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PHILOSOPHIES DE TRAITEMENT

Dans le document Les jeunes auteurs d'actes d'ordre sexuel (Page 170-172)

En ce qui concerne la philosophie de traitement qui prédomine en Amérique du Nord, malgré un apparent consensus entre chercheurs, dans les faits, plusieurs courants coexistent tant en ce qui a trait à la compréhension de l‟étiologie de la trajectoire des jeunes auteurs d‟agressions sexuelles que par rapport aux différentes approches de traitement qui y ont cours. En ce qui concerne les délinquants sexuels adultes au Canada toutefois, c‟est le modèle mis en avant par les psychologues ontariens Andrews et Bonta (2003) qui prédomine notamment parce qu‟il a été adopté par le Service correctionnel du Canada (SCC). Ce modèle dit en anglais du « Risk, Need and Responsivity » est inspiré de la théorie de l‟apprentissage social du canadien Albert Bandura (1977), théorie qui permet, selon Andrews et Bonta (2003) d‟expliquer de façon optimale tant les données d‟observation cliniques que celles issues de la recherche empirique. Le modèle qu‟ils proposent est un modèle dit de la prévention de la récidive qui vise à déterminer à l‟aide d‟outils actuariels le niveau de risque de récidive que représenterait chaque délinquant sexuel ; ce niveau de risque ainsi déterminé sert, dans un second temps, à définir l‟intensité du traitement proposé au délinquant, ce qui correspond dans leur terminologie aux besoins criminogènes du délinquant sexuel. En fait, besoins criminogènes et

facteurs de risques désignent les mêmes éléments, et ce sur quoi reposera le traitement. Plus les risques de récidive seront identifiés comme étant grands, à la lumière des résultats de l‟outil actuariel, plus le traitement sera intensif. De façon inverse, si les risques de récidive sont identifiés comme étant minimes, le traitement ne sera pas indiqué. En effet, selon le modèle d‟Andrews et Bonta (2003), l‟indication de traitement est basée sur la mesure de son efficacité potentielle, or si les risques de récidive sont faibles, il est estimé que l‟efficacité du traitement sera trop faible pour être mesurée, donc que le traitement serait inutile dans la perspective de la récidive, soit la seule perspective pertinente d‟après Andrews et Bonta (2003). Enfin, le troisième élément pris en compte dans ce modèle est la réceptivité de l‟individu face au traitement, en ce sens, les besoins dits criminogènes du délinquant seront l‟objet d‟un traitement en regard de sa réceptivité qui est évaluée à la lumière de dimensions comme la motivation au changement ou encore son ethnicité.

Pour Andrews et Bonta (2003), le traitement comme tel devrait être d‟approche cognitivo-comportementale et se centrer exclusivement sur la prévention de la récidive criminelle, c‟est-à-dire sur les seuls facteurs associés à la récidive et sur aucune autre dimension. Bien qu‟ils soient d‟avis que les auteurs d‟agressions sexuelles ont besoin de traitement pour ne pas récidiver, ils précisent que tout besoin additionnel de soin ne concerne pas le Service correctionnel canadien. Il n‟est pas surprenant en cela que leur modèle ait été adopté par le SCC car, outre sa cohérence, il répond au climat répressif qui balaie l‟Amérique du Nord depuis quelques années et, en ce sens, est tout à fait compatible avec un certain discours politique axé exclusivement sur la protection du public et non plus du tout sur la réhabilitation des auteurs de crimes sexuels et autres.

Le modèle dit du « Risk, need, responsivity » d‟Andrews et Bonta (2003), bien qu‟il jouisse d‟une bonne réputation et qu‟il soit utilisé dans de nombreux pays, ne fait pas l‟unanimité. Tony Ward, de l‟Université de Melbourne, est parmi les chercheurs qui ont proposé un modèle alternatif pour expliquer le processus de changement thérapeutique du délinquant qui suscite beaucoup d‟intérêt en Amérique du Nord et dans le monde anglo-saxon. Le modèle de Ward (2000, 2002), dit du « good lives model », a été proposé en partie, d‟ailleurs, en réaction à celui d‟Andrews et Bonta (2003). Il est difficile de traduire en français l‟expression « good lives » sans perdre le sens que Ward y a donné. Pour Ward, le modèle d‟Andrews et de Bonta, au-delà de ses qualités et de ses mérites, souffre de certaines failles, notamment en ce qu‟il constitue une approche essentiellement négative du traitement. En effet, cette approche thérapeutique se centre quasi exclusivement sur ce que le délinquant ne doit pas penser, ne doit pas faire, etc., un peu comme si on lui disait que pour changer, il devait s‟appliquer à apprendre ce qui lui sera désormais interdit, puis à le mettre strictement en pratique. Or, soutient Ward, une telle démarche ne correspond pas au processus de changement qu‟il a observé chez les délinquants qui réussissent

à renoncer définitivement au crime. Plutôt que de se concentrer sur ce qu‟il ne doit pas dire, penser ou faire, le délinquant qui change au plan psychologique y réussit parce qu‟il est motivé par un idéal de vie à atteindre, soutient Ward (2002). Ce changement positif dans sa vie correspond au désir de mener une vie moralement correcte et d‟ainsi devenir une « bonne personne ». Ce n‟est donc pas que le délinquant engagé dans un processus de changement souhaite demeurer inchangé sauf pour ce qui en est de l‟agir ou de la pensée délinquante comme le modèle d‟Andrews et Bonta le suppose ; il aspire plutôt à changer complètement, à mener désormais une vie moralement correcte. Ward (2000, 2002) met ainsi l‟accent sur un idéal de changement qui est fortement investi chez l‟auteur d‟actes criminels qui s‟engage dans un processus de changement qui le conduit vers une vie radicalement différente. Ward (2000) affirme que c‟est un peu comme si le délinquant se disait : voici qui j‟aurais voulu être si ma vie avait été différente. L‟accent porte, dans ce sens, sur deux aspects à la fois, la visée éthique du processus de changement et sa contextualisation historico- sociale rétrospective : « Si ma vie avait été différente… si ceci ou cela ne m‟était pas arrivé, voici ce que j‟aurais voulu faire de ma vie ».

Pour Ward (2002), la présence d‟un idéal de vie consacré à une entreprise personnelle tournée vers le bien, et le bien envers autrui, est un idéal qui est partagé par l‟ensemble des délinquants qui s‟engagent dans un processus de changement et c‟est cet idéal qui devrait être canalisé, peu importe le jugement que l‟intervenant serait tenté de porter par ailleurs sur le contenu de l‟idéal de chacun. En ce sens, la traduction fréquente de « good lives » par « bonnes vies » ne permet pas de cerner le projet éthique qui en constitue le fondement, me semble-t-il. D‟ailleurs, très souvent, le modèle de Ward est rabattu à sa simple critique de la négativité du modèle d‟Andrews et Bonta ; nombre d‟intervenants, voire de chercheurs, croient, à ce sujet, qu‟il suffit d‟introduire l‟idée que le délinquant n‟est pas réductible à ses actes - ou encore plus prosaïquement, que c‟est le comportement déviant que l‟intervenant réprouve chez le délinquant et non pas le délinquant lui-même - pour respecter la pensée et le modèle de Ward tout en appliquant celui d‟Andrews et de Bonta.

Dans le document Les jeunes auteurs d'actes d'ordre sexuel (Page 170-172)