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Les CSC sont-elles à l’origine de certains échecs thérapeutiques après traitement par radiothérapie? La radiorésistance des CSC est appuyée par de nombreux arguments, que je détaillerai ici, en me concentrant plus particulièrement sur la résistance des cellules CD24- /CD44+. La radiorésistance d’une sous-population cellulaire dans la tumeur a des conséquences thérapeutiques importantes, mais cette notion n’est pas nouvelle. L’observation de récurrences après irradiation, en particulier dans les cancers du sein et les glioblastomes, a suggéré aux radiothérapeutes l’existence d’une fraction tumorale présentant une résistance accrue aux traitements. Cette sous-population a par la suite été conceptualisée avec la théorie des CSC (figure 24). L’indentification de ces CSC par des marqueurs, et des voies moléculaires à l’origine de leur radiorésistance ouvre des perspectives thérapeutiques nouvelles. La principale difficulté de ces thérapies ciblées est toutefois de trouver une fenêtre thérapeutique épargnant les cellules souches normales, qui partagent avec les CSC leurs voies moléculaires de radiorésistance (Baumann et al, 2008; Eyler & Rich, 2008).

Figure 24 : Intégration de la théorie des CSC à l’évaluation des traitements par radiothérapie

(A) D’après la théorie des cellules souches cancéreuses, la probabilité d’éliminer l’intégralité des cellules tumorales augmente avec la dose d’irradiation appliquée (B) Tumeur constituée de cellules AT17/7, irradiée in vivo à une dose unique de 32 Gy et excisée 17 jours plus tard : les CSC survivantes ont formé des colonies proliférantes au sein du tissu restant après irradiation (encadré). Le nombre de colonies diminue lorsque la dose d’irradiation appliquée augmente (Adapté de Baumann., 2008)

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Mise en évidence de la radiorésistance des CSC

La radiorésistance des CSC est décrite dès 2006 dans différents types cellulaires, avec la publication concomitante de trois articles essentiels. D’une part, l’étude de Bao et al. démontre la radiorésistance des CSC de gliome, identifiées par leur marquage positif pour la protéine CD133 (Bao et al, 2006). Ainsi, les cellules CD133+ sont enrichies après irradiation dans des cultures primaires de gliome humain, et dans des xénogreffes sous cutanées et intracrâniennes de gliome chez la souris. De plus, l’irradiation n’induit pas l’expression de CD133 dans des cellules CD133-, cet enrichissement est donc bien dû à une sélection de ces cellules. Après tri, les cellules CD133+ survivent mieux à l’irradiation que les cellules CD133- et conservent après une irradiation de 2 Gy leur capacité à former des tumeurs in vivo.

Les travaux de Woodward et al., publiés également en 2006, portent essentiellement sur la radiorésistance de cellules épithéliales progénitrices non cancéreuses de souris BALB/c (Woodward et al, 2007). Ces cellules, identifiées par leur phénotype combiné sca1+/SP, survivent mieux à des doses cliniques d’irradiation et présentent moins de foci γ-H2AX 2h après irradiation que les cellules sca1-. La population SP est de plus induite dans les cellules de souris surexprimant Wnt-1 et la β-catenine stabilisée. La β-catenine et la survivine sont induites par l’irradiation dans les cellules Sca1+. Dans le cas du cancer du sein, les auteurs montrent que l’irradiation de la lignée MCF-7 sélectionne les cellules de type lin- CD24+/CD29+, mais tue sélectivement les cellules de type CD24+/CD29faible et CD24-/CD29-. L’ensemble de ces résultats démontre que les cellules progénitrices survivraient mieux à l’irradiation que les cellules différenciées en activant la voir Wnt-βcatenine et la survivine, en réponse à l’irradiation.

Enfin, une grande partie des travaux publiés à ce jour sur la résistance à l’irradiation des CSC du sein de type CD24-/CD44+, que je présenterai ici, provient de l’Université de Californie Los Angeles (UCLA), et réunit en particulier les auteurs F Pajonk, T Phillips, WH McBride, C Lagadec et E Vlashi. En 2006, Phillips et al. ont étudié la réponse à l’irradiation de deux lignées mammaires, MCF-7 et MDA-MB-231, en comparant des cultures adhérentes à des mammospheres, naturellement enrichies en cellules CD24-/CD44+ (Phillips et al, 2006). Leurs travaux montrent que les cultures de mammospheres sont plus radiorésistantes que les cultures adhérentes 28 jours après une irradiation unique de 2, 4, 6 ou 8 Gy, dans des essais de clonogénicité. De plus, après une irradiation unique de 10 Gy ou 3 irradiations fractionnées de 5 Gy, la fraction CD24-/CD44+ est enrichie dans les cellules non adhérentes. Il est important de noter que cet enrichissement est à la limite de la significativité (figure 25), et mis en évidence à court terme après irradiation. De plus les images de cytométrie en flux présentées

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sur la figure 25 ne permettent pas d’observer un enrichissement significatif en cellules CD24- /CD44+ dans les mammospheres par rapport aux cellules adhérentes.

Figure 25 : Effets des rayonnements ionisants sur les CSC du sein

Les cellules adhérentes ou flottantes (mammospheres) ont été irradiées à une dose unique de 10 Gy ou par des doses fractionnées de 3 x 5 Gy. 48h après la dernière irradiation, un marquage CD24/CD44 et une analyse par cytométrie en flux sont réalisés. On observe dans la population flottante irradiée un décalage du nuage de cellule vers la gauche (phénotype CD24faible) et une légère augmentation de la proportion de cellules CD24-/CD44+ (encadré rouge) (Phillips et al., 2006)

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Après irradiation, les mammospheres présentent moins de foci γ-H2AX et une réduction des ROS par rapport aux cultures adhérentes, indiquant l’existence d’un meilleur système de détoxification des radicaux libres dans ces CSC. Enfin, dans le cas des irradiations fractionnées, une activation de la voie Notch, par l’intermédiaire des protéines Jagged-1 et Notch-1 pourrait être à l’origine de l’augmentation du nombre de CSC. Un éditorial publié en réponse à cet article par Diehn et Clarke soulève les problèmes posés par la culture de lignées cellulaires in vitro, dans des conditions artificielles et sans niche tumorale, bien que ces conditions soient employées dans la plupart des études (Diehn & Clarke, 2006).

Les résultats de cette équipe portant sur les doses fractionnées d’irradiation sont développés dans une seconde publication, qui s’intéresse notamment aux conséquences de ces irradiations sur les propriétés des CSC (Lagadec et al, 2010). Dans ces travaux, des doses fractionnées de 2 Gy appliquées sur les lignées mammaires T-47D et MCF-7 augmentent leur capacité à former des mammospheres, et n’affectent pas la vitesse de prolifération des CSC de type CD24-/CD44+ tandis qu’elles inhibent la croissance des cellules non-CSC qui évoluent alors vers un stade sénescent. En réponse aux doses fractionnées d’irradiation, les CSC seraient en outre mobilisées d’un état quiescent G0, propre aux cellules souches, vers un état de prolifération active, sans subir d’apoptose radio-induite. Les phénotypes dépendent du nombre de doses appliquées, et selon la lignée cellulaire un nombre suffisant de doses peut contribuer à tuer également les CSC.

L’ensemble de ces résultats tend à démontrer une radiorésistance accrue des cellules progénitrices et CSC dans différents systèmes cellulaires. Dans le cas des CSC humaines de sein, les travaux de l’équipe de F Pajonk suggèrent notamment la radiorésistance des cellules CD24-/CD44+. Il existe toutefois des travaux tendant à démontrer l’absence de radiorésistance spécifique des CSC. Ainsi Al-Assar et al. suggèrent que la radiorésistance des CSC n’est pas un phénomène généralisable à tous les types tumoraux, mais est une propriété restreinte à certaines lignées cellulaires (Al-Assar et al, 2009). Les auteurs apportent plusieurs explications à cette observation : les marqueurs de CSC employés actuellement ne seraient pas adaptés, ou les études in vitro ne permettraient pas de recréer la niche tumorale. De même, Zielske et al. montrent à partir de xénogreffes dérivées de 2 tumeurs humaines de que la sous- population de CSC CD24-/CD44+ peut être soit enrichie, soit diminuée par l’irradiation (Zielske et al, 2011). Ces travaux bien que peu nombreux mettent en lumière les incertitudes qui existent quant à la radiorésistance des CSC.

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CSC et traitements : sélection ou induction ?

Les travaux de Bao et al. montrent une sélection des CSC de gliome par l’irradiation (Bao et al, 2006). Un second mécanisme suggère une induction du phénotype CSC du sein par l’activation de la voie Notch en réponse à l’irradiation (Phillips et al, 2006). De même, les travaux de Woodward et al. montrent une activation de la voie Wnt/βcatenine dans les cellules irradiées, qui pourrait mener à une radiorésistance accrue des cellules composant la rechute tumorale (Woodward et al, 2007). Quelles sont les preuves suggérant une induction du phénotype de CSC dans la tumeur ?

Le concept d’induction des CSC par l’irradiation est difficile à mettre en évidence, et n’est développé dans le cas des tumeurs mammaires que dans une seule publication récente, par Lagadec et al. (Lagadec et al, 2012b). Pour réaliser cette étude les auteurs ont utilisé plusieurs marqueurs de CSC mammaires : le phénotype CD24-/CD44+, l’activité ALDH et une faible activité du protéasome. Lorsque des cellules non souches (NCSC) sont triées et irradiées à une dose unique de 4 ou 8 Gy, les auteurs observent au bout de 5 jours une réapparition spontanée dose dépendante de CSC dans la population (appelées CSCi : CSC induites). D’après les auteurs, cet enrichissement rapide et important en CSCi ne peut être attribuable uniquement à une sélection par l’irradiation des CSC résiduelles. En revanche, une conversion des NCSC en CSCi expliquerait l’augmentation observée. Ces CSCi sont de plus dépendantes de l’expression du récepteur Notch1, et des gènes Oct4, Nanog, Sox2, Klf4. Curieusement, il semble que ces gènes soient surtout surexprimés dans les cellules polyploïdes radioinduites. Les auteurs concluent que la polyploïdie, par la multiplication des chromosomes et donc des copies de gènes serait le mécanisme d’apparition des CSCi. Plusieurs points me semblent contestables dans cette étude. D’une part, les auteurs ont considéré dans leur modélisation que la prolifération des CSC n’est pas affectée par l’irradiation, ce qui reste à confirmer. De plus, l’induction de CSCi concernerait les cellules polyploïdes radio-induites, or on sait que ces cellules sont caractéristiques d’une catastrophe mitotique et meurent majoritairement tardivement, dans les semaines qui suivent l’irradiation, sans donner de descendance viable. Enfin, nos propres travaux ont montré que les proportions relatives de cellules CD24- et CD24+ ne sont pas modifiées à long terme après irradiation. Qu’en est-il dans le modèle de Lagadec et al. ?

Il est intéressant de noter que l’induction de CSC a également été suggérée dans d’autres modèles et pour d’autres types de traitements. Ainsi, le traitement chimiothérapeutique de cellules de carcinome hépatique par de faibles doses de carboplatine induirait la formation de CSC à partir de NCSC, de manière Sox2- et Oct3/4-dépendante (Hu et al, 2012). Ces mêmes

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auteurs ont montré l’induction de CSC de glioblastomes après irradiation, identifiées par leur phénotype SP. Ici encore, l’induction serait dépendante de l’activation des facteurs Sox2 et Oct3/4 (Ghisolfi et al, 2012). Dans les glioblastomes, les CSC seraient également induites par l’hypoxie, responsable de la surexpression de Oct4, Nanog et c-Myc, pointant du doigt l’implication du microenvironnement dans l’expression de ce phénotype (Heddleston et al, 2009).

Ces résultats nécessitent confirmation car ils permettraient d’apporter une explication à certains échecs thérapeutiques, mais les études à ce sujet restent peu nombreuses. L’induction de CSC par les traitements pose un problème majeur, en rendant les cellules tumorales survivantes potentiellement plus agressives que la tumeur d’origine (Lagadec & Pajonk, 2012). Il est possible que la sélection et l’induction des CSC soient deux phénomènes concomitants impliqués dans la résistance à l’irradiation des cellules tumorales mammaires. Un troisième mécanisme, impliquant la prolifération accrue des CSC survivantes, pourrait intervenir dans la réponse à l’irradiation des CSC. Quels sont les poids relatifs de ces différents phénomènes ? Ces poids dépendent-ils de la dose d’irradiation appliquée ? Quels sont-ils dans le cas de doses moyennes fractionnées, comme c’est le cas dans les protocoles de radiothérapie ?