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CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL ET RECHERCHES EMPIRIQUES

2.1 Le cadre conceptuel : L’école et la diversité linguistique, l’Éveil aux langues, les

2.1.3 Les représentations sociales et les représentations sur les langues

2.1.3.4 La pertinence de l’étude des représentations sur les langues en contexte

Il convient de rappeler que de nombreux auteurs (notamment, Chumak-Horbatsch, 2012; Hélot et O Laoire, 2011; Garcia, Skutnabb-Kangas et Torres-Guzman, 2006; Garcia, 2010; Cummins et Early, 2011; Cummins, à paraître) nous interpellent sur le fait que, dans la majorité des contextes, les pratiques des milieux scolaires sont encore largement fondées sur une représentation monolingue de l’enseignement qui considère les langues comme distinctes et autonomes. Or, comme le cadre théorique sur l’enseignement plurilingue a pu l’exposer, depuis plusieurs décennies déjà, les recherches ne cessent de mettre de l’avant les bienfaits d’un enseignement où les langues des élèves sont valorisées et considérées comme un atout dans le processus d’apprentissage et plus largement dans le développement personnel (Baker, 2011). Entre autres, Perregaux (1994), Cummins (2009; à paraître) insistent sur la nécessité de s’appuyer sur le « déjà-là » des élèves dans une perspective pédagogique inclusive et collaborative. Ce déjà-là, en contexte d’immigration, inclut de toute évidence les connaissances et les expériences culturelles antérieures des élèves ainsi que leurs connaissances langagières. Toutefois, en contexte scolaire, où l’immigration est majeure et où une norme monolingue est largement présente dans les classes, comme dans les classes montréalaises par exemple, comment s’appuyer sur ce « déjà-là » si 1) l’école ne l’autorise pas explicitement au moyen de pratique pédagogique appropriée et si 2) les apprenants et les enseignants ne considèrent pas ce « déjà-là » comme un atout dans le processus d’apprentissage? De ce point de vue, il semble pertinent d’interroger les acteurs du monde scolaire sur la manière dont ils considèrent ce « déjà- là », donc de disposer de leurs représentations à ce sujet. En effet, il est peu probable que les

élèves s’engagent dans le développement de nouveaux savoirs, savoir-faire et savoir- être en s’appuyant sur leur répertoire linguistique s’ils disposent de représentations négatives sur ce répertoire (Cummins, 2014).

Également, comme le soulignent Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre-Derville, Lahanier- Reuter (2007), les représentations sont à la base de l’enseignement-apprentissage. Spécifiquement, Castellotti et Moore (2002) et Moore (2006) montrent le lien qui existe entre représentations et processus d’apprentissage. Moore (2006) précise que « La connaissance qu’a l’apprenant de sa langue et les représentations qu’il se forge de la distance entre son propre système linguistique et le système-cible influencent la façon dont il saisit les données linguistiques et apprend la nouvelle langue » (p. 192).

Castellotti et Moore (2002) rappellent également le caractère holistique des représentations, ce qui en fait selon elles « une notion particulièrement opératoire, dans la mesure où elle permet de rendre compte des sources et références multiples (psychologique, affective, sociale, cognitive,…) mobilisées dans un processus d’apprentissage et d’enseignement des langues » (p. 9).

De plus, Hélot (2007, p.66) propose une recension de différentes études réalisées à propos des pratiques linguistiques familiales en contexte d’immigration. Elle fait remarquer, entre autres, le poids des représentations sur les langues des parents et des enfants dans le maintien ou non des langues d’origine. Ainsi, disposer de représentations positives sur son répertoire plurilingue et sur sa ou ses langues d’origine/maternelle(s), est susceptible de participer au maintien de cette langue et même, selon Baker (2011), à un désir ultérieur d’apprendre cette langue. D’ailleurs, dans un document de l’UNESCO (2003), plusieurs chercheurs proposent une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre par la société, les linguistes, les sociologues, le monde scolaire pour « revitaliser les langues en danger » (p.3), telles que les langues d’origine des élèves immigrants ou issus de l’immigration. Parmi les facteurs exposés qui permettent de déterminer la vitalité d’une langue, l’UNESCO mentionne le poids des « attitudes des membres de la communauté vis-à-vis de leur propre langue » (p.14). En ce sens, documenter les représentations sur les langues d’origine des élèves nous apparaît primordial, puisque ces

représentations constituent l’un des facteurs susceptibles d’influencer le maintien ou non d’une langue d’origine par un locuteur.

Baker (2011, p.399) souligne le fait que notre regard sur l’Autre et nos représentations sur l’Autre jouent dans la construction des stéréotypes et des préjugés à son égard. Il indique ainsi que le fait de développer des représentations qui prennent en compte l’Autre dans sa diversité participe à la lutte contre les inégalités. Dès lors, développer des représentations positives sur la diversité linguistique et sur les langues de l’Autre semble essentiel afin de bien « vivre ensemble » dans les sociétés plurilingues et pluriculturelles actuelles.

Pour résumer, dans une perspective d’éducation au plurilinguisme, étudier les représentations sur les langues apparaît pertinent dans la mesure où :

1) les représentations négatives sur les langues sont susceptibles de constituer une barrière à la mise en place de pratiques pédagogiques collaboratives et inclusives au cœur desquelles les langues des élèves, la ou les langues de scolarisation et la diversité linguistique cohabitent et sont considérées comme des atouts dans l’apprentissage (Cummins, 2014);

2) les représentations sur les langues jouent sur les dimensions cognitives et langagières impliquées dans le processus d’apprentissage (Reuter et al., 2007; Moore, 2006); 3) par leur aspect holistique, les représentations nous permettent spécifiquement de

considérer les processus mobilisés dans l’émergence de ces représentations et ceux qui sont en jeu dans le processus d’apprentissage (Castellotti et Moore, 2002);

4) les représentations sont susceptibles d’influencer le maintien ou non des langues d’origine des élèves (Hélot, 2007; Unesco, 2003), jouant ainsi sur les dimensions identitaires et affectives;

5) les représentations peuvent influencer le désir d’apprentissage ultérieur de langue(s) d’origine et de nouvelles langues (Baker, 2011);

6) le développement de représentations positives sur la diversité linguistique a une influence au niveau social dans la mesure où ces représentations participent à l’atténuation des stéréotypes et des préjugés vis-à-vis de l’Autre et sont à la base de la construction d’un « vivre-semble » dans les sociétés plurilingues et pluriculturelles actuelles (Baker, 2011).

En somme, au regard de nos réflexions conduites sur les représentations sur les langues et de celles menées sur les pratiques d’Éveil aux langues, nous sommes convaincue de l’intérêt de documenter les représentations sur les langues dans le cadre de la mise en place d’une approche pédagogique qui valorise les langues (que ces langues soient la ou les langues de scolarisation, la ou les langues des élèves ) et la diversité linguistique car ces représentations sont à la base d’une réflexion sur l’éducation au plurilinguisme dont les objectifs fondamentaux sont le bien- être des élèves (quelles que soient leurs origines) et leur réussite scolaire.