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Donc le professeur a un rôle à jouer dans la relation entre élèves ?

E4 : Elsa, 36 ans, professeur de Lettres depuis 15 ans, au collège et Lycée Entretien de 101 min au Lycée.

Q: Donc le professeur a un rôle à jouer dans la relation entre élèves ?

R : Oui, en partie. Mais pour moi cela s’arrête là. A ce que le professeur est capable de gérer, d’influencer, d’améliorer….

Q : Tu influes sur l’image que les élèves ont d’eux mêmes ?

R : En partie oui. Un élève convaincu qu’il ne peut rien faire de bien c’est au professeur de lui prouver qu’il a tort. Par la parole surtout en lui expliquant qu’on est tous différents, que lui a peut être des qualités que les autres n’ont pas. Que même si dans ma matière il n’a pas de bonnes notes, il y en a sûrement d’autres où les résultats sont meilleurs. Ou même en dehors de l’école, il peut se découvrir d’autres qualités. Par les évaluations aussi, on peut lui montrer qu’il a réussi certains exercices. Prends le cas d’un élève qui doute de lui, il a sûrement réussi d’autres choses. Je prends en compte toute l’année : il peut avoir raté un truc, réussi un autre…

Q : Une sorte d’évaluation individualisée à faire ?

R : Pas pour tous. C’est au cas par cas. Un élève sans problème ne vient rien demander et un élève mal en point qui ne demande rien on ne peut pas s’en rendre compte, ni intervenir, sauf cas exceptionnel.

Q : Cela t’arrive souvent qu’on vienne te solliciter pour ça ? Et quand ?

R : Pas si souvent. En général c’est lors de la remise des contrôles. Un élève qui souffle en disant » j’ai pris une bâche, j’ai été nul ». Je réagis alors immédiatement par un petit mot : « c’est pas grave, ça va s’améliorer, faut juste travailler un peu plus »… Je le rassure quoi. Et parfois, je lui demande de venir me voir à la fin du cours pour qu’on en parle un peu plus longtemps.

Q : Tu as l’impression de les comprendre facilement tes élèves ? Ou te surprennent-ils souvent ?

R (Longue réflexion) Non……….Certaines de leurs attitudes me surprennent quand ils ne collent pas avec la vision que j’ai d’eux. Dans les relations qu’ils ont entre eux. Amoureuses parfois. Surtout en dehors de la classe voire de l’établissement. Je suis parfois un peu choqué par ce qui se fait ou ce qui se dit. Mais c’est surtout en dehors. En classe je n’ai jamais de grosse surprise. Sauf une fois… J’ai un élève particulièrement pénible qui faisait l’idiot et essayait de déconcentrer ses camarades en pleine évaluation. Donc je lui demande de se taire, il le fait. Et là j’ai une élève étrangère ne parlant pas bien le français qui me demande d’expliciter qu’elle n’avait pas compris. Je la fais venir à mon bureau, je lui explique, elle repart à sa place. Là l’élève pitre lance « moi aussi je veux venir au bureau ». Je lui réponds : « non, toi tu as compris, c’est juste que tu fais l’idiot. » Il s’est rassis en lâchant : « raciste ! » Je l’ai immédiatement exclu de mon cours, j’ai fait un rapport, j’ai hésité à porter plainte, et puis je ne l’ai pas fait. Il a été exclu. Depuis, il est revenu dans l’établissement mais pas dans mon cours, je l’ai dit au CPE ils ne savent pas où il est.

Q : Crois tu avoir été suffisamment formé en matière de gestion de l’affectivité des élèves ?

R : Non mais je ne pense pas qu’on puisse l’être. Il y a une grande part qui tient à notre propre personnalité, caractère… notre vécu .. On aurait beau me dire, « il faut faire comme ça », cela ne changerait rien, je ne pourrais pas aller à l’encontre de ce que je suis. Maintenant je suis pour les conseils et l’apprentissage mais je

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pense que c’est un domaine dans lequel il est très difficile d’apporter des choses aux gens. On touche là à une dimension personnelle. Cela dit mieux vaut un petit peu de formation, que rien du tout. Donc non on n’a pas été assez formé pour ça.

Q : Pourquoi as-tu choisi ce métier ?

R : Cela me plaisait l’idée d’apprendre des choses aux gens. J’aime bien les contacts humains, les échanges. Après il y a une dimension plus matérielle avec une activité dense, intense pour les cours et après des grandes plages de repos. Et ça ça me plaît. Voilà.

Q : Le métier a-t-il répondu à tes attentes ?

R : (hésitation). Oui, ça correspond à ce que j’attendais…

Q Est-ce que tes mots et la personne que tu es a beaucoup d’impact sur le développement identitaire des élèves ? R : Oui. Je suis quelqu’un de très gentil –parfois trop- et ça a un impact car cela montre d’autres possibilités aux élèves, surtout ici où les parents sont très stricts, voire violents. Ils voient autre chose. Certains collègues leur mettent des cadres tellement rigides que quand ils sortent, parfois ils explosent (les élèves). Ils sont très agités, ils hurlent, ils se chamaillent. Moi, avec mon attitude plus sereine je leur montre qu’il y a autre chose. De façon générale ils sortent assez calmes de mon cours.

Q : Quelles sont les qualités personnelles indispensables à ce métier ?

R : Je dirais que c’est aujourd’hui quelqu’un de charismatique, rigoureux et strict. Q : Charismatique ?

R : On nous demande aujourd’hui de faire des cours beaucoup plus vivants qu’autrefois et là le charisme – l’éloquence, la tenue, l’aisance en public- est important pour réussir. C’est inné le charisme mais ça peut s’apprendre en partie. On peut apprendre l’éloquence, à se tenir moins nerveux ou angoissé même si on a tous nos limites et notre propre bagage perso. Etre rigoureux, c’est enseigner un savoir de façon carrée, se tenir aux sanctions promises, aux objectifs proclamés… Etre strict c’est plutôt la capacité à se faire respecter et obéir sans se montrer tyrannique.

Q : Dans le charisme y a-t-il une dimension de séduction ?

R : Oui pour certains. Mais il y a beaucoup de profs qui cherchent à séduire, même inconsciemment. Je pense que c’est un choix plus ou moins délibéré des profs. Après, les élèves peuvent être séduits par un prof sans que celui-ci l’ait cherché. Moi je ne suis pas du tout là dedans. J’ai eu un tuteur qui était là dedans et ça m’a un peu dégoûté. Il était complètement dans la séduction avec ses élèves et je trouvais ça complètement ahurissant. Il écrivait des textos à certains. Il avait des relations qui dépassaient le cadre de classe. Et même en classe il essayait toujours d’avoir le petit mot pour rire, essayer de leur plaire …

Q : Et ça n’était pas efficace en enseignement ?

R : (hésite) Si. Cela ne provoquait pas forcément un problème d’enseignement. Les élèves aimaient la matière. Il était rigoureux, il faisait son travail bien mais son attitude créait chez ses élèves des comportements qui pour moi ne correspondent pas à ce qu’elles devraient être. Par exemple certains venaient en récré lui parler comme à un copain ou même, en, rigolant, lui demandaient une cigarette . Il y a eu des soucis aussi d’ordre privé avec une élève tombée amoureuse …

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R : Pour moi (réfléchit) je ne sais pas si c’est une question de distance, plutôt un problème de type de relations. Ça n’allait pas. Il avait une approche séductrice et amicale alors qu’on peut être proche de ses élèves dans une relation plus adulte, de conseil ou d’écoute.

Q : c’est une compétence professionnelle ? R : oui ! c’est indispensable….

Q : Tu as l’impression d’être toi-même en cours ?

R : Pas tellement. En classe je suis beaucoup plus sévère et strict que je ne le suis. Cela dit je ne simule jamais d’émotions non. Quand je suis en colère je le suis, quand je suis content je le suis aussi….

E6 : Roland. 45 ans. Professeur de maths depuis 20 ans environ- enseigne au Lycée. Entretien