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Attendu des progrès de la médecine : attentes et réalité.

Chap 2 Transformations du vécu parental de la mort périnatale.

A. Changement du vécu de la grossesse.

2. Attendu des progrès de la médecine : attentes et réalité.

a) Progrès ?

L’expérience du vécu de la mort périnatale a été également profondément bouleversée par les nouvelles technologies en changeant les attentes sur l’habilité de la biomédecine à garantir une naissance vivante.

La médicalisation de la petite enfance, de la grossesse et de ses suites a épargné la vie à des millions de bébés et de femmes. Nous l’avons vu, la mort du nouveau-né et de la parturiente sont aujourd’hui des scandales absolus (Segalen dans Jacques 2007 ; X) dans une société qui la

refuse et exige de la médecine la suppression de la douleur et toutes les garanties. Les femmes viennent à l’hôpital pour avoir la garantie d’accoucher d’un enfant en vie et en bonne santé, mais aussi pour accoucher sans douleur. Cette dernière condition est d’ailleurs l’exigence première des femmes dans le cas d’une mort périnatale. La grossesse et l’accouchement sont devenus des événements exceptionnels qui doivent être réussi. En échange de leur « obéissance » aux normes prescrites par le milieu médical – respect du régime alimentaire prescrit par les médecins ou encore visites prénatales –, les femmes attendent de la médecine que tout se passe pour le mieux (Miller ; 2005 ; 75). Elles ont donc des attentes très élevées et ne comprennent pas toujours que la médecine reste parfois impuissante. C’était un sentiment très fort chez Isabelle après avoir perdu sa fille. Elle se rappelle parfaitement que peu de temps après, à la fin de l’année 2006, une navette avait été lancée sur Mars. Elle s’est révoltée. Pourquoi les médecins n’avaient-ils pas été capables de voir que le cordon ombilical s’était noué durant sa grossesse, alors que peu de temps après ils avaient été capables d’une telle prouesse technologique ? On retrouve le même discours chez Blandine. Elle se demande, encore aujourd’hui, pourquoi à notre époque les médecins n’ont pas été capables de sauver Gabrielle.

Nombre de femmes attaquent les médecins et la médecine sur les divers forums consacrés à la mort périnatale. Elles leur reprochent généralement de ne pas avoir su sauver leur enfant ou de ne pas avoir vu à temps qu’il y avait un problème. Dans certains cas, elles leur reprochent également leur manque d’humanité, ce qui n’est toutefois pas le cas de la majorité des femmes rencontrée. Hormis Zap, dénonçant la manière dont les soignants lui ont appris la naissance prématurée de sa fille, qu’ils ont qualifiée de simple « fœtus », ces femmes sont relativement contentes de la manière dont elles ont été prises en charge par le personnel médical, très humaniste et à l’écoute de leurs attentes.

Selon Layne (2003 ; 93), l’aspect central de cette critique, de ces espoirs déçus, réside dans notre croyance selon laquelle la médecine et la science sont obligatoirement et inévitablement

cumulatives et donc par définition en progrès. C’est ce que Fussel (cité dans ibid.) appelle le « mythe mélioratif », tout particulièrement présent dans la biomédecine. Avec l’arrivée de la révolution industrielle et de la science Newtonienne, nous croyons en effet en une croissance linéaire et sans fin. Bien que la problématique de la dérive en biomédecine depuis les années 1990 soit de plus en plus prégnante, avec en premier plan le cauchemar du Meilleur des

mondes (1988), en dépit des critiques sur l’augmentation du coût des soins médicaux et de la

déshumanisation croissante des patients, peu de personnes doutent que la médecine ne cessera pas de faire des progrès. Cette vision du triomphe de la médecine est particulièrement présente dans les champs de la médecine néonatale, de la médecine prénatale et surtout dans l’AMP où,

depuis 1982, date de la naissance d’Amandine le premier bébé éprouvette, domine la problématique du progrès. Les résultats en AMP sont perçus comme quelque peu miraculeux.

Dans ce contexte la technologie médicale est donc entourée d’un certain halo de magie.

Cette notion de progrès se retrouve également dans les manuels de grossesse. Ils présentent la grossesse comme un processus divisé en plusieurs étapes, chaque étape suivant immanquablement l’autre. La grossesse est donc présentée comme un processus amenant inévitablement à une naissance vivante et en bonne santé, sans pour autant prévenir qu’elle peut à tout moment s’interrompre (ibid. ; 71). C’est ainsi que le manuel Livre de bord de la

future maman (Delahaye ; 2007 ; 39) déclare dès le premier mois « Dès cet instant, un processus inéluctable s’amorce : vous allez devenir mère. ». Beaucoup de femmes, que cela

soit en entretiens, comme Blandine, ou sur les forums, expliquent qu’elles ont été mal informées sur la mort périnatale. C’est une critique très présente dans les écrits de L. Layne qui dénonce une « culture du silence » autour de cet événement, un discours repris par nombre de femmes :

« C’est vrai que moi avant les risques de grossesse je ne connaissais pas ! A partir du

moment où je suis tombée enceinte, la seule chose que je craignais était la fausse-couche (et encore de toute façon ça n’arrive qu’aux autres !!), faire attention les premiers mois et c’est tout !! Et après ? Bah … tout roule comme sur des roulettes !! »

(Une utilisatrice, Sandie23, sur un forum) Elles dénoncent l’absence de sensibilisation à la mort périnatale et aux risques de grossesse et reprochent aux médecins et à la société en général de taire cet événement, d’en faire un sujet tabou. La plupart critique tout particulièrement la croyance très répandue selon laquelle après trois mois, moment à partir duquel le taux de fausse-couche est moins élevé, il n’y a plus de

risques dans la grossesse. Ces femmes déclarent qu’elles n’étaient pas préparées à voir leur grossesse s’interrompre. Mais qui peut être préparé à l’impensable ?

b) Attentes et risques

Malgré tout nous pouvons affirmer tout d’abord que la question du risque autour de la grossesse est omniprésente, d’autant plus qu’avec les images et toutes les techniques de dépistage anténatal nous avons vu apparaître tous les risques que l’enfant in utero pouvait encourir (Memmi ; 2011 ; 135). Il y a ensuite une réelle différence entre les attentes et les avancées réelles de la médecine. C’est en partie cette attente qui minimise les risques présents tout au long de la grossesse.

Il est vrai que ce sont surtout les premiers mois de la grossesse qui sont présentés comme des périodes de hauts risques. Selon Béatrice Jacques (2007 ; 19), il y a tout d’abord un risque biologique, le risque médical qui se traduit par la fausse-couche, et il y a un risque social, exprimé par les femmes en terme d’angoisses d’éducation et qui se retrouve par ailleurs tout au long de la grossesse. L’absence de suivi médical durant ces trois premiers mois et la diffusion de discours les présentant comme une période de grande vulnérabilité pour le fœtus, renforcent ce sentiment, de même que la réorganisation de la vie de la femme au moment de la grossesse. Selon Miller (2005 ; 49), la grossesse serait même vue comme une sorte de maladie qui nécessite le médical.

La deuxième crainte durant ces premiers mois concerne également l’anormalité de l’enfant. Mais excepté un petit groupe de femmes pour qui cette inquiétude est légitimée par des problèmes génétiques et des antécédents familiaux, nous pouvons parler de « risques

construits » (ibid.). Les examens fabriquent du risque en l’absence même de risques réels, ainsi

que le fait le test HT21 ou triple test56. Ce test permet de mesurer la probabilité d’avoir un enfant porteur du gène de la trisomie 21, mais il établit un rapport de risques d’autant plus grand qu’il y a aujourd’hui une augmentation de l’âge des femmes à la première naissance. Cette notion de risque est enfin renforcée par les diverses échographies rythmant la grossesse, un risque parfaitement perçu d’ailleurs, nous l’avons vu, chez les femmes ayant perdu un enfant.

La perception du risque est donc présente tout au long de la grossesse. Elle semble toutefois quelque peu éclipsée par les attentes des femmes envers la médecine, trop élevées par rapport à ses avancées réelles. Ces attentes, outre la croyance au « mythe mélioratif », sont en partie

56 Remboursé par la Sécurité Sociale depuis 1997, il est obligatoire pour les femmes âgées de 38 ans et plus, car

les femmes âgées ont plus de risques d’avoir un enfant porteur du gène de la trisomie 21 : 1 risque d’enfant porteur du gène de la trisomie 21 sur 160 et 1 risque sur 12 pour les femmes âgées de 45 ans.

alimentées par les médias. Ces derniers insistent plus sur les avancées des technologies néonatales et reproductives que sur les morts périnatales, toujours présentes.

Depuis les vingt dernières années beaucoup de thérapies pour adultes ont été adaptées avec succès pour le traitement des enfants à terme. La marche du progrès étant supposée infinie, on veut relever le défi de sauver des nouveaux-nés de plus en plus prématurés. Cela a malgré tout été remis en cause récemment par la loi Léonetti du 22 avril 2005, complétée par les décrets du 6 février 2006. Cette loi interdit l’acharnement thérapeutique et les réanimations à un terme trop précoce en raison des effets destructeurs sur l’enfant. Désormais, explique le docteur Marie-Ange Einaudi, les médecins ne réaniment plus les prématurés en dessous de 23 SA et

même en dessous de 24 à 25 SA, bien qu’il n’y ait pas de consensus et que cela soit laissé à la

conscience de chaque équipe soignante. De même, le sur enregistrement des « bébés miracles » en néonatologie, combiné avec le sous enregistrement des interruptions de grossesse, a créé une situation où les attentes des résultats sont beaucoup plus élevées que le niveau des compétences médicales réelles (Layne ; 2003 ; 95). Cette croyance est telle que certaines personnes, comme Isabelle, pensaient qu’aujourd’hui les bébés ne mourraient plus :

« Avant que cela nous arrive, j’avais l’impression que je n’en avais jamais entendu

parler. Les gens autour de moi qui ont perdu un bébé, cela arrive oui mais dans les pays sous développés, dans les pays d’Afrique. (…). Pour moi, la mort infantile c’est dans les pays sous développés en Afrique, en Inde, enfin… je ne savais même pas que c’était possible que cela arrive encore (…) »

(Lors d’un entretien) C’est une évidence que les médecins partagent des attentes similaires concernant ces technologies médicales. C’est cette croyance notamment qui les fait se sentir coupables et responsables si un nouveau-né meurt, sans penser en accuser la technologie. C’est un sentiment de culpabilité que j’ai pu retrouver dans le discours de certains médecins.

En réalité, la plupart des avancées les plus importantes dans la médecine reproductive concerne soit le tout début de la grossesse, soit la fin, c'est-à-dire tout ce qui concerne les avancées dans l’AMP et le soin aux enfants prématurés dans les unités de soins intensifs de

néonatologie (ibid. ; 33). Aujourd’hui se développent même les soins palliatifs chez les nouveaux-nés. Il y a eu en revanche très peu de changements concernant les semaines entre la conception et la naissance. De même, il se creuse un écart important entre d’une part, les moyens de plus en plus impressionnants de diagnostiques (échographie en 2D, 3D, les IRM,

thérapeutiques qui restent assez mythiques selon le médecin échographiste G. Gorincour (2009 ; 18). La chirurgie fœtale ne s’est en effet pas développée comme nous l’avions imaginée à l’origine. L’IMG, que l’on ne qualifie plus à juste titre de « thérapeutique » mais de

« médicale », reste de ce fait souvent la seule alternative à certaines malformations. De même, l’engouement concernant l’échographie ne doit pas faire oublier le faible niveau de preuves scientifiques concernant ses performances pour dépister diverses anomalies (ibid.). Ses performances techniques réelles sont en effet quelques peu différentes de celles rapportées par les médias.

Enfin, la médecine ne trouve pas non plus toujours les causes du décès, ce qui est parfois mal accepté par les parents endeuillés qui ne comprennent pas qu’avec toutes les avancées technologiques on ne puisse pas leur fournir une réponse.