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L’entretien avec Vanessa n’eut pas lieu suite à une observation de classe Etant volontaire pour un E.d.E sur la dimension affective, je lui proposai un second échange une semaine

après. Nous nous retrouvâmes chez elle : le cadre sécurisant fut propice à une exploration

intime de l’incident. Un extrait de cette riche explicitation est retranscrit ci-dessous :

Retranscription verbatim Dimension

affective

Retour réflexif Vanessa : J’ai eu un petit souci avec une élève qui a été

placée sous l’autorité de sa tante qui ne s’investit absolument pas. C’est sa grande sœur de 25 ans qui signe les mots. Récemment j’ai écrit que c’était inadmissible qu’elle arrive en classe sans le livre demandé depuis des mois et la tante m’a répondu : « j’attache une grande importance au français mais les choses ne seraient pas passées ainsi si c’est vous qui aviez acheté le livre… » Des choses agressives, j’étais dans une colère noire, je suis montée sur mes grands chevaux devant toute la classe.

Colère vive de l’enseignante : attestée par les expressions très imagées. Sentiment d’agression. L’étonnement

Entrée par la colère et la déception ressenties suite à un reproche adressé à l’enseignante.

L’empathie d’affect avec la classe la

180 Cifali, M. et Moll, J., 1985, Psychanalyse et Pédagogie, Bordas p 180 181

Cifali,M. et Moll,J., ibid.

182

Goleman, D., 1999, L’intelligence émotionnelle, Paris, Robert Laffont p.180

183

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C : Essaye de te remémorer l’instant précis. Où es-tu quand tu t’aperçois de ce mot ? […]

Vanessa : Je le vois parce qu’ils étaient très étonnés, prostrés pour la plupart… Moi, je ne m’énerve pas pour manque de travail, mais manquer de respect par rapport à la personne ou à notre travail, je n’accepte pas. Je leur ai expliqué en leur disant que ce n’est pas possible. Je suis là pour les aider, je ne peux pas rester stoïque, prétendre que ça ne m’atteint pas, je prends mon travail à cœur, je ne comprends qu’on puisse me reprocher de faire mon travail, c’était une attaque personnelle. Là, on ne réfléchit pas, c’est notre personne qui répond !

C : tu dis à la classe que c’est une attaque personnelle ? Ou à la jeune fille ?

Vanessa : non non, je leur dis que je fais mon travail au maximum mais que là c’est trop, je tremblais tellement j’étais en colère, même elle, elle était stupéfaite. C : ca t’a beaucoup touchée….

Vanessa : Oui, parce que tu vois j’essaye de l’aider depuis le début, elle contestait toujours tout…les profs ne la supportent pas, elle se braque sans arrêt.

C : là elle s’était braquée ?

Vanessa : non mais tu vois, je lui ai souvent parlé en lui disant que je ne voulais pas changer sa personnalité, que son esprit est vif et ça me plaît, je la trouve intéressante, mais elle ne le comprend pas parce que « les profs ». [mime les guillemets] Je lui ai dit plusieurs fois, c’est ce genre d’esprit que j’apprécie, on doit ressentir les textes, mais c’est un discours qu’elle n’est pas prête à entendre. C : tu lui as dit ces propos exactement ? Que tu aimes son esprit vif ? Essaye de te remémorer.

Vanessa : oui, je lui ai dit : « je ne suis pas ‘les profs’, c’est bien que tu dises ce que tu penses ». Je pensais qu’elle avait compris.

C : tu avais besoin de te distinguer « des profs » à ses yeux ?

Vanessa : oui …[réfléchit] tu sais comment sont certains profs, ils jugent tout de suite….surtout devant une élève qui conteste beaucoup.

C : tu as dit « les profs » pas « certains profs » ! [rires] C’est un peu comme si tu t’étais associée à son discours et son point de vue finalement.

Vanessa : [rires] oui c’est vrai… Je voulais qu’elle sente que je la comprenais, que j’étais de son côté.

C : c’était important pour vous deux ? Vanessa : oui, pour elle, pour avoir confiance…moi…[réfléchit]

C : elle t’a touchée particulièrement…

Vanessa : oui c’est vrai… c’est sans doute parce qu’elle me rappelle moi quand j’étais élève. J’étais pareille, je contestais tout le temps les profs ! [rires]

C : [rires] « les profs » donc !

Vanessa : oui, je me suis probablement identifiée à elle plus qu’aux autres élèves….

C : je comprends pourquoi sa remarque t’a blessée alors…

des élèves lui fait prendre conscience de l’étendue de sa blessure. Sentiment d’atteinte personnelle. Incompréhensi on de l’élève face à la réaction de l’enseignante. Volonté d’aide qui n’est pas acceptée. Volonté d’empathie de Vanessa. Déception devant un contrat de confiance qui n’a pas tenu.

Désir de fusion/empathi e avec l’élève. Retour sur la blessure et les raisons qui l’ont causée.

conduit à communiquer la raison de son ressenti. Dans le discours se mélangent les propos adressés à la classe et à moi-même. La confusion dans les reproches entre aspect professionnel et personnel est révélatrice de la profondeur de l’atteinte. La réaction affective est tellement forte que Vanessa peine à s’en détacher. Je décide donc d’explorer davantage avec elle cette affectivité. La référence à l’aide apportée depuis « le début » indique que l’enseignante s’est investie affectivement et attendait un retour.

La distinction avec les autres collègues participe du désir d’empathie de l’enseignante : la valorisation de l’élève visait à obtenir une complicité qui s’oppose aux autres relations.

Réitération de la distinction avec les autres collègues : manifestement Vanessa pensait avoir établi une relation privilégiée sur la base de la communication affective. La représentation des professeurs est partagée par l’enseignante.

Il y a là les prémisses d’un contre- transfert : Vanessa s’est exclue

symboliquement du corps enseignant, elle est de « son côté ». J’attire son attention sur le désir transférentiel sous-jacent.

La dimension affective s’est de tremplin pour l’auto-analyse.

Vanessa découvre qu’elle a projeté son moi-enfant sur cette jeune fille du fait de son passé contestateur.184

Je la relance sur le lien de cause à effet dans le glissement au camp des élèves, et à la profondeur de la blessure.

Amertume de Vanessa qui se pensait de « son côté » et qui est « rangée dans le même sac » que les enseignants, d’où le sentiment d’attaque personnelle. Le glissement de la responsabilité de l’élève au professeur fait miroir au glissement contre-transférentiel. J’attire son attention sur la similarité des reproches.

La réponse de Vanessa est toujours

184

Chiland, C.; Castarede, F. et Ledoux, A. , L'entretien clinique, Paris, Puf, 1983, p51. Le contre-transfert est une réponse autransfert du sujet, ils s’influencent mutuellement et le contre-transfert peut aller jusqu’à fixer le transfert dans une attitude régressive, répétitive.

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Vanessa : oui je crois que je m’attendais pas à ce qu’elle me range dans le même sac. Surtout pour m’attaquer devant la classe comme ça, bon même si c’est pas elle qui l’a écrit ce mot. Mais bon c’était personnel quand même. C : qu’est ce qui était personnel ?

Vanessa : elle me faisait le reproche de pas avoir acheté moi-même le livre. Comme si c’était ma responsabilité. C : Alors que tu lui avais fait le même reproche. Elle te l’a renvoyé finalement. Tu lui as dit que ce n’était pas ta responsabilité ?

Vanessa : non je crois que j’ai répondu émotionnellement, en disant que je voulais l’aider mais que j’étais aussi humaine, que c’était inadmissible.

C : tu voulais l’aider mais peut –être qu’elle n’a pas compris dans quel sens, quel était ton rôle. Pour toi c’était un reproche personnel, mais peut-être que pour elle c’était une lecture différente.

Vanessa : oui c’est vrai qu’elle a été très étonnée après…peut-être qu’elle n’a pas compris… Sa famille, apparemment, a l’habitude de tout contester… C : comme elle si j’ai bien compris ?

Vanessa : Ils doivent communiquer comme ça ; oui. C’est là qu’après, en allant voir la CPE, j’ai appris qu’elle a été placée. Après j’ai à nouveau parlé avec elle, en lui disant qu’elle est capable. Là elle est plus apaisée, mais elle est explosive, faut le prendre en compte si on veut qu’elle progresse. Si on était resté côté professionnel, j’aurais eu pire. Sentiment d’ingratitude. Communicatio n affective selon différentes modalités de part et d’autre. Dimension affective dans l’accompagne ment d’une élève en situation difficile.

affective : volonté d’aide, mais la nature de cette aide n’a pas été explicitée.

L’étonnement de l’élève quant à la réaction de l’enseignante est un indice de cette différence de perceptions. De plus, la remarque anodine de Vanessa quant à la manière de communiquer de sa famille fait le lien avec cette habitude de contestation, ce qui est aussitôt compris par

l’enseignante. Remarquons que la dimension affective n’est pas « professionnelle » pour Vanessa.

A partir d’un incident critique, Vanessa a pu analyser la relation qu’elle avait établie avec une