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POUR ÉCHAPPER À LA SIDÉRATION : PENSER AVANT D’AGIR

Dans le document Les jeunes auteurs d'actes d'ordre sexuel (Page 154-158)

L’INTERVENANT FACE AU JEUNE AUTEUR D’ABUS SEXUELS : ÇA ME

M. MARC FAVEZ

3. POUR ÉCHAPPER À LA SIDÉRATION : PENSER AVANT D’AGIR

Pour échapper à la sidération et à la paralysie qu‟elle induit, il me semble pertinent de rappeler la bonne formule de Winston Churchill à ce propos : « Le mot perfection s‟épelle P.A.R.A.L.Y.S.I.E. ». C‟est dans cet esprit que je vous propose d‟accueillir les pistes d‟action, loin d‟être exhaustives ou abouties, que je pourrais suggérer. Mais, même incertaines, elles me paraissent définitivement préférables à la paralysie.

Mais avant de passer à l‟action, je ne peux esquiver les prémisses théoriques fondamentales que cette action suppose pour moi. Sans être en mesure de dire dans quelle mesure ces prémisses, philosophiques ou religieuses, influencent ma réflexion et les interventions que j‟ai pu tenter, il me semble qu‟elles jouent, ici peut-être plus qu‟ailleurs, un rôle fondamental. Mais en même temps, ces prémisses n‟ont probablement de valeur que pour moi - et avec d‟autres prémisses on pourrait probablement aboutir à une démarche semblable. L‟important me semble donc être autant, si ce n‟est plus, dans le processus lui- même, c‟est-à-dire penser le problème à partir de ces prémisses pour sortir de la sidération, que dans les prémisses elles-mêmes. Celles que j‟expose s‟intéressent à la nature humaine, et je me borne à les énoncer sans les situer dans un contexte ni chercher à les justifier dans l‟histoire de la pensée.

Première prémisse : l‟humain est peccable et il naît comme tel. Autrement dit, il est capable du bien et du mal et est doué d‟un jugement moral qui lui permet de discriminer entre ces options. Ce jugement moral dépend en partie de son éducation et de ses facultés psychiques, qui peuvent l‟altérer, mais fondamentalement, il a un sens de la justice. Je n‟ai jamais rencontré une personne qui n‟ait pas conscience des injustices que l‟on commettait à son égard - même si la capacité de réaction à l‟injustice peut varier fortement d‟un individu à l‟autre.

Dès lors, je ne suis pas surpris de trouver le mal chez l‟enfant, même si ce constat peut être parfois affligeant - de même que je me réjouis d‟y trouver le bien. Considération qui me ramène à ma propre nature, capable du bien (pas assez souvent...) et du mal (bien trop souvent). Première piste de réflexion, que je retiens d‟un enseignement magistral de Reynaldo Perrone : pour susciter du changement, il faudra une rencontre existentielle ; et celle-ci provient quand l‟autre se sent compris, ce qui suppose que l‟intervenant ait sondé son propre inavouable !

Deuxième prémisse : l‟humain est capable de réhabilitation. Corollaire de son sens de la justice, sa conscience peut le pousser à regretter ses méfaits et à vouloir s‟amender. Là aussi, cette capacité dépend en partie de son éducation et de ses facultés psychiques. Mais elle n‟est pas absente de l‟être humain, même chez le psychopathe.

Il y aurait beaucoup à dire sur les dérives de l‟examen de conscience dans les cultures religieuses catholique et protestante, avec son cortège de culpabilisation et d‟hypocrisie pouvant mener au pire. Mais au-delà de ces tristes constats, la capacité de l‟humain à s‟amender et à changer est pour moi fondamentalement porteuse de sens et d‟espoir ; elle est centrale dans la démarche de relation d‟aide, mais également dans l‟administration de la justice des mineurs.

Armé de ces deux prémisses, j‟ai donc considéré les jeunes auteurs d‟abus sexuels qui m‟étaient confiés comme des humains et non comme des monstres ; mais ces humains s‟étaient rendus coupables d‟actes les excluant moralement de la communauté humaine, et il fallait entreprendre tout ce qu‟il était possible pour les y ramener - autant pour eux que pour d‟autres victimes potentielles.

Autant dire que je n‟y suis pas arrivé, du moins pas toujours et pas dans la mesure qui me paraît souhaitable. Avec certains, je n‟ai pas trouvé de porte d‟entrée, ce qui signifie probablement, que je n‟ai pas suffisamment cherché, faute de temps, de motivation, de persévérance ou d‟empathie peut-être.

De mon expérience de travail avec des jeunes auteurs d‟actes d‟ordre sexuel, je retiens trois pistes d‟action, actions qui se sont toutes articulées en parallèle avec une orientation vers les groupes de parole pour jeunes auteurs d‟agression sexuelle - parfois sans que cela ne débouche sur une prise en charge.

Avec Augustin, pour lequel mon intervention commence tardivement, lorsque les parents demandent à être dessaisis du droit de garde, nous tentons donc une prise en charge pluridisciplinaire qui ne sera pas suivie des effets escomptés. Alors que le traitement psychiatrique est au point mort, il commet une nouvelle agression sexuelle sur une jeune fille qu‟il connaît cette fois, puisqu‟elle habite près du foyer où il est hébergé. Il est incarcéré préventivement et je lui rends visite. Je décide dans l‟entretien de lui demander de parler précisément de ce qui s‟est passé, de me décrire ses gestes précis, son état d‟excitation… Ce qu‟il fait.

Je pourrais, pour résumer cette première posture, parler d‟ingérence. La transgression commise par le jeune auteur d‟abus sexuels nous donne le droit et le devoir de ne pas attendre sa demande pour le traiter. Avec le recul, je pense que je n‟ai pas perçu à ce moment que son problème n‟était pas l‟hypersexualité mais l‟hyposexualité (certaines connaissances me faisaient défaut à ce moment- là, mais c‟est le propre de la connaissance d‟être en progrès). L‟ingérence devra être d‟autant plus respectueuse que l‟on n‟est pas certain de comprendre ce qui se passe. Mais s‟ingérer lorsque l‟on cherche à comprendre l‟interlocuteur et à l‟aider (et le terme clé est empathie) n‟est pas plus dangereux que de constater la fermeture à la relation d‟aide et de passer son chemin.

David, à l‟adolescence, a abusé de plusieurs jeunes garçons de son quartier, dans une petite localité où tout le monde se connaît. Lorsque l‟affaire a éclaté - et le terme n‟est pas trop fort - il a été placé en institution à plus de 150 km de chez lui. Il a été mis au ban, et sa famille avec. Rien n‟expliquait chez ce brave garçon ses gestes : pas de passé de victime, famille sans histoire. Orienté par la justice des mineurs dans un groupe de parole pour adolescents auteurs d‟abus sexuels, la responsable du programme nous informe au terme des onze séances habituelles que pour elle le travail n‟est pas fini et que le risque de récidive demeure.Avec son éducateur référent, et en accord avec la direction de l‟institution, nous construisons une prise en charge originale arrêtée par un contrat de prise en charge socio-éducative. David s‟engage à des entretiens hebdomadaires avec son éducateur référent dans lesquels seront abordés tout ce qui concerne ses sentiments, ses difficultés relationnelles, sa difficulté à se confronter aux problèmes en général et à ses difficultés d‟ordre sexuel en particulier. Un compte-rendu de ce travail se fait en ma présence au minimum tous les trois mois. Ce travail, qui s‟inscrit dans le cadre du mandat pénal même si le juge n‟est pas partie prenante du contrat, permet d‟aller au cœur de la problématique. La bonne évolution de David dans sa capacité à gérer ses émotions nous permettra, après dix-huit mois, de pouvoir exclure raisonnablement le risque de récidive. Il s‟agit ici d‟un véritable travail de fond mené par l‟éducateur référent.

La troisième piste que j‟évoque ressemble à une piste de dernier recours, à défaut d‟autre chose. Michel est un enfant suivi par le SPJ quasiment depuis sa naissance, placé institutionnellement pendant des années en raison de

l‟inadéquation de sa mère ; son père s‟intéresse peu à lui, sa mère réussit à obtenir son retour à la maison au moment de la naissance d‟un deuxième enfant alors qu‟il a 12 ans. Une action éducative en milieu ouvert ne permet pas de suppléer aux carences de ce milieu familial. Finalement, après un placement transitoire dans une famille connue de la mère, nous parvenons à mettre sur pied son accueil par le père. Cet accueil est fragile, soutenu par l‟épouse du père. Quelques temps après, Michel abuse d‟un garçon de 4 ans dans la famille qui l‟accueille pour les repas de midi - ce qui permet au père de justifier définitivement la mise à distance émotionnelle de son fils.

Vu le lieu de domicile de la famille, il est difficile d‟organiser la prise en charge en groupe. Aucun travail probant ne semble pouvoir se faire. Aussi, à défaut de mieux, je décide de jouer de mon statut en prévenant Michel que si jamais il récidive « il aura affaire à moi ». La formule est volontairement vague. Plutôt que de le menacer de je ne sais quel malheur sous forme de placement institutionnel, c‟est plutôt en termes de personne - une figure paternelle sans doute - que je lui exprime quelque chose d‟humain : humain blessé par son acte qui a attenté à la communauté humaine, mais humain également touché par la tristesse de sa vie, humain enfin qui croit en sa valeur d‟être humain.

Je ne sais rien de son devenir, notre dernier contact alors qu‟il avait 18 ans était pour me demander des nouvelles de sa demi-sœur. A défaut de mieux, j‟ai tenté d‟ériger un rempart ; ce n‟est guère qu‟une béquille du Surmoi dont l‟efficacité est difficilement mesurable - comme pour tout ce qui touche à la relation d‟aide et à la relation d‟aide contrainte en particulier. Mais cet acte m‟a permis de prendre position, et donc de le mettre dans une posture de vis-à-vis.

CONCLUSION

C‟est probablement dans la posture de l‟intervenant que je vois un dénominateur commun aux trois pistes d‟action évoquées, dans la nécessité de ne pas abandonner les jeunes auteurs à leur sort. Ignorer l‟acte, c‟est ignorer son auteur, le laisser seul à sa quête troublante de l‟oubli - qui pourrait bien se solder par une carrière d‟abus.

C‟est dans la plongée au cœur de l‟inavouable que doit se restaurer l‟humanité du jeune auteur. A défaut de pouvoir y pénétrer, il faut au moins lui signifier que le danger est là, comme une balise pour signaler le récif toujours prêt à provoquer le naufrage.

LES JEUNES AUTEURS D’ACTES

Dans le document Les jeunes auteurs d'actes d'ordre sexuel (Page 154-158)