• Aucun résultat trouvé

E12 Anna, 31 ans, enseigne l’espagnol au lycée depuis trois ans.

Q : « L’enseignant doit tenir compte de la dimension affective dans la relation éducative» dit le dernier BO. Qu’en penses-tu ?

R : Moi je pratique beaucoup l’affectif, c’est ainsi que tu captes leur attention. Essayer de transmettre ta bonne humeur, s’il y en a qui n’est pas bien lui demander ce qui ne va pas etc… C’est un peu comme leurs parents, on ne peut pas détacher l’affectif du professionnel. Je pense que moi parfois je suis trop affective. Même pour les punitions. En classe j’exprime tous mes sentiments. Par exemple s’ils m’énervent, ils vont le voir. Idem s’ils font des choses bien pour lesquelles je vais les féliciter. C’est être vigilant à l’environnement de l’élève, ce qu’il vit… Q : Pourquoi penses tu que c’est « trop » ?

R : Parce que je ne suis pas sûr que c’est la bonne méthode…..Enfin je pense que ça va les motiver pour apprendre. On ne sait pas ce qu’ils vivent chez eux, on a tous des problèmes en dehors .Alors, justement, je pensais qu’avec l’affectif on pouvait essayer de sortir le meilleur de chacun.

Q : C’est quoi l’affectif pour toi ?

R : Ça passe par l’expression des sentiments je pense. J’utilise par exemple des expressions comme « muy bien, bien, non esta male » etc. Surtout avec ceux qui paraissent coincés qui n’osent pas parler, participer. Faut les encourager, leur dire que c’est bien, ça donne plus de chances qu’ils vont participer. Si tu l’ignores, ou si tu le contredis, tu ne l’entendras plus.

Q : Pour gérer la classe, tu uses donc de l’ affectif?

R : Ça m’arrive mais pas toujours. En fait j’use plus de l’affectif en positif. Par exemple s’ils me demandent un peu de temps pour réviser à la fin du cours, je leur dis « OK si vous vous comportez bien ». Et si à la fin de l’heure ils ne sont pas bien comportés, je leur dis et je ne leur laisse pas le temps prévu. Je pense que c’est important de la prendre en compte parce qu’elle contribue à la réussite….

Q : Comment fais tu pour établir une relation avec la classe ?

R : Les premiers jours je leur explique comment je fonctionne. Je pense qu’ils voient vite que je n’aime pas m’énerver ni crier. Je leur donne beaucoup de responsabilités : la classe va se dérouler en fonction de vous, leur dis-je. Le cours est prêt je l’ai préparé mais ça dépend comment vous allez travailler.

Q : Comment tu conçois ton métier aujourd’hui ?

R : C’est un mélange je pense. Enseigner les valeurs me paraît le plus important quand même. Par exemple l’effort. Ils n’en font guère. Tout leur est donné. Regarde comment ils traitent leurs livres. N’importe comment, parce qu’on vous les donne, je n’arrête pas de leur dire. Ils prennent tout comme acquis. Regarde les petits ordinateurs donnés par la Région l’an dernier. Ils ne les ont pas bien traités, ils étaient dans un état pas possible parce que c’était donné. On est des repères pour eux.

Q : comment tu t’y prends pour leur transmettre ces valeurs ?

R : Je leur parle beaucoup d’expériences de chez moi hein. Ça tombe bien, je leur parle de mes propres

expériences. Je profite aussi dans les cours d’espagnol de ma propre progression : dès que je trouve un document ou une vidéo qui peut les aider…. Dernièrement ça m’est arrivé, j’ai trouvé une vidéo d’un gamin de 14 ans qui

182

travaille dans les mines en Bolivie et ensuite très content d’aller à l’école. Je leur montre ça pour qu’ils réalisent leur chance, que l’école n’est pas la pire des choses.

Q : Ça t’arrive souvent de » les reprendre sur l’éducation des valeurs ?

R : Pas beaucoup mais un minimum quand même. Parce que c’est très fatigant. Mais il y a des choses que je n’accepte pas. Je ne passe pas mon heure à ça mais je leur dis parle bien, articule, plus fort, tu lèves la main pour prendre la parole etc.

Q : Est-ce que cela influence ta perception des élèves ? Ta vision d’eux ?

Q : Je pense que oui, sans le faire exprès bien sûr. C’est leur façon de se comporter, de parler de poser des questions etc, qui déterminera leur « rang ». Faut aussi les voir en dehors de la classe. Il y a ceux qui te disent bonjour, ceux qui font semblant de ne jamais te voir. Même si c’est juste « bonjour » c’est déjà une bonne démarche, une bonne attitude je trouve. C’est déjà de l’éducation, savoir dire bonjour.

Q : Fais tu des fiches sur tes élèves ?

R : Oui je leur demande ce que font leurs parents, ce que sont leurs goûts, ce qu’ils faisaient, où ils étaient avant, juste pour moi, pour savoir. C’est une question de niveau aussi. Certains disent : « ouais j’étais au collège avant mais je ne faisais rien ou le prof était toujours absent. » L’âge les goûts, ce qu’ils aimeraient apprendre. Q : Qu’est ce que ça change de les connaître individuellement ?

R : C’est important. On n’est pas tous pareils, on n’apprend pas de la même façon. Je vois bien en cours que certaines activités passent très bien avec certains, pas avec d’autres. On peut donc changer la façon de faire ou changer le support et tu vas être surpris en découvrant des jeunes qui n’ont jamais montré le moindre intérêt pour le cours et tout d’un coup il te surprend en s’intéressant.

Q : La dernière fois que tu as été surprise par exemple?

R : Un garçon de ma classe. Je leur avais fait apprendre un poème pour le réciter ou le chanter plus tard. Et ce garçon a fait une performance parfaite, y compris la prononciation. D’habitude ce garçon a des zéros, là il a eu 20 parce que ça l’avait interpellé la poésie, et il l’avait apprise parfaitement.

Q : L’image de l’élève à tes yeux va-t-elle influencer tes attentes par rapport à lui ?

R : Si je sais que l’élève vit chez lui une situation difficile, je serais plus indulgente. Pas systématiquement mais quand même… Mais je ne suis pas toujours au courant de ce qu’ils vivent chez eux. Certains viennent me parler, d’autres non. Parfois, certains que j’interroge me répondent qu’ils préfèrent « garder ça pour eux ».

Q : L’ambiance de la classe doit elle être contrôlée par le prof ? Ou doit-il s’y adapter quelle qu’elle soit ? R : Ça dépend des classes et du public. Mais ce n’est pas toujours le prof qui contrôle l’ambiance. Ce sont les élèves qui ont le rôle le plus important parce que s’ils n’ont pas envie d’écouter ce jour là… tu peux leur montrer tous les documents ou faire toutes les activités possibles, ça ne va pas marcher… Je cherche la bonne ambiance, je cherche l’activité qui va les interpeller, les faire réagir. Mais s’ils ne veulent pas, ils ne veulent pas. Il faut tenir compte de ce que l’élève aime, de sa relation ave la matière enseignement.

Q :Comment fais tu avec les classes agitées alors ?

R : Ça passe d’abord par mon propre silence. Après je cesse d’écrire et j’ai une technique : si la classe se dissipe 1 minute, je rajoute une minute de cours ou plus en fonction. Si c’est un élève en particulier qui fait des siennes, il aura des devoirs à faire à la maison. Ça ne sert à rien de s’énerver.

183

R : Là, je vais les mettre en situation, je vais les obliger à parler, à travailler en groupe, à les mélanger un peu, à chercher des activités propres à créer une réaction… Là par exemple, j’ai une 1ere que je vois tous les mardi, ils ne sont pas nombreux on aurait pu faire des choses super. J’ai travaillé avec un manuel numérique avec eux et ça les intéresse plus. D’abord ils regardent tous dans la même direction. Avec la souris on peut faire beaucoup de choses. C’est plus facile pour eux de rester concentré sur un écran que sur un livre.

Q : C’est important qu’il y ait une complicité avec ta classe ?

R : Bien sûr. Je pense que c’est valable pour toutes les matières même si en langues il faut qu’ils participent beaucoup.

Q : Cela relève t il de la responsabilité du prof d’établir une complicité et comment le faire ?

R : Justement par la transmission de bonnes valeurs, expliquer pourquoi on travaille ceci plus que cela, leur faire comprendre l’importance d’avoir une culture, de savoir des choses diverses, de pouvoir sortir du quartier, de la ville, ou de l’île. Je leur parle aussi d’expériences personnelles parfois. Le fait que je ne sois pas francophone mais que j’habite ici. C’est aussi leur dire, voilà moi j’ai appris le français par plaisir et je n’avais pas prévu que j’enseignerais en France.

Q : le plaisir à apprendre ?

R : Ouais. Parce que si toi tu t’es amusé en classe, que tu as été dynamique etc… , ça va les aider…. Q : Les élèves te trouvent sympathique, cela t’importe ?

R : Je n’en ai pas besoin mais ça me fait plaisir. Même moi, si je trouve mes élèves sympas j’aurais plus de plaisir à travailler avec eux. Ça n’est pas un drame sinon, mais pour la motivation personnelle c’est mieux . Q : Pourquoi tu as voulu faire ce métier ?

R : Je n’avais pas prévu ça. J’ai fait études de traduction. Je me suis rendue compte que j’avais besoin de contacts humains, que je ne pouvais pas travailler toujours sur ordinateur. Après je me suis dit que pouvoir transmettre de bonnes choses aux autres, ce serait difficile mais très bien. L’espagnol parce que c’est ma langue et c’est quelque chose en plus que je peux apporter aux élèves.

Q : Par rapport à la vision que tu avais ce métier?

R : (…longue réflexion) Ouiiiiiiiiiiiiiiiii quand même un peu déçue…. Il y a des jours où je ne suis pas super heureuse mais souvent ça me plaît, je me sens bien de pratiquer ce métier. Les déceptions c’est quand je n’ai pas réussi à transmettre, que le cours s’est mal passé, qu’ils ont bavardé…

Q : Tu as l’impression d’être toi-même en cours ?

R : La plupart du temps oui. Pas toujours. C’est lié aux élèves face à toi en fait. Si je n’arrive pas à être moi- même avec une classe, si on me voit comme trop gentille dans tel cours, alors je vais limiter ma sensibilité, jouer un rôle. Je leur dis la vérité, je leur dis je peux être tous les profs que vous voulez, je peux être stricte, carrée, flexible ou pas, dure ou non, cela dépend d’eux. J’ai une collègue, quand j’ai commencé, m’avait conseillé d’être très stricte au début et d’alléger au fur à mesure. Mais je n’arrive pas à faire ça. Je ne peux pas jouer un rôle 5 cours par jour. Certains élèves jouent un rôle, mais la plupart sont eux-mêmes.

Q : La dimension affective de l’enseignement te rappelle t- elle un évènement en particulier ?

R : L’affectif est un moyen de les amener là où tu veux en fait. Je me souviens qu’étudiante, certains professeurs, agréables ou très sympa, me motivaient beaucoup. Je suis sensible à ce qui se passe en dehors de la classe. Q : Que cette dimension affective s’apparente à de la compétence professionnelle te semble justifiée ?

184

R : Oui je le crois. Malheureusement on n’est pas assez formé pour. On découvre en avançant en fait, si on a trouvé le moyen de fonctionner. Parfois c’est dur de faire la part des choses. Par exemple tu te fâches avec un élève, ou tu lui cries dessus, ça m’arrive, et c’était souvent le moment le moins indiqué pour faire ça. L’élève ne voulait pas en parler, il ne voulait pas que toute la classe sache… C’est sans doute mieux de se retenir et, à la fin du cours, d’appeler l’élève pour le questionner.

Q : Est- ce quelque chose qui s’apprend ?

R : Je pense qu’on peut apprendre mais ça dépend beaucoup de la personnalité. Il y a aussi des crétins dans ce métier. Certains, parmi les anciens surtout, ne se soucient pas du tout de la situation des élèves ou leur comportement. Ils ne vont pas chercher à savoir pourquoi tel ou tel réagit ainsi.

Q : Cela t’aurait intéressée d’être formée?

R : Carrément oui. Moi ça m’intéresserait beaucoup de voir comment font les autres profs et surtout si on a les mêmes élèves. J’ai souvent des commentaires genre « vous êtes trop gentille », c’est plutôt bien même s’il ne faut pas se faire bouffer bien sûr. C’est impossible pour moi d’être stricte. Moi en classe, s’ils me font rire, je ris. Alors qu’on m’a toujours conseillé de rester maîtresse de ma classe, que c’est à moi de décider si on rit ou pas. Au début j’écoutais ces conseils, j’ai essayé mais ça ne marche pas avec moi. Dans un autre établissement peut- être ça aurait fonctionné. Je me demande d’ailleurs souvent comment font les collègues pour rester tout le temps professionnel. C’est peut-être leur éducation, leur formation ? J’ai des collègues qui sont de vraies

encyclopédies mais ils n’arrivent pas à transmettre. Moi c’est peut-être moins, mais ce qui est transmis est transmis.

J’ai des élèves de l’an dernier dont j’étais sûre que mon cours ne les intéressaient pas et qui viennent me voir maintenant pour me dire qu’ils regrettent le cours. Ça me fait très plaisir.

E 13 : M. l’IPR – 53 mn au Rectorat.

Q : Qu’entendez vous par cette dimension affective qui plonge beaucoup d’enseignants dans la plus grande perplexité ?

R : Pour moi la dimension affective se mesure à la qualité du relationnel ; ce qui renvoie plus à des aspects pédagogiques qu’à des aspects didactiques. Cela renvoie aussi à une autre dimension qui est celle du

développement et des besoins affectifs de l’adolescent. Besoin d’être rassuré par exemple. Ou, étant dans une période disons critique pour certains, il est important, nécessaire qu’il y ait cette dimension affective. Quelle est- elle ? Je la vois comme de l’émotionnel aussi, c'est-à-dire que ce sont des jeunes qui sont très sujets à l’émotion parce que dans leur stade de développement cognitif ils en sont à ce stade. Ils vont avoir des comportements qui peut être ne seront pas compris des adultes précisément parce qu’ils ne se seront pas, à un moment donné, inquiété du développement cognitif de l’adolescent. Se préoccuper de cela c’est les considérer autrement. Premièrement comme des êtres en devenir et non comme un simple élève lambda. Ça entre peut être aussi dans un processus de personnalisation ou d’individualisation. Ce qu’on a en face de soi est un individu intégral, complet. Si on veut l’aider, l’accompagner, il faut dans un premier temps savoir qui on a en face de soi. Et cela ne s’arrête pas aux résultats scolaires qui ne sont qu’un indicateur parmi d’autres. Dont la dimension affective justement qui permettra de le mieux situer en tant qu’individu, de mieux le connaître pour mieux l’accompagner. Cela peut être délicat car la dimension affective, on y met toujours une dimension professionnelle et, forcément, cela nous renvoie à la mission même de l’enseignant actuellement, c'est-à-dire que ce n’est plus seulement un transmetteur de savoir mais un accompagnateur. C’est vrai qu’on est maintenant dans le socio-constructivisme ou on pense que l’élève a déjà en lui les potentiels d’apprentissage et qu’on est surtout des accompagnateurs d’hommes ou femmes en devenir et non plus seulement un élève. Si l’on accepte cela, la dimension affective est absolument complète intégrale d’un homme en devenir. Cela donne beaucoup d’entrées possible pour donner un sens à l’affectif.

185

R : A mon sens, c’est plus que pertinent, c’est incontournable. Cela relève de la prise en compte de l’individu. Finalement est ce que la dimension affective n’est pas le moteur de notre comportement ? Si l’on reste au constat d’un comportement on ne règle rien. Pour comprendre et corriger il faut remonter à la genèse de ce

comportement et là, on rencontre une dimension affective. La nouveauté est que en tant que pro de l’accompagnement et non plus seulement pro de l’enseignement pur, il nous faut aller voir dans cette zone. L’effet pervers est de se prendre pour un spécialiste. On reste des enseignants, on n’est pas des psys. IL y a lieu de mener une réflexion sur les seuils. Supposons qu’on trouve des choses fortes ou bizarres, il faut pouvoir passer le relais à un professionnel. L’affectif peut être dangereux. C’est une bombe. On peut déclencher des réactions en chaîne et l’on n’est pas toujours armé pour les gérer.

Q : C’est effectivement ce qu’on entend souvent des profs : « on n’est pas formé pour » Mais comment aborder cela d’un point de vue professionnel ?

R : On a déjà un problème de mode de raisonnement. Malgré les beaux mots et les enveloppes, on continue a fonctionner de la même façon tout en habillant notre pratique d’un vocabulaire spécifique… L’affectif entre dans ce cadre là. Or il y a des attitudes ancrées (je ne vais rien dire de plus là-dessus parce qu’on est enregistrés). On peut arriver avec des concepts nouveaux cela ne va pas tout changer pour autant parce que il n’y a pas

approfondissement et maîtrise conceptuelle de ce qui est mis en place. C’est cela qui manque… Il y a moyen de former à l’approche affective des élèves, cela se fait déjà, ce n’est plus à inventer. Il faut définir des seuils et des limites d’intervention pour l’enseignant. Il y a beaucoup d’études en ce moment par exemple sur l’aide aux décrocheurs qui est très à la mode. On sait maintenant globalement avoir une typologie d’élève et mettre en regard des solutions. Je dis « globalement » parce que à l’inverse, et là c’est un piège, c’est de vouloir dire, « bon, j’ai tel comportement, je vais donc mettre en place telle action ou tel outil et ça ne marche pas toujours comme ça. Les gens oublient la dimension essentielle de l’être humain qui est sa complexité. Or la

caractéristique première d’un système complexe c’est son imprévisibilité. L’élève est un être imprévisible. Si l’on rapproche ceci à son affectif, on comprend que son affect résulte de son histoire personnelle, de son patrimoine génétique, de sa culture etc. L’affectif est la résultante d’une vie, même brève encore. On s’attaque à tout ça quand on s’intéresse à l’affectif d’un élève. On en sait assez pour faire un diagnostic de premier niveau. Quand un enseignant affirme qu’on n’est pas armés pour ça je l’entends, mais s’il affirme que ce n’est pas notre travail, là je n’entends plus. S’il ne l’a pas compris c’est qu’il n’a pas encore intégré le fait que la profession a changé de dimension. Par exemple de mon temps, on se disait, « 2 gifles et ça ira comme ça ». Alors bon, avec le recul, je me dis que je ne m’en suis pas trop mal tiré mais ça ne passerait plus aujourd’hui. Faut dire qu’avant il