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CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL ET RECHERCHES EMPIRIQUES

2.1 Le cadre conceptuel : L’école et la diversité linguistique, l’Éveil aux langues, les

2.1.2 L’école, la diversité linguistique et l’Éveil aux langues : pour une éducation au

2.1.2.3 Les programmes d’Éveil aux langues et le projet Élodil

L’Éveil aux langues est une approche pédagogique qui, par la mise en place d’activités d’apprentissage spécifiques en classe, exploite la/les langues des élèves, la ou les langues officielles du pays de résidence et les autres langues du monde. Les activités pédagogiques mises en place permettent aux élèves de travailler autour et avec la diversité linguistique mais aussi de développer des capacités métalinguistiques (discrimination auditive et visuelle, capacités de repérage, d’analyse, de comparaison, etc.) et ce par la manipulation de corpus linguistiques variés (Armand, 2012; Armand, Dagenais et Nicollin, 2008; Candelier, 2003, 2007). En ce sens, cette approche est susceptible de toucher autant les dimensions cognitive, affective, sociale, identitaire et interculturelle.

Les premiers développements d’envergure des approches appelées Éveil aux langues ont d’abord eu lieu en Europe (en Angleterre, puis en France et en Suisse) et ensuite au Canada avec le projet Élodil (Éveil au Langage et Ouverture à la Diversité Linguistique, Armand et al., 2004). Nous proposons dans la section suivante de retracer les différents évènements majeurs qui ont caractérisé les approches d’Éveil aux langues et d’en définir précisément les composantes.  Language awareness

Dans les années 1970, en Australie, naît Awareness of language, une pratique pédagogique novatrice souhaitant présenter plusieurs langues aux enfants dans une optique de réflexion autour des langues (Dompmartin, 2003; Troncy, 2014).

Sous l’impulsion de Hawkins, cette pratique est reprise et développée en Angleterre sous l’intitulé Language awareness. Plus précisément, Hawkins propose l’idée de faire des langues un outil de réflexion au sein du curriculum scolaire britannique. Émerge alors le courant

Language awareness dont les objectifs consistent à favoriser chez les élèves la décentration, le

développement d’habiletés métalinguistiques ainsi que la reconnaissance et l’enseignement des langues des élèves issus des minorités linguistiques, qui à l’époque représentait une problématique majeure pour les écoles britanniques (Hawkins, 1984).

 Les programmes d’Éveil aux langues européens

Dans les années 1990, l’approche Language awareness voyage en Europe où elle prend le nom d’Éveil au langage ou Éveil aux langues, et suscite l’intérêt de nombreux chercheurs travaillant autour des enjeux liés au plurilinguisme en contexte éducatif, notamment grâce à une équipe de chercheurs français sous l’égide de Louise Dabène (Dabène, 1994; Dompmartin, 2003).

Plusieurs pays européens adaptent alors l’approche d’Éveil aux langues à leur réalité et le Conseil de l’Europe ainsi que l’Union Européenne soutiennent deux programmes majeurs que sont Evlang (1997-2000) et Janua Linguarum (2000-2004). Ces deux programmes ont consisté à la production de matériel didactique d’Éveil aux langues, à la formation d’enseignants à cette approche ainsi qu’à la mise en place d’une expérimentation dont l’objectif était l’évaluation du programme Evlang sur laquelle nous revennons un peu plus loin dans cette thèse (Candelier, 2007).

Le programme d’Éveil aux langues de la Suisse est connu sous le nom d’Éole17 (Perregaux, De

Goumoens, Jeannot et De Pietro, 2003) et celui de la France sous le nom d’Evlang18 (Candelier,

2003).

Dompmartin (2003), et à partir des réflexions menées par une équipe de recherche grenobloise dans le cadre du projet Evlang, illustre les apports des approches d’Éveil aux langues chez les élèves selon trois dimensions : la dimension cognitive, la dimension affective ainsi que la dimension interculturelle et sociale. De par sa dimension cognitive, l’Éveil aux langues permet aux élèves de réfléchir sur la nature du langage, de mieux connaître sa langue maternelle, de mettre en relation les langues et de préparer à l’apprentissage de nouvelles langues. De par sa dimension affective, l’Éveil aux langues permet de travailler autour des relations que les élèves entretiennent avec leur(s) langue(s) maternelle(s)/d’origine. Et enfin, de par sa dimension interculturelle et sociale, l’Éveil aux langues permet de sensibiliser les élèves à la diversité des systèmes langagiers, lutter contre les préjugés et améliorer les relations interethniques à l’école.

17 EOLE : Éveil au langage/Ouverture aux Langues à l’École

D’ailleurs, Castellotti et Moore (2002), indique que l’objectif de cette approche pédagogique est de défendre « l’intérêt d’une éducation langagière à l’école, ancrée sur le développement chez les apprenants de savoirs sur les langues, construits à partir de mises en perspectives des fonctionnements linguistiques, par la comparaison multilingue » (p. 20).

Plus spécifiquement, Candelier (2007) énonce en ces termes les objectifs du projet d’Éveil aux langues :

‒ développer l’intérêt et l’ouverture des élèves vis-à-vis de la diversité, y compris de la diversité propre; corollairement, dans des classes multilingues, reconnaître, légitimer et valoriser les compétences et identités linguistiques et culturelles de chacun;

‒ développer l’aptitude des élèves à observer et analyser les langues, et donc favoriser leur aptitude à les apprendre et à mieux les maîtriser, y compris la langue de l’école;

‒ favoriser le désir des élèves d’apprendre des langues, et d’apprendre des langues diversifiées; ‒ développer chez les élèves des connaissances relatives à la présence des langues dans l’environnement immédiat, plus lointain et très lointain, ainsi qu’aux statuts dont elles bénéficient ou pâtissent.

En ce sens, les activités d’Éveil aux langues permettent un développement de savoir, savoir- faire et savoir-être ancrée dans une perspective d’une éducation au plurilinguisme.

Dans un même ordre d’idées, Dompmartin (2003) ajoute que mettre en place des activités d’Éveil aux langues dans les classes, c’est vouloir ouvrir la porte aux apprenants à l’évolution de leurs représentations sur les langues, à la valorisation de la diversité linguistique, à l’augmentation de leur désir d’apprendre des langues et de diversifier l’éventail des langues qu’ils désirent apprendre, au développement de leurs capacités d’observation et de réflexion sur la langue ainsi qu’à l’amélioration de leurs performances lors d’apprentissages linguistiques ultérieurs. Ainsi, ces activités sont susceptibles de jouer positivement sur les dimensions affectives, cognitives et sociales impliquées dans l’apprentissage (Dabène, 1994).

Également, Candelier (2003) mentionne que le programme d’Éveil aux langues EVLANG permet de « contribuer à la construction de sociétés solidaires, linguistiquement et culturellement pluralistes » (p. 6).

 Le projet européen Evlang : évaluation

Une évaluation du projet EVLANG a été réalisée en Autriche, Espagne, Italie et en France (Candelier, 2003). Cette évaluation, coordonnée par Michel Candelier a été conduite entre décembre 1997 et juin 2001 et avait comme objectifs de documenter le processus de mise en œuvre d’un curriculum expérimental d’éveil aux langues et d’en évaluer les effets sur les élèves et les enseignants.

L’étude a ainsi été conduite auprès d’élèves et de leurs enseignants, dans 160 classes. Une évaluation qualitative et une évaluation quantitative du programme ont été menées (Candelier, 2003). Candelier mentionne qu’au moyen de cette recherche, il souhaitait démontrer que :

[…] l’approche [d’Éveil aux langues] est applicable sur une échelle plus large, aussi bien temporelle que géographique, qu’elle ne demande pas la mise en place de moyens trop importants - qu’elle est donc « réaliste » - et qu’elle conduit bien aux résultats escomptés (Candelier, 2003, p. 32).

Plus spécifiquement, Candelier (2003, p. 106-116) indique que l’évaluation souhaitait :

‒ dans sa composante quantitative, évaluer les effets des activités d’éveil aux langues sur les élèves, et ce, en termes d’évolution des attitudes des élèves face à la diversité linguistique et à l’apprentissage des langues, de leurs aptitudes à traiter des données linguistiques non- familières ainsi que de leurs aptitudes dans le maniement réflexif de la langue de l’école; ‒ et dans sa composante qualitative, observer et analyser les pratiques de classe dans le cadre

de l’implantation d’un tel projet ainsi que documenter les points de vue des acteurs (élèves et enseignants) concernant ces activités.

En ce qui a spécifiquement trait aux attitudes et aux représentations des élèves, et comme le mentionne Maraillet (2005), plusieurs attentes par rapport aux effets de ce programme avaient été formulées. Ainsi, était espéré chez les élèves (Candelier, 2003, p. 145-146) :

1) le développement de représentations et d’attitudes positives à l’égard de la diversité linguistique et culturelle, notamment celle issue des mouvements migratoires, et une ouverture aux univers non-familiers;

2) un accroissement de la motivation à apprendre les langues;

3) un développement d’attitudes favorables aux échanges en situation exolingue, ou d’une manière plus générale dans les rencontres interculturelles.

 Le programme Élodil : l’Éveil aux langues adapté au contexte canadien

Début 2000 et afin de prendre en compte de la diversité linguistique en contexte scolaire, Françoise Armand adapte les approches d’Éveil aux langues développées en Europe au contexte québécois (Armand et Dagenais, CRSH- Patrimoine Canada, 2003-2004, Conception et évaluation d’un programme d’éveil au langage et d’ouverture à la diversité linguistique). Naît alors le projet Élodil, un acronyme pour : Éveil au Langage et Ouverture à la Diversité Linguistique.

Les activités pédagogiques développées dans le cadre de ce projet ont pour but de faire émerger chez les élèves la sensibilité à la diversité linguistique et le développement d’habiletés de réflexion sur la langue (Armand, Maraillet, Beck, et al., 2004).

Plus spécifiquement, les objectifs du programme Élodil sont définis ainsi (www.elodil.com) : 1) développer des attitudes positives face à la diversité linguistique et culturelle;

2) en contexte pluriethnique, faciliter la reconnaissance et la légitimation des langues d’origine des enfants immigrants allophones;

3) développer des connaissances et des capacités de réflexion sur la/ les langue(s) (capacités métalinguistiques);

4) en milieu québécois francophone, favoriser la réflexion sur le rôle social et identitaire du français langue commune.

De façon concrète, les activités peuvent prendre plusieurs formes passant :

‒ de la découverte de corpus oraux où par exemple les élèves écoutent des pairs dire bonjour et se présenter dans plusieurs langues (activité intitulée Les Bonjours) ou écoute des bulletins météos en créole haïtien, espagnol, malgache et inuktitut (Parler de la pluie et du beau

temps),

‒ à des activités de comparaisons de langues où, à titre d’illustration, les élèves sont amenés à découvrir et travailler autour du concept de familles de langues (Les langues en contact), ‒ ou encore, à des activités réflexives autour de leur bagage plurilingue au moyen de

biographies langagières (Dis-moi ta/tes langues et je te dirai qui tu es) et de leur environnement plurilingue (À la découverte de mon quartier),

‒ ou même, des activités de découverte et d’écriture de proverbes d’ici et d’ailleurs (Les

proverbes à travers le monde).

Ces exemples d’activités viennent illustrer la variété des possibilités offertes aux élèves pour leur permettre de découvrir/réfléchir sur les langues, leurs langues, les langues de la classe et plus largement les langues du monde. L’ensemble des activités Élodil est disponible sur le site www.elodil.com.

Le projet Élodil a donné lieu à plusieurs recherches pour lesquelles nous proposons une brève rétrospective ci-après.

Ainsi, Armand et Dagenais (CRSH-Patrimoine Canada, 2003-2004, Conception et évaluation d’un programme d’éveil au langage et d’ouverture à la diversité linguistique) ont entrepris une première étude comparative (Montréal-Vancouver) dont l’objectif était d’observer les effets de l’approche Éveil aux langues sur les attitudes des élèves quant à la diversité linguistique. Cette première recherche d’envergure s’est déroulée en deux temps. Dans un premier temps, des activités d’Éveil aux langues ont été élaborées et elles ont été rendues disponibles sur un site Internet (www.elodil.com). Dans un second temps, ces activités d’Éveil aux langues ont été implantées en milieu scolaire. Cette étape a pris la forme d’une étude comparative impliquant des chercheurs dans les métropoles de Montréal et de Vancouver. Plusieurs études ont été conduites au sein de cette première recherche, dont celles de Maraillet (2005) à Montréal et de Walsh (2005) à Vancouver. Ces deux recherches ont permis d’alimenter les réflexions sur les représentations et les attitudes d’élèves sur les langues, dans le cadre de l’implantation d’un projet d’Éveil aux langues, et ce, sur une période d’un an.

Une deuxième vaste recherche comparative (Dagenais, Armand, Lamarre, Moore et Sabatier, 2005-2008, Éveil aux langues et à la diversité linguistique dans deux métropoles canadiennes (Montréal, Vancouver), subvention CRSH), réalisée cette fois sur une période de deux ans, a suivi cette première recherche. Cette deuxième recherche, au sein de laquelle nous avons réalisé notre doctorat, portait sur l’observation de l’évolution des représentations sur les langues d’élèves de fin de cycle du primaire durant l’implantation d’activités d’Éveil aux langues (Projet Élodil). Elle avait une visée comparative entre Montréal et Vancouver et impliquait le suivi

d’élèves du primaire sur deux ans (en 5e année d’abord, puis lors de leur 6e année) lors de

l’implantation d’activités d’Éveil aux langues (auquel nous référons par l’appellation projet Élodil pendant le reste de la thèse). La présente étude de doctorat s’inscrit donc dans cette seconde vaste recherche et nous avons pris en charge la recherche en contexte montréalais.  Conclusion : La pertinence de l’implantation d’une approche d’Éveil aux langues en

contexte scolaire montréalais.

Comme a pu le présenter le premier chapitre de cette thèse, le contexte sociohistorique qui fait du français la langue commune du Québec et la langue de scolarisation de la grande majorité des élèves issus de l’immigration, a un impact majeur sur les politiques linguistiques scolaires qui promeuvent largement, voire exclusivement, la langue française comme seule langue de scolarisation, aux moyens de pratiques pédagogiques coercitives. Ces rapports de pouvoir, dans la société, sont donc reflétés au sein de la classe quand les langues des élèves immigrants ou issus de l’immigration ne sont pas prises en considération (Hélot et Young, 2006; Hélot et O Laoire, 2011). Pourtant, comme le rappelle Cummins (2014), un tel positionnement vient à l’encontre de nombreuses recherches qui soulignent la pertinence de s’appuyer sur le « déjà-là » des élèves, pour reprendre l’expression de Perregaux (1994), dans le développement de savoirs scolaires.

Une multitude de pratiques pédagogiques ont été développées permettant de considérer la diversité linguistique et culturelle et engageant des élèves au répertoire linguistique et culturel pluriel dans un processus de développement de savoir, de savoir-faire et de savoir-être à l’école (Cummins, 2009). Parmi ces approches, l’approche d’Éveil aux langues nous apparaît des plus adaptées en contexte montréalais car elle permet de reconnaître, de valoriser et de légitimer les langues des élèves issus de l’immigration et la diversité linguistique, ainsi que de donner un sens au concept de français, langue commune au Québec (Armand, 2013). Ces approches permettent également d’engager les élèves dans des activités signifiantes où leur bagage est perçu comme une richesse ainsi que de leur apprendre à « vivre-ensemble » en reconnaissant la diversité linguistique et culturelle présente dans la classe et dans le monde.

En effet, les activités d’Éveil aux langues ouvrent les portes à un espace de discussion sur les langues du monde. Les langues du répertoire des élèves représentent ainsi selon Cummins (2014) un motif « puissant » permettant aux élèves de re-penser leur répertoire linguistique comme un atout, de le légitimer et de contribuer à l’affirmation et à la construction d’une identité plurilingue et pluriculturelle. Dans un même ordre d’idées, Dagenais et al. (2008, p.139) indiquent que les activités d’Éveil aux langues offrent la possibilité aux enseignants de mettre en place un climat propice à l’émergence d’une communauté d’apprenants ayant accès à un répertoire linguistiques qui dépasse la ou les seules langues officielles.

Également, même si les activités sont loin d’interdire l’usage d’autres langues, elles sont conduites par l’enseignant(e) en français. On parle donc des langues, dans une langue commune. C’est, comme le souligne Armand (2013), adopter une forme d’équilibre, à la manière d’un funambule, où les langues des élèves et le français peuvent cohabiter. Dans un contexte sociohistorique tel que celui du Québec, pouvoir offrir une place au français au côté des autres langues apparaît donc tout à fait pertinent.

De plus, comme le souligne Candelier (2007) : « La multiplicité des axes d’utilité de l’Éveil aux langues, leur adaptabilité aux contextes divers, constituent une vraie richesse. C’est un de ses atouts sur le « marché » des approches didactiques en présence » (p. 285).

Ainsi, les projets d’Éveil aux langues offrent un terrain propice à la valorisation de la diversité linguistique et tout particulièrement à celle des langues et des cultures d’origine des élèves immigrants ou issus de l’immigration. Selon Hélot et Young (2006), ces projets représentent la première pierre dans la mise en place d’une école plurilingue (p.87).

Cet espace d’échange et de coconstruction de savoirs que permet l’implantation de projets d’Éveil aux langues représente par ailleurs, selon Abric (1994), un lieu privilégié pour laisser émerger les représentations.