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PROF JEAN-LUC VIAU

Dans le document Les jeunes auteurs d'actes d'ordre sexuel (Page 137-139)

Prof. de psychopathologie, psychologue, expert psycho-légal Normandie Université - Université de Rouen Ŕ France

« Tout autant que la nature des faits et plus que cette dernière dans les cas les plus "ordinaires", ce qui paraît compter [dans les violences sexuelles à l‟adolescence] est le fonctionnement psychique sous-jacente à ces faits, leur motif pourrait-on dire en usant de toute la polysémie du terme. C‟est pourquoi une "hantise salutaire" devrait être prioritaire chez les intervenants : le souci d‟éviter de prendre la folie d‟un moment pour la folie d‟une existence comme disait Henri Ey dans un autre contexte » (Botbol et Choquet, 2010). Cette phrase conclut un article récent de deux spécialistes de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, constatant l‟augmentation de plus de 100 % des condamnations des mineurs de moins de 16 ans pour des violences sexuelles. Ces auteurs résument les cas de figure de l‟agression sexuelle adolescente à trois : la découverte du sexuel post-pubertaire conjugué à l‟affaiblissement des interdits infantiles ; l‟insuffisance du discernement quant aux interdits ; et la problématique narcissique. Ce constat n‟est pas nouveau, ce qui ne veut pas dire qu‟il est partagé.

« (...) La population des enfants et adolescents auteurs d‟agressions sexuelles est hétérogène, à la fois sur le plan psychopathologique et celui des caractéristiques de la conduite sexuelle. Ces agressions sexuelles se caractérisent le plus souvent soit par l‟usage de la force ou de la menace, soit par le choix d‟un partenaire d‟âge inapproprié. Ce comportement sexuel déviant peut n‟être qu‟un accident de parcours dans le développement psychosexuel, tout comme il peut être la première manifestation d‟une conduite récurrente à l‟âge adulte. » (Fédération Française de psychiatrie, 2002).

Cette observation, faite en conclusion d‟une analyse très fournie des conduites sexuelles illégales, leurs origines, leurs traitements et les réponses sociales appropriées, date d‟une dizaine d‟année. Il n‟est pas certain qu‟on ait progressé depuis dans la compréhension de ce phénomène de grande ampleur : on estimait à l‟époque qu‟environ 28 % des agressions sexuelles étaient commises par des mineurs d‟âge en France et il n‟existait aucune référence convaincante permettant de penser ce phénomène, ne serait-ce que pour disposer d‟un modèle clinique propre à le décrire. Le constat de l‟hétérogénéité des conduites n‟est pas démenti par une étude de Chagnon (2005) qui relève sur 15

cas d‟agresseurs adolescents,11 qui ont des troubles que l‟on peut cerner comme issus de l‟hyperactivité de leur enfance, mais inscrits, dit l‟auteur, dans des registres psychopathologiques divers. Une étude plus générale sur les typologies d‟agresseurs sexuels (Robertiello et Terry, 2007) montre que la compréhension de l‟abus sexuel par des adolescents ne diffère pas de celui proposé pour les adultes ; les typologies sont élaborées sur l‟analyse du rapport victime/agresseur (sexe, âge), du passage à l‟acte (isolé, collectif, violent) et de la commission ou non d‟autres actes délinquants par l‟auteur, en tenant compte des types de personnalités. Les discours officiels les plus récents montrent qu‟il n‟est pas certain que la justice et le système médico-social aient les moyens d‟appréhender au cas par cas ces situations, et que l‟on ait compris le fond d‟une problématique pourtant parfaitement connue : un acte sexuel illégal n‟est pas forcément une conduite sexuelle. Plus récemment, De Becker (2009) rappelle que de multiples facteurs interviennent dans la commission de ces actes d‟adolescents transgresseurs et que les interprétations peuvent en être multiples, mais que l‟un des constats les plus habituel est que : « l‟adolescent sexualise une angoisse de base qu‟il porte en lui depuis longtemps ».

De la même façon, Bergeret (1995) écrivait : « Il ne devrait plus être possible de nos jours de considérer comme vraiment "sexuel", n'importe quel comportement humain normal ou pathologique, légal ou délictueux, sous le seul prétexte que ce comportement met en exercice des organes génitaux (…). A partir de l'exemple de Don Juan, nous savons que les plus évidents exploits balistiques d'allure apparemment sexuelle reposent davantage sur des insuffisances et des désordres de nature narcissique que sur une problématique imaginaire d'ordre sexuel ».

La très brève étude que nous présentons ici ne peut déployer une analyse de tous les cas de figure rencontrés, et ne saurait avoir valeur de typologie. Elle découle à la fois de la position, moins théorique que strictement clinique, de Bergeret, et de la perplexité du clinicien, sollicité comme « sachant » par la justice pour éclairer le sens des conduites de jeunes auteurs d‟actes sexuels illégaux. Les autorités judiciaires, tout comme la société, ne sont préoccupées actuellement que de l‟illégalisme sexuel, de sa remédiation éventuelle et de sa prévention : il est particulièrement difficile de faire entendre que ces comportements d‟agression recouvrent en réalité des problématiques souvent beaucoup plus préoccupantes. Il est donc d‟autant plus nécessaire que des travaux de recherche permettent de mettre en lumière des paradigmes, des modélisations cliniques et des modes d‟approche qui renouvellent ce regard. Ce texte en sera une esquisse à partir de la description de trois dynamiques particulières de passage à l‟acte : celle produit par la déficience ; celle de l‟inceste ; et enfin l‟abord d‟une forme particulière de « toute puissance », cette déviation du rapport au monde qui fait que le sujet fabrique sa propre loi, l‟amour propre.

Dans le document Les jeunes auteurs d'actes d'ordre sexuel (Page 137-139)