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CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL ET RECHERCHES EMPIRIQUES

2.2 Recherches empiriques portant sur les représentations sur les langues et la diversité

2.2.2 Axe 2 : Les représentations sur la(les) langue(s) de l’école

Les recherches empiriques présentées ci-après abordent les représentations sur les langues du curriculum scolaire, soit celles enseignées à l’école :

‒ la ou les langues de scolarisation (langues de la majorité, par exemple le français au Québec); ‒ les langues secondes (par exemple l’anglais au Québec);

‒ et les langues étrangères (par exemple l’espagnol pour le Québec).

Si les contextes dans lesquels ces études ont été conduites ne valorisent pas toutes, par des activités pédagogiques spécifiques, la diversité linguistique selon le concept d’approches plurielles (Candelier, 2008), celle-ci est toutefois présente et reconnue par le milieu scolaire au moyen d’un enseignement bi/plurilingue.

Dans le cadre d’une recherche internationale menée entre 1990 et 1993 sous la direction de l’UNESCO, De Pietro a conduit une étude dont l’objectif était de rendre compte, chez les élèves, des représentations des langues enseignées à l’école. Cette étude d’envergure concernait trois pays : la France, la Bulgarie et la Suisse romande. Nous considèrerons ici les résultats de la recherche de De Pietro (1994) qui se propose de rendre compte des représentations/attitudes d’élèves de Suisse romande (partie francophone de la Suisse) par rapport à l’Allemagne ainsi qu’à la langue allemande (langue officielle en Suisse et langue seconde en Suisse romande) comparativement aux résultats obtenus sur ces mêmes thématiques en France et en Bulgarie. Pour nous éclairer sur les résultats de la recherche, il est important de souligner que le contexte helvétique est marqué par des conflits linguistiques latents entre les quatre langues officielles du pays : l’italien, le romanche, l’allemand et le français (De Pietro, 1994).

La recherche concerne un échantillon total de 2 467 élèves, dont 724 élèves pour la Suisse francophone. Ces derniers se divisent en trois groupes : les élèves âgés de 11 à 12 ans, les élèves de 14 à 15 ans et enfin les élèves de 16 à 18 ans. Afin de faire émerger les représentations de ces élèves, les chercheurs ont fait appel à trois méthodes complémentaires de recueil de

données : un questionnaire, une épreuve exploitant la méthode des « mots associés » et un écrit des élèves qui prenait la forme d’une rédaction.

Les résultats de l’analyse de données quantitatives montrent que les élèves romands interrogés se positionnent de manière « plutôt moins positives » que les élèves français et bulgares vis-à- vis de la langue allemande. L’expression de représentations négatives sur l’allemand, chez les élèves romands, serait due à trois facteurs principaux :

‒ dans un premier temps, elle serait le fruit de représentations plus générales partagées par un groupe de référence et faisant état des rapports parfois tendus entre la Suisse alémanique et la Suisse francophone;

‒ dans un deuxième temps, l’auteur indique que, contrairement à leurs homologues français et bulgares, les élèves de Suisse romande n’ont pas eu le choix d’étudier l’allemand en tant que langue seconde (c’est une langue imposée dans le cursus scolaire);

‒ dans un troisième temps, l’auteur souligne le lien qui existe entre le sentiment de compétence dans une langue et les représentations sur cette même langue. Ainsi, il a pu noter qu’un jugement plus négatif sur l’allemand était émis par les élèves qui se sentaient moins compétents dans cette langue. L’auteur appuie l’idée que l’expérience d’apprentissage et la perception du niveau de compétences dans une langue auraient un impact dans la construction des représentations.

De leur côté, Muller et De Pietro (2001) se proposent de rendre compte des résultats de l’étude quantitative présentée de façon comparative plus haut, pour les élèves de Suisse romande uniquement. Cette recherche visait 700 élèves romands du primaire, de première secondaire et de deuxième secondaire.

Afin de faire émerger les représentations de ces élèves, les chercheurs ont utilisé la méthode des « mots associés » définie par Muller et De Pietro comme suit : « un élément déclencheur est présenté aux participants qui écrivent rapidement les cinq premiers mots qui leur viennent à l’esprit » (p. 52). L’activité a été suivie de phases de réflexions durant lesquelles les élèves, placés en équipes, étaient invités à revenir sur leurs réponses.

La méthode des mots associés a permis l’émergence de thèmes récurrents révélateurs d’une « tendance collective partagée », et donc, de représentations dites sociales. Par ailleurs, les résultats indiquent que des connotations négatives sur la langue allemande et leurs locuteurs apparaissent de façon marquée dans les réponses des élèves âgés de 14-15 ans. Or, comme le souligne De Pietro (1994), « c’est souvent à cet âge que les images apparaissent les plus stéréotypées ».

Toujours en ce qui concerne les langues présentes/enseignées dans le curriculum scolaire, Sciriha (2001) a effectué une recherche de type quantitatif, auprès de 500 participants maltais âgés de 11 à 24 ans, qui porte sur leurs attitudes concernant leurs 3e et 4e langues en

apprentissage au secondaire (statut de langue étrangère).

Malte a deux langues officielles (le maltais et l’anglais) dans lesquelles les enfants sont scolarisés. La chercheure s’est intéressée aux choix des 3e et 4e langues que les jeunes font à

l’école et à l’importance accordée aux langues selon deux points de vue : en tant que maltais tout d’abord (point de vue micro) puis en tant que citoyen du monde (point de vue macro). Les résultats obtenus décrivent la présence d’attitudes largement négatives envers certaines langues tandis que d’autres sont fortement valorisées. L’analyse quantitative des questionnaires a ainsi pu spécifiquement souligner l’émergence d’attitudes négatives envers la langue arabe. L’auteure explique ce phénomène par la présence de tensions historiques entre maltais et arabophones, ce qui entraîne des attitudes négatives qui, aujourd’hui encore, sont présentes dans la société maltaise et que les élèves semblent intégrer.

D’autres langues semblent quant à elles fortement valorisées. C’est le cas de l’italien, langue plébiscitée par les élèves. La « popularité » de l’italien comme choix de troisième ou quatrième langue en apprentissage à l’école en contexte maltais s’explique selon l’auteure, par un statut socio-économique et médiatique dans la société maltaise.

Par ailleurs, la chercheure a étudié, en utilisant une échelle d’importance, les représentations des participants vis-à-vis de sept langues enseignées à l’école. Les résultats obtenus illustrent que dans une perspective micro (c’est-à-dire comme maltais vivant à Malte), les deux langues officielles (le maltais et l’anglais) sont les plus importantes, alors que dans une perspective plus

macro, l’anglais conserve son statut dominant tandis que le maltais se voit relégué à la dernière place.

Ces résultats soulignent l’importance des facteurs historiques dans la construction des représentations/attitudes des élèves sur une langue et la portée du statut d’une langue souvent en lien avec l’économie. De ce fait, et comme le souligne Sciriha, les répondants de cette étude sont en ce sens conscients du « marché aux langues » (Calvet, 2002; Lüdi et Py, 2000)

Dans un même ordre d’idées, Shameem (2004) a réalisé une étude quantitative sur les représentations et les attitudes d’acteurs scolaires vis-à-vis des langues présentes dans le système scolaire aux îles Fidji et particulièrement en ce qui concerne l’anglais. Les îles Fidji sont marquées par un contexte linguistique complexe dans lequel différentes langues se côtoient et où l’anglais dispose d’un statut important, aussi bien dans les échanges entre les deux grands groupes ethniques des îles Fidji qu’au sein même de ces groupes. L’anglais est aussi omniprésent dans les médias ainsi que dans le système scolaire puisque, dès la première année, il est la langue principale de scolarisation dans de nombreuses écoles. Le fidjien oriental ainsi que l’hindi standard (langues des deux groupes ethniques majoritaires) sont également des langues en usage dans le système scolaire, mais dans une moindre mesure. Afin de rendre compte des attitudes/représentations de différents acteurs scolaires, Shameem a interrogé, au moyen d’un questionnaire formulé selon l’échelle de Likert, 8 directeurs d’école, 24 enseignants et 48 élèves du primaire de la 1re à la 6e année.

Les résultats de tous les participants interrogés montrent des attitudes plutôt positives en ce qui concerne les langues enseignées dans le système scolaire fidjien.

Plus spécifiquement, si l’on s’intéresse aux réponses des élèves, les résultats ont été analysés selon quatre axes : les attitudes vis-à-vis des langues de façon générale, les attitudes concernant la langue de scolarisation, les attitudes relativement à l’usage des langues enseignées dans le système scolaire et enfin les attitudes à propos de l’anglais. Les attitudes des élèves en ce qui concerne les langues de leurs répertoires linguistiques et les langues en général sont évaluées dans la recherche comme étant positives. De plus, les résultats soulignent que les représentations sur les langues des élèves ainsi que leurs usages linguistiques entretiennent un lien fort avec les fonctions et les statuts que ces langues peuvent avoir en contexte scolaire multilingue fidjien.

L’étude souligne ainsi le caractère attractif de l’anglais pour ces élèves. D’ailleurs, pour appuyer ce résultat, l’auteure remarque une baisse de motivation dans l’apprentissage de l’hindi standard (langue de l’un des deux groupes ethniques majoritaires des îles Fidji) au profit de l’anglais au fur et à mesure que les élèves grandissent. Ce résultat s’explique, selon l’auteure, par le haut statut fonctionnel accordé à l’anglais dans la société fidjienne. De ce fait, Shameem (2004) souligne l’importance du statut des langues :

A language which is perceived to be of higher status, greater usefulness and holds the key to economic and social advancement will incite more positive attitudes than one which has limited use in the school system or in the higher paid employment sector. Language attitudes in turn shape language behaviour which then determines trends of language maintenance and use in future generations (p. 155).

Ces résultats permettent de conforter l’idée selon laquelle le statut des langues joue un rôle fondamental dans la construction et le développement des représentations/attitudes sur les langues.

De leur côté, Araújo, Ceberio et Melo (2007) ont analysé et comparé la dynamique des représentations des langues et des cultures de 209 adolescents plurilingues lors de l’implantation d’un programme de formation à l’intercompréhension de quatre langues romanes (programme Galanet : plate-forme de formation à l’intercompréhension en langues romanes dans le cadre du projet Socrates/Lingua). Les quatre langues concernées étaient le français, le portugais, l’espagnol et l’italien. Les représentations ont été recueillies dans le cadre d’échanges interculturels plurilingues virtuels (clavardage, forums et messagerie). Les objectifs spécifiques de l’étude sont définis par les auteurs comme suit :

‒ décrire les représentations initiales (« de référence ou de départ ») des participants; ‒ observer l’évolution des représentations tout au long des interventions pédagogiques; ‒ analyser les manifestations des représentations dans l’interaction, et plus précisément :

comment et pourquoi se manifestent-elles ?

Afin de répondre à ces objectifs, les chercheurs ont effectué une comparaison entre les représentations issues d’un document autobiographique réalisé au début du projet et celles qui apparaissent dans les conversations virtuelles durant des interventions pédagogiques visant la création d’un dossier de presse dans le cadre d’une tâche collaborative. Cette recherche est de

type qualitatif. Cependant, les données issues de la cueillette ont permis la réalisation d’une analyse quantitative de certaines données. Cette dernière a porté sur la fréquence d’apparition d’images sur les langues dans les épisodes de clavardage. Les données sont composées de 161 documents autobiographiques réalisés par les participants et de 55 extraits de clavardage (soit une analyse de 1 736 interventions) qui s’étendent sur une période de 15 séances et qui répondent au critère suivant : échanges bi ou plurilingues durant lesquels des représentations sur les langues émergent.

Les résultats issus de l’analyse des textes présentatifs autobiographiques des élèves, produits au début du projet, indiquent que l’usage de la langue maternelle est un marqueur identitaire et que l’emploi d’autres langues dans ces textes est annonciateur d’un désir de rapprochement avec les autres locuteurs du projet. L’absence de situation d’interactions dans cette phase initiale a eu pour effet, selon les auteurs, de limiter l’expression de représentations sur les langues. Toutefois, quand ces dernières se révèlent, les auteurs constatent qu’elles concernent le domaine de l’affect et plus spécifiquement l’appréciation des langues (« …c’est une belle langue… ») ainsi que le caractère utilitaire de celles-ci (« pour voyager », « découvrir le monde »). La phase de clavardage durant laquelle les jeunes étaient invités à interagir dans l’une des quatre langues romanes du projet avec d’autres jeunes participants et originaires d’autres pays, a permis l’expression de représentations sur les langues. Ces dernières font état des langues comme étant : ‒ des instruments de construction et d’affirmation identitaire individuelle, mais aussi

collective;

‒ des outils d’aide à la construction de rapports interpersonnels et intergroupes; ‒ des objets affectifs;

‒ des objets d’appropriation (c’est-à-dire des langues dans lesquelles les participants doivent développer des compétences);

‒ des objets de pouvoir.

Par ailleurs, la recherche quantitative conduite en Hongrie par Csizér et Kormos (2008) auprès d’élèves âgés de 13 à 14 ans porte, quant à elle, sur le choix de la langue seconde effectué par 1 777 élèves. Ainsi, ces élèves ont répondu à un questionnaire composé de 71 questions à propos de leur choix de langue seconde : l’anglais ou l’allemand. Ce questionnaire a été construit

spécifiquement pour cette recherche sur la base de deux sources : les résultats d’une recherche quantitative menée par Dörnyei, Csizer et Németh (2006) sur la motivation, les attitudes langagières et la globalisation en contexte hongrois ainsi que sur la base des résultats d’une recherche qualitative menée par Kormos et Csizér (2007) relativement aux types de contacts interculturels que les élèves hongrois peuvent expérimenter. Les contacts interculturels sont ici définis d’après Clément (1980) comme toute forme d’exposition directe ou indirecte à une autre langue (fréquentation de locuteurs, exposition à l’écrit, etc.). Le questionnaire, d’une durée moyenne de 20 minutes, a été administré pendant les heures de cours des élèves et sous la supervision d’agents de recherche.

Les résultats statistiques de cette recherche indiquent que les étudiants qui ont opté pour l’anglais comme langue seconde ont une attitude positive envers les locuteurs anglais natifs. Par ailleurs, cette attitude positive est moins marquée envers les locuteurs allemands natifs pour les étudiants qui ont opté pour l’allemand comme langue seconde. De plus, les étudiants qui ont choisi l’anglais déclarent disposer d’un plus grand soutien de leur environnement dans leur apprentissage de cette langue par rapport à ceux qui ont opté pour l’allemand. Pour les deux groupes, la recherche démontre que les étudiants qui ont des contacts médiatiques ou physiques avec la langue choisie s’investissent davantage dans leur apprentissage de la langue.

La recherche présentée ici nous éclaire sur les facteurs intervenants dans le choix d’une langue seconde. Ainsi, disposer d’un soutien familial et avoir des contacts variés avec une langue semblent des critères importants. De plus, l’étude souligne que les représentations des élèves sur l’anglais sont plus positives que celles exprimées envers l’allemand. En lien avec les études exposées précédemment, on pourrait aussi considérer ici le statut international accordé à l’anglais comme facteur explicatif. Il serait également pertinent de considérer le sentiment de compétence exprimé par les élèves en anglais et en allemand puisqu’il influencerait également les représentations que les locuteurs se font de ces langues, comme avait pu le souligner la recherche de Muller et de Pietro (2001).

 Discussion synthèse sur l’axe 2

Les études présentées dans cette partie permettent de relever certains facteurs pouvant intervenir dans la construction de représentations sur les langues et leurs locuteurs. Ainsi, au même titre que dans le cadre des représentations de participants sur leur(s) langue(s) d’origine/maternelle(s), le contexte sociohistorique semble jouer dans la construction des représentations sur les langues enseignées à l’école, langue(s) de scolarisation et langues secondes (De Pietro, 1994; De Pietro et Muller, 2001; Sciriha, 2001; Shameem, 2004).

De plus, les discours des participants sont souvent empreints des représentations sociales dominantes, c’est-à-dire véhiculées par une majorité et se rapprochant de ce que l’on nomme des stéréotypes (De Pietro, 1994; De Pietro et Muller, 2001; Sciriha, 2001). À cet égard, les approches d’Éveil aux langues, souhaitant apporter un discours ouvert sur la diversité, sont susceptibles d’engager les élèves dans un processus autour de ces représentations sociales pour davantage développer des représentations individuelles.

Par ailleurs, le sentiment de compétence est également relevé comme élément important dans la construction des représentations sur les langues (Araújo, Ceberio et Melo, 2007; De Pietro, 1994), tout comme la conscience des participants du statut et du pouvoir des langues au sein de la société (Csizér et Kormos, 2008; Muller et De Pietro, 2001; Shameem, 2004) comme plusieurs des recherches présentées dans l’axe 1 avaient d’ailleurs pu le révéler.

Notons également que ces études sont toutes de type quantitatif et qu’une analyse qualitative serait nécessaire afin de mieux investir ces représentations négatives et d’en comprendre davantage la teneur.

2.2.3 Axe 3 : Les représentations sur la diversité linguistique et les langues des élèves en