al, 2012). De plus, la proportion des CSC dans les tumeurs dépend souvent du modèle expérimental utilisé (Grotenhuis et al, 2012). Enfin, une accumulation de travaux tend à démontrer que des cellules qualifiée de non-CSC pourraient en se divisant être converties en CSC, suggérant une plasticité plus importante que celle décrite par le modèle initial (Chaffer et al, 2011; Marjanovic et al, 2013). L’existence et la caractérisation des CSC est donc toujours sujet à controverse, et il est désormais admis que la théorie des CSC initiale doit être redéfinie et assouplie pour mieux corréler les données de laboratoire aux observations cliniques.

Enjeu dans la prise en charge des tumeurs solides

Dans la théorie, les CSC sont un outil idéal pour affiner le pronostique des tumeurs solides. Ainsi une tumeur présentant un pourcentage important de CSC serait à priori de mauvais pronostique. On se rend compte toutefois que plus de 10 ans après les débuts des travaux sur les CSC, cette théorie n’a toujours pas été intégrée aux études cliniques et reste sujet à controverse. D’après Patsialou et al., les tentatives d’établissement d’une signature pronostique des cancers du sein ne tiennent pas suffisamment compte de l’hétérogénéité cellulaire au sein des tumeurs (Patsialou et al, 2012). En isolant in vivo des cellules cancéreuses invasives, ces auteurs ont établi une « signature d’invasion humaine », et montré que cette signature est prédictive du risque d’apparition de métastases. Sans citer la théorie des CSC, ces auteurs empruntent toutefois une démarche qui pourrait faciliter l’intégration de la théorie des CSC aux études cliniques.

D’autre part, un des principaux enjeux de l’étude des CSC du sein est de comprendre l’origine des récurrences tumorales après traitement. Ainsi les CSC, bien que possédant le même patrimoine génétique que les cellules non souche, semblent caractérisées par une résistance accrue aux traitements de chimiothérapie et radiothérapie. La survie de cette fraction cellulaire occasionnerait alors une repousse de la tumeur, survenant après une première période de rémission due à la fonte initiale de la tumeur. Le ciblage des CSC en combinaison avec une thérapie globale serait alors une approche thérapeutique efficace (figure 18), bien que compliquée à mettre en œuvre, puisque comme vu précédemment les voies moléculaires

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spécifiques des CSC sont généralement aussi celles activées dans les cellules souches normales et les drogues inhibant ces voies peuvent donc présenter une forte toxicité. Une seconde possibilité est le ciblage des marqueurs des CSC, la difficulté principale de cette approche étant de déterminer précisément ces marqueurs. Enfin, un troisième axe thérapeutique peut consister à induire la différenciation des CSC en cellules non souches, ce qui permettrait leur éradication grâce aux traitements couramment utilisés (Grotenhuis et al, 2012; Yu et al, 2012).

Figure 18 : Intégration de la théorie des CSC dans le traitement des tumeurs solides Les traitements conventionnels, en permettant la survie des CSC, peuvent mener à des rechutes tumorales. L’intégration de la théorie des CSC dans la recherche de nouveaux traitements permettrait d’éliminer les facteurs nécessaires à la survie de cette sous- population. Les CSC sont représentées en rouge et les non CSC en blanc. (Adapté de Kai et al., 2009)

Vermeulen et al. suggèrent que les essais cliniques tels qu’ils sont menés actuellement ne permettent pas d’observer les effets d’une drogue sur les CSC (Vermeulen et al, 2012). En effet le critère RECIST (Response Evaluation Criteria In Solid Tumors) utilisé pour évaluer l’efficacité d’une drogue en essai clinique de phase II tient compte principalement de la fonte tumorale, or on peut imaginer que des drogues ciblant uniquement une petite sous-population de CSC n’auront pas une grande incidence sur la taille de la tumeur à court ou moyen terme, mais en revanche auront des effets bénéfiques à long terme en supprimant les cellules responsable de l’auto-renouvellement de cette tumeur. Les essais cliniques intégrant des drogues dirigées contre les CSC devront donc tenir compte du mode d’action de ces drogues,

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et de nouveaux critères d’efficacité devront être établis. Ces critères pourront ainsi être basés sur la présence de marqueurs cellulaires de CSC dans les biopsies, éventuellement de biomarqueurs sécrétés par les CSC, sur la capacité clonogénique des cellules tumorales ou encore sur le phénotype des cellules tumorales circulantes.